Six échantillons urinaires de l'Américain, pris au Tour de France 99, ont révélé la présence d'EPO exogène
Philippe Van Holle
BRUXELLES - Le journal français L'Equipe a mené l'enquête pendant quatre mois et les résultats obtenus sont indiscutables, preuves à l'appui. Sur une page pleine, le quotidien publie, d'une part, le rapport du laboratoire de Châtenay-Malabry, et, d'autre part, les procès verbaux (avec, à chaque fois, le numéro d'identification des flacons repris sur ledit rapport) des contrôles subis par Lance Armstrong en 99, au Tour de France: à six reprises, aux contrôles du prologue, au Puy- du-Fou (le 3 juillet, il l'emporte), de Challans (le 4), de Sestrières (le 13, il gagne aussi), de l'Alpe d'Huez (le 14, il est 5e à 25 secondes du vainqueur Guerini), de Saint-Flour (le 16) et de Saint-Gaudens (le 18), l'Américain est positif à l'EPO exogène ou recombinante. Impossible de nier l'évidence, tout est là, noir sur blanc... mais six ans plus (trop) tard !
Durant les six autres Tours qu'il gagna ensuite, Armstrong ne sera pourtant jamais testé positif. Comment dès lors expliquer cette première (multiple) mais unique fois? C'est assez simple. En 1999, les instances mondiales du cyclisme ne disposaient pas d'un test de dépistage de l'EPO. Les coureurs-tricheurs pouvaient donc dormir sur leur deux oreilles et s'administrer à l'aise la fameuse érythropoïétine, sachant qu'ils demeureraient de toute façon impunis. On applique comme toujours la politique du pas vu pas pris et, quand on n'est pas pris, dans l'esprit de beaucoup, on est blanc comme neige ! En 2000, il n'existait toujours pas de test fiable pour l'EPO au Tour de France (c'est aux Jeux de Sydney que l'on sera capable, pour la première fois, de la déceler officiellement, grâce à un double procédé urine et sang), mais la ministre française des Sports avait brandi une menace, en faisant congeler les échantillons prélevés lors de la Grande Boucle 2000 et en déclarant qu'ils pourraient éventuellement servir de base à des tests pratiqués ultérieurement. Du coup, les tricheurs avaient pris peur et, si l'on peut dire, mis la pédale douce en ce qui concerne l'EPO.
C'est donc ce sentiment d'impunité qu'avait Armstrong en 99 qui l'aura finalement perdu. Jamais, il n'aurait cru que l'on procéderait à l'analyse de ses échantillons, vieux de 6 ans, en vue d'affiner les tests actuels (c'est la raison invoquée par le laboratoire français, lequel pratique ses tests à l'aveugle, puisqu'aucun nom, mais seulement un numéro d'identification, ne figure sur les flacons). Un enquêteur zélé du journal L'Equipe décida d'aller plus loin en comparant les fameux numéros... pour en déduire, donc, que six contrôles positifs étaient à mettre au nom du septuple vainqueur de la Grande Boucle. Voilà qui, dans le chef de l'Américain, fera vaguement désordre. Et l'expression est faible parce que ces contrôles (positifs a posteriori) effectués lors de son premier Tour victorieux jettent, pour le moins, le doute sur les six autres succès politiquement et techniquement corrects du Texan.
D'un point de vue strictement légal et sportif, Armstrong ne risque pourtant pas grand-chose. Pour la bonne raison qu'il n'y a plus d'é- chantillon A (utilisé en 99 par le labo), que c'est le B qui a conduit à ces stupéfiantes constatations et qu'il n'y a pas d'échantillon C qui serait de toute façon nécessaire en cas de contre-expertise demandée par Armstrong. Sans contre-expertise, pas de cas positif. Et comme le B a déjà été employé et par conséquent ouvert (donc souillé légalement parlant), Armstrong peut continuer à dormir tranquille. Encore que...
Lance Armstrong continue de se défendre avec les mêmes arguments
C'est un peu par hasard que la positivité d'Armstrong au Tour 99 a été découverte, puisque les analyses n'avaient pas pour but de dénoncer d'éventuels tricheurs (en 99) mais bien uniquement d'affiner les critères de positivité de la méthode de détection utilisée de nos jours. Il n'empêche que les résultats sont plus que troublants et qu'ils écornent aujourd'hui fameusement la réputation du Texan. Celui-ci, pourtant, se défend toujours avec les mêmes arguments. «Une fois encore, un quotidien européen rapporte que j'ai été testé positif à des produits dopants, dit-il. Malheureusement, la chasse aux sorcières continue et l'article n'est rien moins que du journalisme de tabloïd. (...) Je redis simplement ce que j'ai dit à maintes reprises: je n'ai jamais pris de produit dopant.»
Rien de nouveau dans la bouche de l'Américain. Logique, après tout, puisqu'il sait qu'il ne risque rien (une contre-expertise étant impossible faute de flacon vierge restant) et que, surtout, s'il admettait quoi que ce soit, il pourrait perdre beaucoup, selon le règlement UCI (reconnaître s'est dopé correspond à un test positif, avec déchéance de titre ou de victoire). Malgré les preuves tangibles, Armstrong doit donc s'en tenir au même discours. Connaissant le bonhomme, il n'en restera pas là. L'arme la plus efficace d'Armstrong a toujours été l'attaque. On peut être sûr que la batterie d'avocats qu'il possède est, depuis hier, en train de chercher la faille dans l'enquête menée de longue date par les journalistes de L'Equipe, dont on soulignera en passant qu'il est tout sauf un journal tabloid (comme l'affirme Armstrong). Il s'agit au contraire d'un quotidien qui, dans le monde du sport, fait largement référence, et le journaliste qui signait hier ce dossier (Damien Ressiot) est l'un des rares a avoir suivi une formation scientifique spécifique à la problématique du dopage.
Il apparaît clair, dans tout cette affaire, que Lance Armstrong paie aujourd'hui l'arrogance dont il a fait preuve pendant ses 6 années de règne sans partage sur le Tour de France. Des coureurs comme Simeoni (accusés par le Texan d'avoir raconté des mensonges à son sujet dans le cadre du procès Ferrari, le médecin - entre autres - d'Armstrong) pourraient largement en parler. Même Philippe Gilbert, qui se fit rappeler à l'ordre, le dernier jour du Tour 2005, lorsqu'il tenta de s'échapper afin d'arriver le premier sur les Champs Elysées, ce qui était aussi l'objectif d'Armstrong. Comme si le maillot jaune ne lui suffisait pas...
A force de crier son innocence (en matière de dopage) aux journalistes, de les défier - en les regardant de haut - de prouver le contraire, à force de vouloir jouer le boss avec la presse, il fallait bien, que le boomerang lui revienne en pleine figure. Et s'il est une chose que les gens détestent, c'est qu'on leur mente, effrontément...
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