Le cycliste américain, leader de la formation suisse Phonak, est la première «victime» d'une méthode récemment mise au point pour détecter les transfusions sanguines. L'accusé, qui risque de perdre son titre olympique, nie en bloc.
Simon Meier
Grande première dans l'histoire du sport international. Les amateurs de records spectaculaires ou de performances inédites peuvent toutefois ravaler leur joie illico: le haut fait du jour a été commis sur un terrain scabreux, celui du dopage. Avant le cycliste Tyler Hamilton, aucun athlète n'avait été convaincu de dopage par transfusion sanguine – ce qui ne prouve en aucun cas que l'exercice n'est pas répandu. L'Américain de la formation suisse Phonak a donc inauguré ce peu glorieux palmarès. Contrôlé positif à deux reprises – le 19 août à Athènes au lendemain de son titre olympique du contre-la-montre, puis le 11 septembre juste avant son abandon sur le Tour d'Espagne –, l'ancien lieutenant de Lance Armstrong nie formellement avoir agi de manière illicite: «Je suis 100% innocent et je me défendrai contre cette accusation jusqu'à ce que je n'aie plus un euro en poche», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse tenue à Regensdorf (ZH). Comme quoi la procédure pourrait prendre du temps.
Les échantillons sanguins prélevés sur Hamilton laissent apparaître, selon les spécialistes de l'Union cycliste internationale (UCI), «la présence de globules rouges mélangés». Les contrôles ont été effectués selon une méthode récemment mise au point par des scientifiques australiens, utilisée en médecine légale pour des tests de paternité et que seuls les laboratoires de Lausanne et d'Athènes exploitent pour l'heure. Comme le veut la coutume, une contre-expertise des échantillons est en cours, dont le résultat devrait tomber sous 48 heures.
En attendant, Tyler Hamilton demeure la victime potentielle d'un inexplicable malentendu. Du coup, tout le monde fait bloc autour du coureur. Jointe par téléphone, une porte-parole de l'UCI affiche une prudence de Sioux et explique que l'instance faîtière du vélo communiquera sa position sur l'affaire ce mercredi. Andy Rihs, patron de l'Américain chez Phonak, ne laisse pas tomber son protégé: «J'ignore comment ces rumeurs ont filtré, mais je tiens à préciser que cette information n'est pour l'instant pas officielle. Nous sommes totalement derrière Tyler. C'est la première fois qu'un tel test est appliqué et beaucoup de zones d'ombres subsistent. Il s'agit d'un test de probabilités (ndlr: avalisé par l'Agence mondiale antidopage et le Comité international olympique) qui fait l'objet d'une interprétation au terme d'un processus complexe. Beaucoup de choses sont scientifiquement, médicalement et juridiquement peu claires. Je ne peux le garantir, mais je suis convaincu que cette affaire aura une issue favorable pour Tyler.»
En d'autres termes, on trouvera bien une bulle dans la procédure ou un vice de forme quelconque pour blanchir le coureur. Si tel ne devait toutefois pas être le cas, le boss zurichois assure ses arrières: «Ce problème concerne Tyler Hamilton, pas Phonak.» L'Américain sera donc soutenu sans réserve jusqu'au bout de la présomption d'innocence. Au-delà, il sera enterré dans la fosse commune du cimetière des dopés. «Nos contrats stipulent que tout coureur convaincu de dopage est licencié sur le champ», rappelle Andy Rihs. Oscar Camenzind, contrôlé positif à l'EPO le 22 juillet dernier, a appris à ses dépens que cette clause était scrupuleusement respectée.
Tyler Hamilton et ses avocats luttent désormais pour sauver une carrière qui a connu son apogée il y a un mois à Athènes. «Le 18 août est un jour que je n'oublierai jamais, raconte l'intéressé sur son site internet. J'ai rêvé toute ma vie de devenir champion olympique. En me réveillant au lendemain de la course (ndlr: le jour du premier contrôle positif), j'ai sauté hors du lit et je me suis rué sur ma valise pour vérifier si ma médaille était vraiment là. Ma femme a bien rigolé et m'a dit qu'elle non plus ne croyait pas à ce titre.» Depuis, une autre réalité préoccupe le couple.
