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27 août 2005

La traque aux tricheurs

La période d'insouciance et de jeu de l'autruche concernant le dopage dans le sport est maintenant terminée

Guillaume Bourgault-Côté

Pendant des années, le monde du sport s'est accommodé du dopage. Problème nié, souvent camouflé. Sinon, les justificatifs les plus surprenants étaient offerts en explication aux tests positifs. Ainsi le cycliste Richard Virenque, «dopé à l'insu de [son] plein gré» en 1998, ou le sprinter Dennis Mitchell, se disant victime d'une nuit torride qui aurait fait exploser son taux de testostérone la même année. Mais avec le travail de l'Agence mondiale antidopage (AMA), l'entrée en vigueur du code mondial antidopage (CMA) et l'entrée récente des sports professionnels nord-américains dans la lutte, cette période d'insouciance et de jeu de l'autruche paraît bel et bien terminée.

En dépit des dénégations des dirigeants, le cyclisme a toujours été montré du doigt concernant le dopage. Ce n’est cependant pas le seul sport «coupable».

C'est une véritable bombe qu'a lancée cette semaine le journal sportif français L'Équipe, même si l'affaire Lance Armstrong ne débouchera probablement sur aucune sanction sportive. La découverte d'EPO (érythropoïétine) dans des échantillons d'urine datant de 1999 ayant été faite dans le cadre d'essais scientifiques -- sans possibilité de contre-expertise --, les tests qui incriminent le plus grand champion cycliste de l'histoire du Tour de France n'ont pas valeur de preuve juridique. Et le CMA, qui prévoit que des sanctions de déclassement peuvent être prises jusqu'à huit ans après les faits, n'était pas en vigueur à ce moment.

Pour l'instant, Armstrong est donc techniquement sauf. Mais son honneur et sa légende, déjà mis à mal par de multiples témoignages, ont subi un autre coup dur, comme une chute à 80 km/h dans un col alpin. On ne s'en relève pas sans écorchures. Le miraculé du cancer revenu au monde par une chevauchée extraordinaire contre le vent, la pluie et le froid entre Grand-Bornand et Sestrières en 1999, l'athlète transfiguré qui moulinait les petits braquets à une vitesse folle dans les pentes les plus dures des montagnes françaises, l'absolu maître du peloton pendant sept ans doit aujourd'hui répondre de ses exploits : faussaire ou génie du vélo ?

Selon Dick Pound, président de l'AMA, dont le siège est à Montréal, le message lancé cette semaine «est que peu importe si vous échappez aux contrôles aujourd'hui, on va vous attraper à un moment donné». L'évolution actuelle de la lutte antidopage pourrait bien donner raison à son grand manitou. Après des années de négligence, les mentalités changent. Il y a maintenant consensus international sur le problème et la nécessité d'y remédier.

L'époque où les fédérations nationales pouvaient cacher les tests -- le sprinter Carl Lewis, généralement considéré comme le plus grand athlète des 50 dernières années, a été testé positif dans les années 80 sans que l'affaire sorte jamais des États-Unis, et une centaine de cas similaires ont été révélés --, celle où le dopage était une affaire d'État (les fameuses nageuses est-allemandes à la voix grave et aux épaules sculpturales), tout ça appartient au passé -- ou est en voie de l'être.

La naissance du CMA, reconnu depuis Athènes par toutes les fédérations internationales de sports olympiques et les comités nationaux olympiques, a permis l'harmonisation et l'uniformisation des règles de dépistage des substances interdites ainsi que des sanctions applicables. Et puisque de nombreux gouvernements ne peuvent pas être liés juridiquement par un document produit par une organisation non gouvernementale, un autre pas sera franchi à l'automne avec l'adoption de la Convention internationale sur le dopage de l'UNESCO. Celle-ci créera, selon Dick Pound, «une obligation entre les États d'adopter le CMA comme base de la lutte antidopage au niveau étatique. Mêmes règles, mêmes procédures, mêmes sanctions, même droit d'appel, peu importent le sport et le pays».

Les ligues professionnelles (qui échappent à l'autorité du CMA) font aussi des pas dans la bonne direction. Ainsi, la National Football League (NFL) et la National Basketball Association (NBA) ont mis sur pied leurs propres systèmes de dépistage, qui n'ont toutefois pas encore livré beaucoup de coupables. Lors des récentes audiences du Congrès américain sur le dopage, le commissaire du baseball majeur a fait part de son intention de durcir les sanctions actuellement imposées aux fautifs qui se gonflent les bras pour frapper la balle hors des stades.

Même la Ligue nationale de hockey (LNH) vient d'embarquer : avant la signature de la convention collective, la LNH n'avait aucun programme antidopage. Dorénavant, de lourdes suspensions seront imposées pour les deux premières infractions, et la troisième vaudra un bannissement à vie au coupable. Parallèlement à ces initiatives, les membres du Congrès ont déposé au printemps dernier un projet de loi qui sanctionne l'usage de stéroïdes anabolisants dans ces quatre sports majeurs. «Les tricheurs sont toujours en avant, résume Dick Pound, mais ça s'améliore beaucoup. Et on peut croire que les ligues professionnelles vont finir par être tenues de respecter le CMA.»

