Jean-Emmanuel Ducoin
Les résurrections sont toujours belles à observer. Mais les hommes, depuis deux mille ans, savent ce qu’il en coûte de croire les textes sacrés aveuglément. Portant haut ses valeurs grégaires de souffrance et d’épique, le cyclisme a toujours entretenu son mythe de la croyance, imposant au fil du temps ses propres repères à tous ceux qui peuplent sa légende, qu’ils soient coureurs, suiveurs ou admirateurs. On peut croire en l’exploit, en la victoire, en la pénibilité du travail, on peut même croire en ces gregarios devenus grands. Mais peut-on croire en tout sous prétexte que le milieu en a exigé et codifié la possibilité ? Même Lance Armstrong avait fustigé, l’an dernier, ceux qui refusaient de croire aux miracles. En effet. Ce jeudi 20 juillet 2006, vers Morzine, tandis qu’il se livrait à sa propre catharsis au lendemain d’une déroute plutôt réjouissante, nous ne savions pas que Floyd Landis projetait en mondovision, à chacune de ses pédalées héroïques, l’un des films les plus sombres de l’histoire. C’était pourtant un jour lumineux, rehaussé de quelques émerveillements de langage. Et beaucoup d’étonnements. Un claudiquant nécrosé de la hanche allait gagner le Tour et réaliser la troisième moyenne horaire de l’histoire. Sa défaillance même, comme une « preuve » sur laquelle raccrocher ses espoirs, signifiait qu’une certaine humanité était encore possible, avec ses drames et ses braves, et ouvrait, pourquoi pas, un nouveau chapitre. C’était oublier un peu vite qu’un rescapé du cancer venait d’en voler sept sous le regard attendri des peuples naïfs. C’était aussi oublier que la « famille » du cyclisme n’avait toujours rien compris.
Si la contre-expertise confirme la première analyse, et si les scientifiques parviennent à la conclusion (pas simple, semble-t-il) que l’Américain a bien reçu un apport exogène de testostérone alors nous pourrons écrire que le cyclisme professionnel doit être propulsé au plus vite dans le purgatoire, de gré ou de force. Pour s’en convaincre, reprenons le calendrier récent. Vainqueur de la dernière Vuelta ? Robert Heras : déclassé. Vainqueur du dernier Giro ? Ivan Basso : exclu du Tour à cause de l’affaire Puerto et probable futur déclassé. Vainqueur du Tour de Suisse ? Jan Ullrich : même raison et même sanction prévisible que celle de Basso. Vainqueur du Tour ? Floyd Landis : premier vainqueur contrôlé positif. Voilà le tableau : les quatre vainqueurs des quatre grands derniers tours seraient donc des usurpateurs cyniques capables de toutes les turpitudes. Ce n’est pas un séisme. C’est la fin d’un monde en miniature, l’anéantissement d’une histoire, nos rêves d’enfance assassinés, l’enfouissement de l’imaginaire et une remise à zéro de tous les palmarès d’une décennie au moins ! Mais surtout, oui surtout, c’est la trahison (peut-être mortelle) d’une passion populaire qui, depuis les congés payés de 1936, fit la gloire du Tour de France et de ses géants de la route.
Maintenant ? Il faut arrêter ça. Arrêter le massacre d’un sport dont la noblesse, heureusement, n’est plus à démontrer. Le 1er juillet dernier, jour du départ à Strasbourg, nous avions suggéré l’idée, dans ces colonnes, que le « cyclisme professionnel dans son ensemble » devait être « mis en examen sous la forme d’un moratoire ». Franchement : après semblable cauchemar, l’un des plus épouvantables depuis 1998, comment ne pas réitérer ce souhait ? Comment refuser de voir que le cyclisme, gangrené par des personnages mafieux qui s’autoreproduisent génération après génération, ne peut plus s’en sortir tout seul et s’approche à grands pas d’un suicide collectif ? Autant le dire : affaire Landis ou pas, ça ne change rien. Le cyclisme avait besoin d’un grand nettoyage avant le Tour, c’est toujours vrai. Disons plus vrai que jamais. Tous ceux qui en ont le pouvoir doivent imposer ce moratoire aux dirigeants du cyclisme, puis organiser des états généraux pour tout remettre à plat. Beaucoup de managers et de directeurs sportifs doivent partir. Beaucoup de coureurs aussi. Pour laisser la place à ceux qui veulent vraiment sauver ce sport admirable. Il y en a.
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