Le livre qui accuse Lance Armstrong de dopage ne ménage pas son ancien lieutenant.
Simon Meier
L. A. Confidentiel, le livre enquête publié récemment par les journalistes Pierre Ballester et David Walsh, est accablant pour Lance Armstrong. Il n'épargne pas non plus Tyler Hamilton, qui a porté les couleurs de l'US Postal de 1996 à 2001.
Parmi les nombreux témoignages étayant la thèse d'un dopage organisé au sein de la formation américaine, on trouve celui du docteur Prentice Steffen. Interrogé par l'un des auteurs, celui-ci expose le désarroi des troupes lors des premières courses disputées par son équipe en Europe. Sur le Tour de Suisse 1996, les Américains ne suivent pas le rythme infernal de l'épreuve et seuls trois d'entre eux parviennent à boucler la boucle, bien loin des meilleurs. Impuissants, dépités, Hamilton et son coéquipier Marty Jemison demandent à Steffen de se renseigner sur les méthodes employées par la concurrence – l'EPO est alors en plein boum.
«Je suis resté sur ma position, sur ce que je croyais, explique le médecin dans l'ouvrage. Si vous aidez quelqu'un à prendre de l'hormone de croissance ou des corticoïdes dans un but non médical, vous lui faites du mal. Je pensais: de deux choses l'une, ou l'équipe suit ma position, ou j'ai signé mon propre arrêt de mort. [...] Ils ont encore fait appel à moi pour quelques petites courses aux Etats-Unis mais, ensuite, ça a été fini.» Steffen est viré et treize mois plus tard, les neuf coureurs de l'US Postal terminent leur premier Tour de France à l'aise. «Ils avaient probablement eu raison de me dire qu'ils ne pouvaient pas atteindre leur but avec un médecin comme moi», conclut Steffen.
Simon Meier
«Lorsqu'on choisit le vélo comme moyen de communication, il faut accepter le soleil comme la pluie», dit Andy Rihs, patron de Phonak. «Mais j'avoue que je me serais volontiers passé de ce genre de publicité.» Deux mois après le contrôle positif à l'EPO sur la personne d'Oscar Camenzind, qui a d'ores et déjà annoncé sa retraite sportive, un autre coureur de la formation helvétique a été pris au piège. Et pas des moindres puisqu'il s'agit du chef de meute engagé à prix d'or.
Groupe sportif loué par l'Union cycliste internationale pour son sérieux et sa fiabilité financière, Phonak vient d'encaisser deux coups durs, a priori très dommageables pour son image de marque. Car si un coureur convaincu de dopage, aussi prestigieux soit-il, peut être remplacé par un champion dont l'innocence potentielle tient toujours, comment laver une si vilaine tache sur la devanture du magasin.
Posons la question aux dirigeants de la firme Festina, dont la réputation a, dans un premier temps, souffert de l'affaire éponyme de 1998. Mais après s'être fait un nom, la marque horlogère a habilement réintégré le milieu cycliste en devenant annonceur régulier du Tour de France.
Andy Rihs, au-delà d'une passion avérée, a toujours affirmé qu'il exploitait le cyclisme afin de gagner des parts de marché dans le domaine des appareils auditifs. Depuis quatre ans, il injecte des millions pour draguer le chaland via une équipe compétitive. En termes sportifs, les résultats n'ont pas toujours suivi. Aujourd'hui, les médias du monde entier vont se faire l'écho de l'affaire Tyler Hamilton, coureur chez Phonak. On n'aura jamais autant parlé de l'entreprise de Stäfa. L'objectif est atteint.
page mise en archives par SVP