• Les favoris de la Grande Boucle, Basso et Ullrich, ont été suspendus par leur équipe.
• Raison : leur implication dans une affaire de dopage en Espagne.
Ignace Jeannerat
Il y a eu le Tour de la honte en 1997, à cause de l'affaire Festina. Puis celui du renouveau, celui qui se ferait uniquement à «l'eau claire» malgré la présence dérangeante et sulfureuse de Lance Armstrong.
Voici le nouveau Tour de France, sans l'Américain parti à la retraite, mais aussi sans favoris. Car avant que le départ ne soit donné aujourd'hui à Strasbourg, Ullrich, Basso, Mancebo, Sevilla ont été renvoyés à la maison. Imaginez cela : la Coupe du monde qui démarrerait sans le Brésil, l'Argentine, l'Allemagne et l'Italie !
Ainsi, depuis ce vendredi matin, l'Allemand Jan Ullrich dont on attend toujours qu'il confirme sa victoire de 1997 est au chômage. Viré. Pas sûr même qu'il redevienne un jour coureur cycliste car seul le Tour de France semble déclencher un peu de motivation chez ce coureur âgé de 32 ans. Son équipe, T-Mobile, l'a exclu suite à l'affaire de dopage en Espagne, dans laquelle son nom revient régulièrement depuis qu'elle a éclaté, il y a un mois (lire ci-dessous). La mesure touche également son coéquipier espagnol Oscar Sevilla ainsi que le Belge Rudy Pevenage, directeur sportif et mentor d'Ullrich.
Même cause, même effet pour l'Italien Ivan Basso de la CSC, récent vainqueur du Giro et grand favori du Tour, et l'Espagnol Francesco Mancebo (quatrième l'an dernier, qui a décidé de mettre son vélo définitivement au garage). Mais quant à ces derniers, c'est la direction du Tour qui a «gentiment» prié les directeurs sportifs concernés de les écarter.
Depuis quelques jours, la grande lessive, le tremblement de terre était redouté. Ou souhaité selon les positions. « En raison des documents que nous a fournis la direction du Tour, nous considérons qu'il est impossible de continuer à travailler avec ces trois personnes », a déclaré Christian Frommert, porte-parole de T-Mobile, à l'occasion d'une conférence de presse. Les documents en question : le rapport d'instruction des magistrats espagnols en charge de l'enquête sur le réseau de dopage sanguin mis au jour au mois de mai. Le secret d'instruction ayant été levé, ce rapport a été transmis jeudi soir par la Fédération espagnole de cyclisme, à la demande du Ministère espagnol des sports, aux organisateurs du Tour et à l'Union cycliste internationale (UCI).
Les faits étant sur la table, il était devenu impossible de continuer à mettre la tête dans le sable. Cette fois, l'association des groupes sportifs cyclistes professionnels, présidée par le Belge Patrick Lefevere (Quick Step), a décidé, à l'unanimité, d'obtenir de chaque directeur sportif des 21 équipes du Tour l'exclusion des coureurs concernés et leur non-remplacement par un réserviste. Une «auto-sanction» salutaire qui fait plusieurs victimes de choix, à commencer par Ullrich et Basso, les deux favoris du Tour.
Pour être juste, certaines équipes avaient fait le ménage par anticipation. John Lelangue, le manager de l'équipe suisse Phonak, avait appliqué le principe de la tolérance zéro. Il avait écarté de son équipe Quique Gutierrez et Santiago Botero dès que leurs noms sont apparus dans la presse comme des «clients» présumés du réseau de dopage. D'autres auront attendu que les preuves égrenées jour après jour dans la presse espagnole soient devenues irréfutables. Ainsi Bjarne Riis, directeur sportif de CSC : « Il était de ma responsabilité de suspendre Basso. Il faut que je pense à l'équipe, c'est le plus important », a-t-il déclaré au micro d'une radio danoise. « J'ai confiance en Ivan. Mais c'est à lui et à ses avocats d'apporter maintenant les preuves contraires », a encore ajouté le manager de l'équipe CSC.
En procédant à cette lessive, le cyclisme a fait tomber les trois suivants d'Armstrong du Tour 2005 alors que l'Américain est lui-même soupçonné de dopage (dans le Tour 1999). Un nettoyage spectaculaire que le futur directeur du Tour, Christian Prudhomme, salue : « L'ennemi, ce n'est pas le cyclisme, c'est le dopage. »
Autre homme satisfait par cette opération mains propres, Jean-René Bernaudeau, directeur sportif de Bouygues Telecom, qui a toujours défendu un cyclisme propre : « Voilà une vraie prise de conscience. Un virage s'est opéré. Hélas, tous ceux qui ont triché ne pourront pas nous rendre ce qu'ils nous ont volé. Au bord des routes, les gens vont applaudir des champions et non pas des types avec des petites casseroles. » Sentiment partagé par Marc Madiot, directeur de la Française des jeux : « Il y a des gens qui avaient trouvé qu'ils pouvaient continuer à tricher en toute impunité. On les devinait, on les supposait, aujourd'hui on les reconnaît. C'est vraiment bien, c'est vraiment une bonne nouvelle, c'est un beau jour. On est à un tournant. »
Qui après Armstrong ?
