Antoine Vayer, ex-entraîneur cycliste, analyse les méthodes de dopage de Manolo Saiz qui l'ont fait chuter.
Jean-Louis Le Touzet
Professeur d'éducation physique et sportive, Antoine Vayer, 43 ans, dirige AlternatiV une cellule de recherche sur la performance, à Laval (Mayenne). « Manolo Saiz est presque un intime au regard de nos parcours. Mon faux jumeau en quelque sorte. J'ai la chair de poule à l'idée que j'aurais pu être son alter ego si 1998 n'avait pas existé. Comme Manolo j'aurais pu être, moi aussi, une sorte de "Dieu le père du cyclisme". Comme lui, j'ai suivi une formation universitaire de "prof de gym" jugée "intellectuelle" et forcément décalée dans un milieu consanguin composé d'anciens coureurs.
« Formés à la physiologie, au rationnel, nous avons été confrontés au pouvoir du "scientisme" qui fait autorité dans le milieu et qui permet de diriger à la baguette des athlètes de haut niveau. C'était ça ou, pour moi, faire travailler des élèves de sixième. Lui et moi avons côtoyé de fameux docteurs passionnés de cyclisme et dont le métier est la culture in vitro. Ou comment "booster" un coureur alors que nous prônions, nous, la pratique in vivo comme seule technique d'entraînement.
« Comme Manolo, j'ai concocté des plans en tant qu'entraîneur pour les meilleurs cyclistes du monde lors de mon passage au sein de l'équipe Festina, celle de la grande époque. Manolo, lui, avait déjà construit son équipe grâce au sponsor Once, une association aidant les non-voyants espagnols. Un Français a appartenu neuf ans à la Once. C'était les "années EPO". La Once, c'était sa deuxième famille. Ce coureur a fini quatre fois premier au classement mondial de l'Union cycliste internationale (UCI) avant que Manolo ne la noyaute et ne la façonne à son idée. Après une saison 1995 inoubliable, ce coureur préfaçait un ouvrage consacré au vélo et écrivait ces lignes : "Le cyclisme entrera dans le deuxième millénaire sans se détacher, soyez-en sûrs, de ses valeurs principales : le travail, le courage et la beauté de l'action."
« À cette époque, certains athlètes issus de la Once, qui étaient capables d'étirer un peloton pendant 200 km à 50 km/h pour leur leader, ont rejoint Festina. J'ai gardé les plans de Manolo, où fourmillaient des exercices de musculation, que j'estimais incompatibles avec l'idée que je me faisais du métier et je passe sur les détails pointus au sujet des filières énergétiques, de l'apport de l'oxygène, bref, de tout ce dont on parle tant depuis quelques jours. Les athlètes, les docteurs, Manolo et moi-même grâce à nos formations et notre vécu savons que, pour ajouter aux surréalistes performances que l'EPO (ou bien ces poches de sang, ersatz non détectable) peut procurer, les cures d'hormones sont une solution foudroyante qui peut amener un sprinter à devenir grimpeur ou encore un grimpeur à se transformer en rouleur.
« Lui et moi savions aussi que ces produits permettaient de résoudre une équation insoluble pour l'entraîneur. Ou comment arriver à un taux de rendement énergétique brut de 26 % en lieu et place des 20 %, alors admis dans nos manuels de sciences humaines ? Comme Manolo j'ai eu un fils prodigue issu du même village : Mazamet. Le mien s'appelait Bassons. Lance Armstrong et son célèbre "fuck you !" ont fini par le bouter hors du milieu lors du Tour de France 1999 à cause de nos prises de position contre le dopage.
« Avec Manolo, nos voies ont bifurqué à cette époque à cause de nos fréquentations d'athlètes et de notre lecture du sport. J'enseigne depuis à nouveau en collège mais tout en observant en expert ce même milieu où l'on continue à se griser en vivant au-dessus les lois de la physiologie et de la justice sportive. Pour moi, Manolo, personnage public, tiendrait à la fois de Rolland Courbis pour cette faconde théâtrale, de Didier Gailhaguet pour son intelligence et sa connaissance des coulisses du sport et de Philippe Lucas (1) pour ce côté grande gueule et coeur d'artichaut pour ses coureurs. Comme Gottfried Wilhelm von Leibniz, inventeur de la première machine mécanique capable d'additionner, soustraire, multiplier et diviser, nous calculons à AlternatiV les vitesses ascensionnelles de plus de 1 500 mètres par heure d'un Ivan Basso, et pour ne prendre que lui par exemple, lors des dernières étapes du Giro qui vient de se terminer. Quand je vois ça, je me dis que nous étions vraiment des minables chez Festina, pourtant première équipe du monde survitaminée. Depuis, j'ai appris que, derrière chaque tricheur, il y a un menteur. Que derrière chaque menteur il y a un voleur. Mais qui va voler les lauriers du Tour 2006 ? Bientôt on va savoir. »
(1) Respectivement entraîneur de football, de patinage et de natation.
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