Laure Espieu
Ça commence avec des fêtes. Un mariage ou une soirée organisée par un fan club. « C'est comme ça que j'ai été initié à l'usage du pot belge, au cours d'une soirée chez Laurent Jalabert, explique Fabien Roux devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Ce soir-là, je l'ai vu se piquer avec les autres professionnels, dans le garage de sa maison. Dans ce cas, c'est le coureur lui-même qui paie les produits. Il y avait tout le monde, les sportifs, les compagnes des sportifs, l'encadrement des équipes. J'étais là, j'ai fait pareil. »
Hier à la barre, les deux frères Roux sont longuement revenus sur la banalisation des produits dopants, dans le milieu du cyclisme au sens large. Fabien, le cadet, 24 ans aujourd'hui, cheveux courts et chemisette noire, est accusé d'avoir joué un rôle de premier plan dans la mise en place depuis Cahors (Lot) d'un véritable réseau d'approvisionnement en pot belge (cocktail d'amphétamines rallongé, parfois, de cocaïne et d'héroïne) entre 2002 et 2005. Jeune amateur, c'est par Laurent, dix ans de plus, qu'il est introduit lors des premières soirées. D'allure sportive, mèches décolorées en arrière, l'aîné des frères Roux ne se défausse pas face aux questions du tribunal. De 1994 à 2003, il a mené une belle carrière de professionnel. Avec un usage croissant de substances interdites.
Mis de côté
« Dès que je suis passé pro, j'ai très rapidement été amené à approcher ce genre de produits. C'est un petit milieu. Vous commencez à être reconnu, on vous invite dans les soirées. Si vous n'y allez pas, on se pose des questions. Et il ne faut pas se griller avec les plus grands. Ça peut toujours servir, en cas d'année difficile. Si on se retrouve sans équipe, on a besoin d'un coup de main. La première fois, j'ai refusé de me piquer. J'ai tout de suite été mis de côté. Après j'ai adhéré, j'ai fait comme eux. » L'avocat de la Fédération française de cyclisme se lève et énumère les victoires : « Le critérium de Monein, la classique des Alpes, le Paris-Bourges, le trophée des grimpeurs, le maillot à pois. Finalement, dopage ou pas dopage ? » «Oui», répond simplement Laurent Roux.
Le président lui demande d'aller plus loin. « Qu'est-ce que vous avez pris, exactement ? » Il pousse un soupir, relève la tête et se lance. « J'ai utilisé de l'EPO, de l'hormone de croissance, de la testostérone, de la cortisone. Toutes les choses basiques qui se faisaient à cette époque-là. Tout le monde prenait au moins ça. Et souvent les plus grands prenaient aussi autre chose que moi je n'avais pas les moyens de me payer. Dès qu'on devient pro, la charge d'entraînement est alourdie, plus de jours de compétition. Et quand on arrive sur les grands Tours, France, Italie, qui durent deux ou trois semaines, on te dit : "Hé, mon gars, si t'y vas les mains dans les poches, ça va pas marcher." On commence par te proposer une perf de glucose, ou des sels minéraux. Au départ, des produits autorisés. Puis on t'apprend à te la poser toi-même. C'est comme ça que ça commence. J'ai eu mes premiers résultats en 1994. L'année suivante, le médecin m'a dit : "Laurent, maintenant t'as un statut, il va falloir que t'assumes." Il m'a proposé de la cortisone. J'ai refusé. Jai été à nouveau écarté. J'ai même failli arrêter. »
Son avocat se lève : « Est-ce qu'on peut faire une carrière dans le vélo à l'eau claire ? » La réponse fuse : « Impossible ! »
Trafic
Paradoxalement, c'est lorsqu'il sort du milieu que Laurent Roux plonge dans des pratiques réellement toxicomaniaques. Contrôlé positif en 2002, il écope, l'année suivante, de quatre ans de suspension. Sa carrière est finie : « J'ai pété un plomb. Je ne m'expliquais pas pourquoi on voulait m'exclure de ce milieu qui était toute ma vie. J'étais dans un cocon où on s'occupait de moi, où on me portait ma valise, et je me suis retrouvé seul. » Il consomme du pot belge pour oublier sa détresse. Le trafic et la revente à d'autres cyclistes ou ex-cyclistes, professionnels et amateurs, servent à financer sa consommation personnelle. Puis celle de son frère et de la petite amie de celui-ci. Les doses deviennent très importantes. Ils se piquent plusieurs fois par jour.
Le réseau est démantelé en janvier 2005. Vingt personnes comparaissent à leurs côtés jusqu'à jeudi.
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