Le sextuple vainqueur du Tour de France a annoncé, lundi à Augusta, qu'il mettrait un terme à sa carrière en juillet prochain, après une ultime Grande Boucle. Désireux de consacrer plus de temps à ses enfants, l'Américain devra par ailleurs répondre à certaines accusations de dopage.
Simon Meier
Y avait-il une seule bonne raison pour que Lance Armstrong prolonge sa carrière de cycliste professionnel ? Assurément pas. Sextuple vainqueur d'un Tour de France qu'il disputera pour la dernière fois au mois de juillet, l'Américain a annoncé lundi à Augusta, à la veille du départ du Tour de Géorgie, qu'il tournerait le dos au peloton après cette ultime Grande Boucle. On le comprend. A 33 ans, le champion possède un palmarès et un compte en banque qui ne peuvent que le combler. Son histoire d'amour avec la chanteuse Sheryl Crow, de même que l'absence pesante de ses trois enfants lorsqu'il court en Europe n'étaient pas non plus de nature à inciter le Texan à repartir pour une année supplémentaire de souffrances et de sacrifices. Last but not least, Lance Armstrong n'avait sans doute pas envie de fréquenter plus longtemps un milieu qui le respecte sans l'aimer; qui l'admire et le craint les yeux dans les yeux, mais qui, dans son dos, le jalouse et va jusqu'à le soupçonner d'ingurgiter autre chose que du jus d'orange et des corn flakes avant de gravir un col.
Au-delà de sa situation familiale et du poids des années, le leader de la formation Discovery Channel est surtout usé par le scepticisme récurrent qu'a soulevé son écrasante supériorité sur les chemins de l'Hexagone. Après chaque exploit, le doute a enflé dans bien des esprits : ces performances surnaturelles sont-elles naturelles ? Ce doute constant et pernicieux a constitué pour Lance Armstrong une adversité plus redoutable encore, peut-être, que le cancer qu'il a vaincu en 1997. « Si son histoire est vraie, c'est le plus grand come-back de l'histoire du sport. Si elle ne l'est pas, c'est la plus grande fraude », avait déclaré l'ancien coureur Greg LeMond à propos de son compatriote, lors d'un entretien publié en juillet 2001 par le Sunday Times. En route pour sa troisième victoire sur le Tour, Armstrong avait répliqué illico presto dans les colonnes de Libération : « Quand je me lève le matin, je peux me regarder dans la glace et dire : je suis propre. C'est à vous de prouver que je suis coupable. »
Répondant à l'invitation du champion, deux journalistes – le Britannique David Walsh et le Français Pierre Ballester – ont consacré trois ans à la question : clean ou pas clean, le monstre du bitume ? Et, depuis la parution, en juin 2004, de leur livre-enquête L.A. Confidentiel – Les secrets de Lance Armstrong, l'étau s'est resserré autour du Texan. Parmi les quelque quatre-vingt témoignages que comporte l'ouvrage, celui de l'Irlandaise Emma O'Reilly est particulièrement accablant. L'ancienne masseuse du coureur chez US Postal affirme de façon catégorique que l'athlète a triché. Elle a confirmé sa version des faits, le 10 juillet dernier, dans les locaux de la brigade des stupéfiants de Paris. « L'affaire suit son cours, un procès est prévu pour fin 2006 », explique Pierre Ballester, poursuivi en justice par le champion au même titre que la maison d'édition de La Martinière. « L'accumulation récente des affaires autour de Lance Armstrong conforte notre position. Ce livre a ouvert des portes, délié des langues. »
Et causé bien des soucis à celui qui considère ce travail comme un « tissu de mensonges ». Proche de l'Américain, le sulfureux « Docteur » Michele Ferrari a été condamné par la justice italienne, en octobre 2004, à un an d'emprisonnement avec sursis pour « fraude sportive et exercice abusif de la profession de pharmacien ». Le modeste coureur Filippo Simeoni, qui a eu l'outrecuidance de témoigner contre Ferrari dès 2002, s'est attiré les foudres d'Armstrong. Traité de « menteur absolu », puis vertement remis à l'ordre par le boss alors qu'il tentait une échappée sur la route de Lons-le-Saunier le 23 juillet dernier, l'Italien a poursuivi le Texan pour « diffamation », puis « violence privée ». Suspecté d'avoir « conseillé » Armstrong d'un peu trop près, l'ostéopathe français Benoît Nave a lui aussi été mis en cause par le Tribunal d'Annecy, qui a ouvert une information judiciaire en novembre 2004.
Et pour ne rien arranger, Mike Anderson, « assistant » de l'Américain entre 2002 et 2004, vient de faire des révélations embarrassantes. Licencié en fin d'année dernière, l'homme n'a pas reçu les 500 000 dollars d'indemnité qu'il réclamait. Basse vengeance ou accès subit d'honnêteté, il a récemment affirmé à un juge d'Austin qu'il avait découvert, en février 2004, des anabolisants dans la salle de bains du domicile espagnol d'Armstrong, à Gérone. Il prétend par ailleurs que le coureur aurait savamment évité un contrôle antidopage inopiné juste après le Tour de France 2004. Beaucoup de bruit pour rien, espérons-le. Lance Armstrong, qui déploie la même froideur et la même férocité à se défendre en coulisses qu'à se battre sur les routes, possède toutes les raisons du monde d'être las. De délaisser les feux de la rampe pour prendre soin de sa progéniture. Obsédé du défi, il mettra auparavant tout en œuvre, avec le précieux concours de ses dévoués coéquipiers, pour fêter un septième sacre sur les Champs-Elysées.
Qu'il accomplisse ou non ce nouvel exploit, le 24 juillet prochain, il lui restera un double challenge à relever. Le plus ardu, le plus important. Il s'agira de prouver aux sceptiques du monde entier qu'ils se sont trompés; et de montrer à tous les autres qu'ils ont eu raison d'admirer ce champion à la volonté et à l'intelligence uniques. Alors, enfin, Lance Armstrong pourra brandir son palmarès en toute sérénité.
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