Le Tribunal arbitral du sport, instance de dernier recours, a contredit la décision prise fin novembre par la commission des licences de l'Union cycliste internationale. La formation helvétique obtient ainsi l'assurance de prendre part, pour les deux prochaines années, aux courses les plus prestigieuses, dont le Tour de France.
Simon Meier
Heureux revirement de situation pour Phonak. Sifflée hors-jeu et expulsée en novembre dernier du nouveau Pro Tour par la commission des licences de l'Union cycliste internationale (UCI), la formation helvétique a vu mardi son appel partiellement admis par le Tribunal arbitral du sport (TAS). Verdict de l'instance suprême au terme d'une procédure d'arbitrage accélérée entamée le 15 décembre: Phonak obtient le droit, pour les deux prochaines années, de s'aligner au départ des vingt-sept épreuves les plus prestigieuses du circuit professionnel, à commencer par le Tour de France et les grandes classiques. Le TAS a estimé qu'il n'était «pas possible d'écarter l'équipe sur la seule base de soupçons de dopage concernant deux coureurs». D'un point de vue sportif et commercial, cette nouvelle donne ne peut que réjouir Andreas Rihs, patron de l'entreprise de Stäfa: «Nous sommes très heureux de retrouver la place que nous méritons, a-t-il déclaré. Je répète que nous avons toujours agi correctement d'un point de vue éthique.»
La commission des licences de l'UCI s'était permis d'en douter suite à l'accumulation de contrôles positifs au sein de l'équipe en 2004 – Oscar Camenzind à l'EPO en juillet, Tyler Hamilton et Santiago Perez par transfusion sanguine en septembre et octobre. «Phonak ne présente pas toutes les garanties en matière de respect de l'éthique sportive», estimait-on il y a deux mois, «et son admission dans le Pro Tour serait aujourd'hui de nature à nuire à l'image du cyclisme.» Demain est, comme souvent, un autre jour. Entre-temps, Phonak a eu la lucidité de licencier Tyler Hamilton, de ne pas renouveler le contrat de Santiago Perez, et d'évincer son manager Urs Freuler ainsi que son directeur sportif Alvaro Pino.
La position de l'instance faîtière a, depuis, radicalement évolué: «L'UCI a pris connaissance de la décision du Tribunal arbitral du sport et souhaite la bienvenue dans le Pro Tour à l'équipe Phonak», communiquait-on hier à Aigle. Un discours très lisse. «Nous n'avons pas à apporter de commentaire, à dire si nous sommes contents ou non de cette décision», répond Alain Rumpf, responsable du Pro Tour. «Je ne préfère pas entrer dans les détails. N'ayant pas encore lu les 31 pages du rapport du TAS, je préfère adopter une position basique et prudente. Ce résultat démontre en tout cas l'indépendance des deux instances.»
Cette réaction empreinte d'un fair-play touchant fait écho à la position tout en douceur du TAS: «Nous respectons la volonté de l'UCI de se montrer intransigeante en matière de lutte contre le dopage», souligne le secrétaire général Matthieu Reeb. «Mais tant que Tyler Hamilton et Santiago Perez ne sont pas reconnus coupables (ndlr: procédures en cours), il est impossible de reprocher quoi que ce soit à Phonak. Le cas de Cédric Vasseur, qui a été lynché dans les médias l'an passé dans le cadre de l'affaire Cofidis, est révélateur. Les accusations contre lui sont levées les unes après les autres. Et par ailleurs, une équipe doit-elle être automatiquement considérée comme responsable de l'agissement de ses coureurs ?»
Vaste question, sur laquelle les membres de la formation Phonak ne s'attarderont pas trop. Ils ont toujours une saison à préparer, dont ils savent désormais qu'elle se jouera dans la cour des grands. «C'est génial!», s'exclame depuis Majorque le grimpeur valaisan Alexandre Moos. «On sent que tout le monde est déjà très motivé par cette nouvelle. Cela me permettra a priori de disputer mon premier Tour de France, et il est plus agréable de rouler en ayant une idée précise du programme qui nous attend.» Actuellement avec une partie de ses troupes sur le Tour du Qatar, le nouveau manager John Lelangue ne cache pas non plus sa satisfaction: «Je suis content à triple titre, déclare le Belge. Pour les coureurs, l'avenir du cyclisme suisse et notre patron Andy Rihs, qui méritait bien ça.»
Ce dernier savoure sobrement sa revanche: «Nous n'avions jamais cessé d'envisager cette issue favorable. L'équipe a d'ailleurs été construite dans la perspective du Pro Tour. Sa base actuelle est très forte, plus forte encore que l'an passé. Et maintenant, nous pouvons aller de l'avant.» Quid des rumeurs faisant état d'un recrutement de dernière minute? «Avec vingt-quatre coureurs, nous sommes un peu justes en nombre, admet le patron. John Lelangue devra faire un choix à ce propos, car idéalement, il en faudrait deux ou trois de plus.» Un souci tout ce qu'il y a de mineur pour une formation heureuse de pouvoir s'accrocher in extremis au bon wagon.
Simon Meier
Phonak récupéré in extremis au sein du gratin mondial de la petite reine? Excellente nouvelle pour l'ensemble du cyclisme helvétique, qui peut ainsi afficher sa présence au plus haut niveau de façon plus massive – ils seront vingt coureurs suisses à participer au Pro Tour, au lieu de neuf avant ce revirement de situation.
Il n'est pas question de vouloir bouder le plaisir, tout à fait légitime, des membres de la formation zurichoise. Dans un communiqué officiel, ceux-ci ne manquent pas de remercier chaleureusement leurs deux avocats, louant leur «intervention très professionnelle et couronnée de succès» auprès du TAS. Un grand bravo à eux. Mais malgré l'euphorie ambiante, force est de constater que les circonstances dans lesquelles l'affaire Phonak a évolué ces derniers mois soulèvent quelques interrogations.
La présomption d'innocence constitue certes une règle absolue aux yeux de la justice. Mais comment un petit mouton noir a-t-il pu se muer aussi vite en brebis blanche et soyeuse? Un bon coup de balai et le prétendu tricheur devient exemplaire, par la grâce d'un système aux inextricables circonvolutions. Dans ce rouage si complexe, qui mène de l'éprouvette au tribunal, un bon juriste trouvera toujours une quelconque bulle procédurière. Et un contrôle antidopage positif n'est finalement pas si grave, dès le moment où celui qui s'est fait pincer nie en hurlant au scandale. Phonak a admirablement utilisé le système. Personne, dans le milieu, n'osera lui jeter la pierre.
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