Le directeur du Tour passe la main après quinze ans passés à fabriquer des héros sur fond de dopage.
Blandine Hennion
«Pour les hommes, l'aventure doit s'arrêter un jour, pour le Tour de France, j'espère qu'il n'y aura jamais de mot fin.» Ce sont les mots du «testament» de Jean-Marie Leblanc, directeur du Tour depuis 1989, qui effectuera en juillet sa dernière Grande Boucle. «La direction de l'épreuve reviendra ensuite à mon ami Christian Prudhomme, notre nouveau directeur du cyclisme.» La société du Tour avait en effet débauché en 2003 le commentateur du Tour sur France Télévisions, premier partenaire et principal bailleur de fonds au travers de l'achat des droits télévisuels. Mission accomplie ?
Au commissariat
Le directeur du Tour peut en tout cas se vanter d'avoir préservé son spectacle envers et contre tout. Fortement ébranlé par l'affaire Festina en juillet 1998, le Tour montre cette année-là le piètre spectacle de coureurs, soigneurs, voire directeurs sportifs, attendus par les gendarmes, d'étapes qui finissent au commissariat ou à l'hôpital pour y effectuer des prélèvements sur les cheveux des coureurs présumés dopés. La France entière découvre alors l'ampleur du dopage, généralisé dans le peloton, médicalement assisté par des Diafoirus payés par les équipes elles-mêmes. Vieux comme le monde, le dopage s'habille alors de nouvelles molécules alors indécelables, comme l'EPO, un puissant producteur de globules rouges très en vogue.
Le Tour aurait alors mille fois pu disparaître sous le légitime discrédit venant accabler une épreuve à prétexte cycliste qui se moque de la santé des coureurs. Pourquoi continuer de suivre le Tour à la télévision ? Autant sauter dans le virtuel et se régaler en regardant les Triplettes de Belleville au cinéma. Les coureurs, aux mains de maquignons malpropres, y sont perfusés en permanence tout en pédalant sur un home-trainer... La réalité rattrape la fiction. L'Américain Tyler Hamilton, qui a ému la France en 2003 en enquillant les 3 426 km avec une clavicule cassée, se retrouve un an plus tard pincé sur le Tour d'Espagne pour dopage sanguin par transfusion. Ouf. Il avait déjà écrit sa belle page du Tour.
Père-Lachaise
Jean-Marie Leblanc a un secret, l'art de transformer en héros tous les acteurs du Tour. Cet alchimiste est un producteur de mythologies au kilomètre. Richard Virenque symbolise à lui seul tout le dopage dans le peloton ? Il a été spécialement fêté hier, lui qui porta sept fois le maillot à pois des grimpeurs. Dans l'Olympe du Tour, le Varois désormais jeune retraité du vélo est à la droite de Dieu, plus haut que Bahamontes et Van Impe (six titres chacun), pensez donc !
Le Tour ne devrait pas mourir de sitôt, Jean-Marie Leblanc a trouvé l'antidote. Les immortels ne meurent jamais alors, année après année, il tricote un mémorial ici, un anniversaire là, pour retracer dans tous les sens une géographie française à la mesure du Tour. L'épreuve est devenue sous l'ère Leblanc un formidable Père-Lachaise dont on visite les allées avec dévotion. La neuvième étape du Tour 2005 franchira le ballon d'Alsace ? Jean-Marie Leblanc y fêtera «le centenaire du ballon» (sic). Cette vieille montagne arrondie serait donc si jeune ? Que nenni ! En 1905, elle fut pour la première fois empruntée par le Tour de France. La dix-huitième étape arrivera à Mende : «C'est dix ans après la formidable victoire de Jalabert un 14 juillet», s'enflamme le directeur du Tour.
Les morts, c'est encore mieux. Le Tour s'inclinera ainsi en 2005 devant le mémorial Henri Desgrange, premier directeur du Tour, au sommet du Galibier (onzième étape, de Courchevel à Briançon), avant de s'agenouiller devant le mémorial à Casartelli dans le Portet-d'Aspet, descente qui fut fatale au coureur italien en 1995, dix ans plus tôt. A Saint-Etienne hommage sera rendu à Andreï Krivilev, mort ici en course (Paris-Nice) en 2003. Le Tour ne risque plus que l'overdose de nécrophagie.
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