Mise sur pied dans la foulée du scandale Festina en 1998, ce Tour de France lors duquel le problème de l'EPO a complètement occulté la course, l'AMA se porte bien aujourd'hui, confie son président. Près de 95 % des contributions attendues des gouvernements et des fédérations parviennent ainsi à l'AMA, chargée d'accréditer les laboratoires de dépistage, de superviser et de coordonner la lutte à l'échelle mondiale.

«C'était terriblement difficile au départ, a indiqué M. Pound. Mais avec la publicité qui est faite aujourd'hui, la participation des gouvernements aux négociations, le CMA, la collaboration du Comité international olympique [CIO, dont le président Jacques Rogge est en train de faire oublier les années Samaranch, caractérisées par un profond laxisme sur la question du dopage], ça va bien. Ce n'est pas par hasard que le Congrès américain s'est penché sur la question dernièrement et que le président Bush a fait mention du problème dans son discours sur l'état de l'Union en 2004.»

Selon Christiane Ayotte aussi, la situation est encourageante. Directrice du laboratoire de contrôle INRS-Institut Armand-Frappier, l'experte mondialement réputée analyse que le processus de lutte est bien enclenché aux États-Unis. «Ce que je vois là me fait grandement plaisir, dit-elle. Pendant des années, il y a eu un refus systématique d'aborder la question chez les professionnels. Ç'a changé sensiblement. L'engrenage est lancé.»

C'est le scandale BALCO qui a tout bouleversé, croit Mme Ayotte. Ce laboratoire américain a fourni des produits dopants à une foule d'athlètes de pointe, a reconnu en 2003 son directeur, Victor Conte. Les sprinters Marion Jones et Tim Montgomery (qui, à ce propos, a été le premier à battre le record non valide établi par Ben Johnson au disgracieux 100 mètres de Séoul, là où tout le podium a fini un jour ou l'autre par reconnaître avoir fait usage de drogues) font partie du lot, de même que les joueurs de baseball Barry Bonds et Jason Giambi. «C'était leur scandale, avec leurs drogues, leurs athlètes, leurs méchants, leurs bons. À ce moment-là, il y a eu un consensus comme je n'en avais jamais vu auparavant.»

Dans l'ensemble, malgré les énormes défis posés par l'arrivée de nouveaux produits dopants sans cesse plus difficiles à détecter (la question des «athlètes génétiquement modifiés» pourrait ainsi surgir dès Pékin 2008), Mme Ayotte fait remarquer «qu'on a réussi à insuffler un peu d'inquiétude chez les athlètes. Il reste maintenant à changer les sous-cultures présentes dans l'ancien sport pour anticiper une victoire décisive sur le dopage».

Éthique
Christiane Ayotte a été une des rares personnes à exprimer ses craintes par rapport à l'affaire Armstrong cette semaine. En effet, selon elle, les résultats n'auraient jamais dû être dévoilés au public, pour la bonne raison que les tests ont été faits sur une base expérimentale et à partir de flacons anonymes, que le journal L'Équipe a pu identifier grâce à des fuites. «Ça pose un grave problème éthique, dit Mme Ayotte. Nos règles sont strictes : ou bien on fait de la recherche, ou bien on fait des analyses rétrospectives. Les deux peuvent se faire, mais en suivant les règles données. Et les échantillons doivent être anonymes si on fait de la recherche : ils ne l'étaient visiblement pas à Paris.»

Mme Ayotte ne doute pas de la fiabilité du résultat mais plutôt de la chaîne de possession. «Si on teste, il faut qu'il y ait une fiole B qui permette une contre-expertise. Et il faut que la traçabilité de l'échantillon soit parfaite. C'est plus difficile après cinq ans. [...] Mais le problème, c'est surtout au niveau du lien de confiance entre les athlètes et les fédérations sportives. C'est un bris grave de confidentialité que d'avoir décodé un échantillon et de l'avoir attribué à un athlète en dehors du contexte du sport.»

Reste que sur le fond, l'affaire Armstrong et les révélations des dernières années donnent à espérer, comme le souhaite Dick Pound, que les fripons aux muscles soufflés auront dorénavant l'impression d'avoir aux trousses non plus une petite communauté scientifique mais plutôt tout un mouvement mondial concerté. À terme, cela pourrait éviter d'avoir à récrire l'histoire sportive avec des astérisques à côté de chaque record : Mark McGwire prenait de l'androsténédione, Florence Griffith-Joyner est morte d'un arrêt cardiaque à 38 ans, Carl Lewis était peut-être aussi dopé que Ben Johnson. Ou, tout simplement, cela pourrait permettre d'éviter des décès comme celui du cycliste britannique Tom Simpson, mort en plein Tour de France 1967 sur les pentes du Ventoux, les yeux exorbités d'amphétamines.

Quant à Lance Armstrong, il faudra attendre encore avant de savoir vraiment de quel mélange il se chauffait. Lui dément toujours formellement avoir pris quoi que ce soit, comme s'il répondait à distance au cri d'incrédulité qu'un jeune supporteur de baseball avait lancé en 1920 au moment où son idole, Joe Jackson, se présentait au tribunal pour témoigner de son implication dans le scandale des White Sox : Say it ain't so, Joe.


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Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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