Admettons qu'on puisse reparler sport. Dans ce cas, le Tour de France est plus ouvert que jamais. L'Espagnol Alejandro Valverde, pour l'heure non impliqué dans l'enquête madrilène, pourrait émerger du peloton. Tout comme les Américains Floyd Landis, George Hincapie et Levi Leipheimer et le Russe Menchov. Réponse le 23 juillet sur les Champs-Elysées à Paris, en espérant qu'une nouvelle affaire n'éclate pas entre Pyrénées et Alpes. Ce serait alors le Tour de l'infamie.
« Nous sommes ici à la limite du crime»
Le directeur général du Tour de France dit sa colère contre les coupables
Philippe Mertens
Le Temps : Que vous inspire cette nouvelle affaire de dopage sur votre Tour de France ?
Jean-Marie Leblanc : Elle me plonge dans une infinie tristesse. Mon seul espoir réside aujourd'hui dans le fait que, peut-être, le Tour en sortira grandi et soulagé. Décrispé aussi.
- Avec une équipe comme Astana-Würth au départ, malgré tout, sera-ce possible de se décrisper ?
- Il n'est vraiment pas certain que cette formation soit au départ du prologue ce samedi. Avec Beloki, Paulinho, Nozal, Davis et Contador sur la liste noire, Astana-Würth ne pourrait présenter que quatre éléments au prologue, ce qui est trop peu selon nos règlements.
- On vous sent remonté comme jamais.
- Comment ne pas l'être ? J'ai le sentiment d'avoir affaire à une véritable mafia, qui cherche à faire du fric, qui fausse des compétitions. Nous sommes ici à la limite du crime. Je ne sais pas quelles courses ces gens ont faussées. Comment le savoir d'ailleurs ? Ce n'est pas à moi de répondre à cette question, mais à la justice. Depuis le début, le Tour a essayé de prendre ses responsabilités. En 1998, il a exclu des coureurs. En 1999, il a cherché à récuser Manolo Saiz. Seul, le Tour ne pourra aller au bout. Nous avons besoin de la police, de moyens scientifiques supplémentaires. Je le répète, nous sommes en face de toute une organisation criminelle.
- Vous êtes tout de même soulagé ?
- Oui. Les fautifs sont dehors. Un rien trop tard à mon goût, mais ils sont dehors. Si la justice espagnole avait agi ne serait-ce que 24 heures plus tôt, peut-être la décision du Tribunal arbitral du sport (TAS) d'autoriser jeudi la participation d'Astana-Würth aurait-elle été différente. Mais bon, nous sommes dans la situation des organisateurs des Jeux d'Athènes quand ceux-ci ont empêché les athlètes grecs Kenteris et Thanou de prendre part aux épreuves. Le plus dur est fait. Place au sport maintenant.
Opération Puerto : la bombe espagnole
Ignace Jeannerat
L'affaire qui décapite aujourd'hui le Tour de France a ses origines en Espagne. Une enquête de la Garde civile, baptisée «Opération Puerto», a mis en évidence qu'au moins 58 cyclistes professionnels ont eu recours à un réseau criminel de pratique de dopage sanguin et de fourniture de produits dopants - notamment EPO - démantelé le 23 mai grâce à des écoutes téléphoniques et des caméras placées devant des cliniques et laboratoires de Madrid.
Qui est impliqué dans l'affaire ? L'influent directeur sportif de l'équipe Liberty Seguros, Manolo Saiz, ainsi que le médecin de l'équipe, Eufemiano Fuentes (ex-médecin de Kelme et Once), sont les dirigeants les plus connus. Avec trois autres personnes arrêtées, ils sont l'âme du réseau.
Selon la chaîne Cadena SER, la Garde civile espagnole a réussi à décoder les noms figurant sur les listes du Dr Fuentes saisies au moment de son arrestation et sur les échantillons de sang congelés.
Parmi les cyclistes, au moins quinze membres de l'équipe Astana-Wurth (ex-Liberty Seguros qui s'est immédiatement retirée du monde cycliste), et une vingtaine de coureurs de l'équipe de la Communauté de Valence. Dans ces cas, on est en présence d'un dopage d'équipe organisé.
Mais de nombreuses individualités ont également eu recours à ce réseau. Et pas des moindres : Ivan Basso (CSC) et Jan Ullrich (T-Mobile), favoris de la Grande Boucle 2006, Oscar Sevilla (T-Mobile), Francisco Mancebo (AG2R), José Enrique Gutierrez et José Ignacio Gutierrez (Phonak), suspendus préventivement par leur employeur. Autre nom de premier plan, celui de l'Américain Tyler Hamilton, suspendu pour dopage sanguin après un contrôle en septembre 2004.
Vendredi après-midi, l'Union cycliste internationale a diffusé la liste complète des cyclistes impliqués dans l'affaire et inscrits au Tour de France. Soit neuf noms.
Triche à grande échelle ? Assurément. Dans son édition de dimanche, El Pais affirmait que la Garde civile a établi qu'Eufemiano Fuentes, qui facturait jusqu'à 40 000 euros une année de «traitement», a eu des contacts avec des coureurs participant au Tour d'Italie cette année. Un de ses collaborateurs se serait rendu à Madrid pendant les étapes de montagne du Giro pour y prendre des poches de sang destinées aux cyclistes courant en Italie.
Dimanche, les révélations des magouilles du peloton ont à ce point agacé les coureurs participant aux championnats d'Espagne qu'ils se sont mis en grève après trois kilomètres (!) pour protester contre les publications des journaux. Une scène qui rappelait le désarroi du peloton du Tour de France en pleine affaire Festina. En 1998.
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