Jean-Louis Le Touzet
Professeur de sport et ancien entraîneur de Festina, Antoine Vayer dirige AlternatiV, une cellule de recherches sur la performance à Laval (Mayenne).
« Où l'on reparle d'évidences, de watts et de surpuissances. Ainsi, l'UCI (Union cycliste internationale) s'est-elle donc décidée ce week-end à plancher sur la validation des mesures de puissance comme témoin indirect de "suspicion" lors de tests d'efforts. Ces tests, effectués en début de saison, permettraient d'étalonner chaque coureur et de déterminer son profil. L'UCI entend coupler cette idée avec un contrôle de l'ADN. Les équipes, pas en reste, promettent elles-mêmes de monter à l'échafaud si certains de leurs coureurs étaient fautifs. Dès 1999, et dans les colonnes de Libération, nous décrivions par le menu comment, grâce à nos calculs, nous soupçonnions la supercherie, où comment un homme sur un vélo roule à la vitesse d'une motocyclette sans que personne n'y trouve à redire. C'était un temps où Lance Armstrong, survivant du cancer, arrogant et impérial, était défendu bec et ongles par sa propre famille cycliste et ce malgré le surnaturel de la performance. D'anciens coureurs étaient alors montés au front pour défendre le Lazare en cuissard. On se souvient du fameux : "Les watts, piège à con" qui nous avait été opposé comme seule réponse. Les rieurs étaient alors du côté de Lance et de ses amis. Bah, au fond, on ne le leur veut pas. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Le rideau est tombé sur les championnats du monde. Qu'a-t-on vu ? Un Bettini de feu et surtout un TGV suisse, Cancellara, remporter à plus de 50 km/h l'or dans le contre-la-montre. De vous à moi, Cancellara a réalisé un truc complètement... dément. Je trouve très amusant de constater que Libé, qui, après avoir été en partie diabolisé sur le Tour de France pour avoir abrité un mouton noir comme moi, était finalement en avance sur les montres des fameux experts que l'UCI sort de son chapeau car la maison cyclisme brûle. C'est toujours comme ça que ça se passe à Lausanne [siège de l'UCI. ndlr]. Après le Néerlandais Emile Vrijman et son rapport qui innocente Armstrong, les trompettes annoncent le Belge Xavier Sturbois et une cohorte de "psys" qui s'apprêteraient à lancer un audit, ce fameux scanner du cyclisme. Allons bon ! Certains coureurs rient sous cape. Sûrement ceux qui, lors des tests à l'effort du suivi longitudinal, ont déjà pris du pot belge pour voir quel effet cela faisait (lors d'un test type V02 max, volume d'air maximum que l'organisme est capable de traiter lors d'un effort, mesuré en mml/kg/min).
L'UCI promet de les avoir à l'oeil si leurs performances lors des courses ne correspondent pas aux résultats du laboratoire en début de saison. Qu'à cela ne tienne ! Ils pourront se "préparer" aussi pour ces tests. Rien qu'avec les produits indétectés et bien dosés, ce test ne sera qu'un objectif de plus à programmer. Un jeu d'enfant. Un jeu vous dis-je. De quoi ensuite pédaler dans la joie avec des performances validées par les instances. Un vrai bonheur, non ?
Ah ! les watts ! Ils permettent de tracer les frontières entre sport et spectacle, entre performance et vol qualifié, entre naïveté et lucidité. On va m'opposer que je noircis tout. Mais je m'interroge sur les 2 h 8 min au marathon. Ou sur les perfs sur 100 mètres ? Que dire des avants de rugby qui plongent et courent comme des lièvres ? Ou encore de ces footeux surexcités ? Alex Vinokourov, privé de Tour de France, fait maintenant partie intégrante à 33 ans, l'âge du Christ, du top des meilleurs performers de tous les temps aux côtés des Pantani, Ullrich, Armstrong, Basso, Riis. Dans l'étape reine de la Vuelta, après six heures d'efforts sous la chaleur, dans l'ascension du sixième (!) col de la journée, la Cobertoria, il est entré dans le club des "plus de 460 watts", suivi de près par d'autres cybercyclistes dont le n° 1 mondial Valverde. À ce propos, Floyd Landis et ses 430 watts font pâle figure avec leurs exploits réalisés deux mois plus tôt sur le Tour. Je ne peux m'empêcher de penser que le cyclisme professionnel est devenu une histoire horriblement vulgaire. On me dira que c'est facile, que c'est toujours le vélo qui trinque... C'est vrai, mais souvenez-vous du fameux "doigt au cul du Tour" de Manolo Saiz qui deviendra ensuite et grâce à cette saillie le président de l'association des groupes professionnels et principal architecte du ProTour actuel. D'autres exemples ? "J'ai baisé l'Union cycliste internationale", de Jérôme Chiotti, suite à son titre de champion du monde de VTT. Encore ? « L'image du cyclisme est au fond de la cuvette des chiottes », dixit ce cher Dick Pound, président de l'Agence mondiale antidopage. Mais voilà que de pauvres coureurs qui ont participé au récent Tour d' Espagne sans dopage du riche [les transfusions, ndlr] se plaignent de "s'être fait encore enc...", par les cadors, couverts, selon eux, par leurs autorités sportives. Pendant ce temps-là, Alain Rumpf, manager du ProTour déclare (www.cyclismag.com) que l'UCI souhaiterait collaborer avec ASO [la maison mère du Tour, ndlr] pour que le gâteau soit plus grand et que chacun en profite. C'est à se demander si les dopeurs n'ont pas définitivement gagné la partie...»
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