L'affaire Museeuw crée un malaise
Le dopage a-t-il aidé le Flandrien dans sa « belle » carrière ? On doit le craindre...
Stéphane Thirion
Quand il était coureur, l'acteur principal de la présentation officielle de son équipe dans les immenses jardins d'un restaurant de Tielt, c'était lui. Or, ce lundi, Quick Step déroule le tapis rouge pour ses coureurs, son staff technique face à la presse, mais, on l'imagine, dans une ambiance pour le moins délicate. Car si l'attaché aux relations publiques (une de ses fonctions) de l'équipe belge, un certain Johan Museeuw, débarque tout à l'heure, il sera, une fois encore, l'acteur principal, mais dans un rôle de truand sur base d'un scénario que la Belgique sportive a découvert avec dégoût.
Les révélations du journal De Morgen qui a eu accès au dossier de l'affaire Landuyt - Versele (voir la chronologie de l'enquête par ailleurs) permettent d'affirmer, sauf complot surréaliste, que Johan Museeuw s'est bel et bien dopé. Les conclusions du parquet de Courtrai qui dirige l'enquête sont même plus larges. Ainsi, notre confrère Hans Vandeweghe reprend les propos d'un enquêteur qui prétend que plus de la moitié du peloton flandrien « serait touché » par cette vaste affaire, ce trafic présumé de produits dopants.
Le parquet est précis sur un point essentiel : il est établi que Museeuw a pris de l'EPO et de l'Aranesp (un produit semblable à l'EPO). Les messages écrits (SMS) échangés entre les portables du coureur et le vétérinaire José Landuyt laissent, en effet, peu de doutes (voir nos éditions de samedi). Par un hasard que l'on qualifiera de délicat, Museeuw était samedi matin à Dixmude à l'invitation de notre confrère de la VRT Karl Vannieuwkerke pour un rendez-vous entre anciens professionnels, professionnels et cyclotouristes de tous les horizons pour une promenade au bénéfice des victimes du tsnunami. En tenue de coureur, le Flandrien fut évidemment la proie des micros et des caméras.
Je n'ai rien fait de mal, je le répète. J'ai l'impression qu'on cherche à me faire tomber, à m'enfoncer. Moi, j'ai fait mon travail sérieusement pendant de longues années. Je n'en dirai pas plus : il est anormal que cette affaire apparaisse aussi facilement dans les médias.
Cette réflexion, objective, était au centre de tous les commentaires dans l'entourage de l'ancien champion. Johan Museeuw ayant toujours collaboré avec la justice en se gardant bien de faire des déclarations à la presse, ce qui arrive ici est absolument anormal, expliquait son avocat, Me Lievens, à la VRT. Chaque personne a le droit à la présomption d'innocence. Certaines règles élémentaires ont été violées par la parution des éléments du dossier dans un journal.
Des fuites qui ressemblent furieusement à celles qui avaient mis en lumière un autre trafic présumé de produits dopants autour de Frank Vandenbroucke, affaire depuis instruite et plaidée. Des fuites qui stigmatisent un malaise oppressant dans le milieu du cyclisme belge... J'ai toujours dit que cette affaire appartenait à la vie privée de Johan Museeuw, répétait pour sa part le patron de Quick Step, Patrick Lefevere. Le dossier Museeuw - Landuyt est du domaine privé, mon équipe n'est pas concernée.
Il est pourtant urgent, désormais, que les responsables du calibre de Patrick Lefevere, soit ouvrent les yeux, soit sortent de leur réserve, soit acceptent la réalité. S'ils n'ont effectivement aucune emprise sur la vie privée de leurs coureurs, sur un recours potentiel à la tricherie via le dopage, les responsables en question ne peuvent plus se retrancher derrière de tels arguments. Quand la Ligue vélocipédique belge (LVB) a infligé quatre ans de suspension (dont deux ferme) à Museeuw, Peers et Planckaert (les deux autres coureurs concernés par l'affaire), personne ne s'est étonné de la sévérité du verdict. Cette sévérité fut tout simplement le résultat d'une lecture objective des éléments dont la LVB était en possession. Plusieurs questions resteront toutefois sans réponse dont celle-ci : les SMS échangés entre Landuyt et Museeuw se situent en juillet 2003, une période de « préparation » pour le Flandrien avant les classiques du mois d'août. Or, il n'a rien gagné, sinon une course derrière derny en septembre, cet été-là. L'essentiel, pour le Flandrien, c'était le printemps : s'il prenait de l'EPO en juillet au point d'atteindre un hématocrite de 52 %, que faisait-il en hiver ?
un commentaire de Stéphane Thirion
Une bombe à retardement, mais une bombe tout de même, plus vicieuse ! Une bombe chimique dans tous les sens du terme : le meilleur coureur belge de la génération écoulée, le plus grand coureur de classiques depuis Eddy Merckx se serait dopé en absorbant, notamment, de l'EPO, de l'Aranesp. Doit-on encore utiliser le conditionnel après la publication des messages téléphoniques échangés par écrit entre Johan Museeuw et le vétérinaire José Landuyt ? Tant que l'affaire n'a pas été jugée, l'objectivité commande de répondre par l'affirmative, mais, lorsqu'elle touche le sommet d'une pyramide, une affaire de dopage comme celle-ci doit mettre fin à la politique de l'autruche.
