Il serait temps de dire que la cause du dopage n'est pas l'imagination des chimistes, mais les performances inhumaines que l'on demande au corps
Claude Allègre
Que se passerait-il si demain, dans les arènes de Nîmes, un impresario ambitieux organisait un combat de gladiateurs, à mort, quatre contre quatre ? Prime aux vainqueurs : 1 million d'euros chacun. Bien que l'interdiction des jeux du cirque ne soit pas inscrite dans la Constitution ni dans la loi, je ne doute pas que notre ministre de l'Intérieur prendrait un arrêté interdisant ces manifestations et ferait voter en urgence un article de loi sur ce sujet !
Quel sujet ? L'exploitation à des fins commerciales et mercantiles de la vie des hommes ! Mais que faisons-nous aujourd'hui avec le sport de haut niveau ? Pour satisfaire des intérêts économiques de plus en plus puissants - le sport et ses produits dérivés figurent désormais dans les statistiques économiques américaines et bientôt sans doute européennes - on oblige désormais des joueurs professionnels à pratiquer leur sport à une cadence qui dépasse les possibilités physiologiques humaines. D'année en année, les exigences augmentent ! Ainsi demande-t-on aux footballeurs de jouer trois fois par semaine, de plus en plus vite et de plus en plus fort. Au rugby s'affrontent désormais des athlètes de 1,90 mètre, pesant 100 kilos, courant le 100 mètres en 11 secondes : les chocs (même sans volonté de faire mal) sont redoutables et la blessure est devenue un élément de management des clubs.
Résultat : les blessures, souvent graves, se multiplient et les scores finissent par dépendre du nombre et de la qualité des blessés.
Au tennis où, autrefois, on s'alarmait seulement pour le tennis-elbow de l'élégant Américain de Paris Budge Patty, les joueurs tombent comme des mouches. Le n° 1 mondial lui-même, Roger Federer, pourtant si équilibré, a été victime d'un accident musculaire. Chaque tournoi compte à présent son lot de blessés et de forfaits. Mais dans quel état ces sportifs seront-ils dans vingt ans ? Des infirmes ? Certains sont déjà victimes du surmenage ou contraints d'absorber des «potions magiques» pour faire face aux cadences qu'on leur impose. Du coup, on s'inquiète du dopage. Et s'engage la lutte du gendarme et du voleur, du chimiste loyal et du chimiste tricheur. On pique, on pisse, on analyse, on conteste, on légifère et… on recommence. Spirale infernale qui ne s'arrêtera jamais. Il serait temps de dire que la cause du dopage n'est pas l'imagination des chimistes (fût-elle infinie), mais les performances inhumaines que l'on demande au corps humain. Comme le disait un jour un coureur cycliste pris la main dans le sac de l'analyse d'urine : « Vous croyez que vous pouvez faire cette étape de quatre cols à 40 kilomètres à l'heure de moyenne en buvant du jus d'orange ?»
Que font les anciennes gloires pour arrêter cette fuite en avant ? Que font les membres de la Commission de Bruxelles ? Au lieu de perdre leur temps à s'interroger sur l'emballage des camemberts, ils devraient s'intéresser au sort de nos gladiateurs modernes du sport, dont les combats passionnent tant de gens.
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