Le président du Comité international olympique en personne avait été le premier, voici quelques semaines, à lever le bouclier sur la question. Les commentaires de Jacques Rogge avaient suscité l'indignation de Patrick Lefevere. Personne ne voudrait être à la place de ce dernier aujourd'hui...
Johan Museeuw n'a jamais été contrôlé positif avant ou après une course. Il a à peine connu les contrôles inopinés hors compétition. Il a commencé à courir chez les professionnels en pleine « génération EPO », ce fameux produit découvert dans le cadre de l'affaire Festina en 1998. Ce qui signifie : que les contrôles ne sont pas suffisants et/ou mal faits ; que Museeuw a eu beaucoup de chance en passant entre les gouttes (affreux jeu de mots) ; que malgré tout ce qui a été dit, écrit, etc., sur l'EPO, les « sportifs » en consomment encore ; que tout cela est un scandale, comme le prétend le principal concerné. A nous de choisir une ou plusieurs versions. La dernière émise consisterait à faire passer la planète entière pour un tas d'imbéciles heureux. Les autres nous invitent au malaise, à des inquiétudes tenaces : le sport le plus touché par le dopage continue-t-il, en toute impunité, à recourir à la tricherie ? Et 2004 a été une année noire pour le vélo : Hamilton, Perez, Millar, Meirhaeghe, entre autres, ont été reconnus coupables de dopage. Les contrôles ont donc été, dans les cas cités, magistralement orchestrés. Museeuw, lui, n'a jamais été « pris ». Mais, souvenons-nous, Richard Virenque non plus, avant le scandale de 1998. Conclusion : ils ont pris leur retraite au bon moment, et, comme l'a souligné Jacques Rogge, il convient objectivement de lire avec des réserves le palmarès du « Lion des Flandres ».
Stéphane Thirion
Juin 2003. Le parquet de Courtrai mène une enquête autour d'un trafic de produits dopants dont la figure centrale serait un vétérinaire d'Oostrozebeke, José Landuyt, dont le téléphone est mis sur écoute. Les enquêteurs ont la surprise de découvrir que certains coureurs cyclistes sont régulièrement en contact avec le vétérinaire, dont Johan Museeuw en personne.
4 septembre 2003. Landuyt est arrêté ainsi qu'un « soigneur », Herman Versele. Plusieurs perquisitions conduisent les enquêteurs à convoquer Johan Museeuw, Chris Peers, Jo Planckaert et Mario De Clercq. Les coureurs sont entendus durant de longues heures.
11 septembre 2003. Alors que des fuites (déjà...) mentionnent de curieux échanges téléphoniques (pain coupé, guêpe...), les coureurs concernés subissent des contrôles sanguins et urinaires.
Janvier 2004. Lors d'une conférence de presse, Museeuw clame son innocence après le résultat négatif des tests effectués en septembre.
Mars 2004. Les dossiers sont transmis par le parquet de Courtrai à la Communauté flamande puis à la LVB (Ligue vélocipédique belge), laquelle engage une procédure disciplinaire.
Avril 2004. Museeuw met un terme à sa carrière à Schoten comme il l'avait toujours prévu. C'est la fête.
8 octobre 2004. Après de longues réunions et réflexions, la LVB inflige 4 ans de suspension (dont deux avec sursis) à l'encontre de Museeuw, Planckaert et Peers. Encore sous contrat, les deux derniers cités arrêtent prématurément leur carrière. Détail capital, qui permet de comprendre peut-être certaines choses aujourd'hui : personne ne fait appel de cette (lourde) sanction.
1er décembre 2004. Les coureurs sont officiellement inculpés dans un trafic de produits dopants.
28 décembre 2004. Museeuw attaque la LVB en justice, car, selon son conseil, la commission de la Ligue était incompétente pour prendre des mesures disciplinaires.
7 janvier 2005. Le journal « De Morgen » prend connaissance du dossier et révèle que Museeuw s'est dopé à l'EPO et à l'Aranesp.
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