20 janvier 2006
Personne ne peut blâmer Geneviève Jeanson de vouloir laver sa réputation. Mais la cycliste déchue aura du travail à faire pour convaincre les arbitres qui entendront son dossier, ce printemps, qu'elle ne s'est pas dopée à l'érythropoïétine.
Jeanson entend faire valoir trois arguments au soutien de sa cause devant l'American Arbitral Association, expliquait hier mon collègue Simon Drouin.
Un, la cycliste estime impossible qu'après avoir fait l'objet d'un contrôle positif à l'EPO le 25 juillet 2005, elle n'ait présenté aucun signe de la substance interdite dans son urine lors d'un contrôle subséquent, le 27 juillet.
Deux, Geneviève Jeanson serait une « créature d'exception ». Lors d'efforts intenses, on peut retrouver dans son urine une quantité inhabituellement élevée d'une protéine dont la présence indique en temps normal la prise d'EPO exogène (synthétique). C'est la défense dont s'est servi le triathlète belge Rutger Beke devant la commission de discipline de la Communauté flamande, en août dernier. D'abord suspendu 18 mois, Beke a été finalement exonéré de tout blâme par la commission.
Trois, l'échantillon incriminant de Geneviève Jeanson a été contaminé dans le processus qui a mené au test positif.
Tout se plaide, évidemment. Sinon, il n'y aurait pas beaucoup de travail pour les avocats. Mais entre plaider quelque chose et convaincre l'arbitre ou le juge, il y a souvent une marge. Et c'est dans cette marge que cette énième affaire Jeanson pourrait bien prendre fin de manière malheureuse pour la cycliste de Lachine.
Un mystère ?
Reprenons les arguments du clan. Jeanson dans l'ordre. D'abord, le «mystère » du test positif suivi, 60 heures plus tard, d'un test parfaitement normal. Je mets mystère entre guillemets parce qu'il n'y a au fond rien de mystérieux là-dedans.
La fenêtre de détection qu'offre le test de dépistage de l'EPO développé en France par le Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD) n'est pas infinie. Elle varie selon le type d'EPO utilisée.
Certaines sont détectables pendant sept à 10 jours. C'est le cas de la Nesp (darbépoïétine), substance interdite dont l'utilisation par les fondeuses russes Olga Danilova et Larissa Lazutina leur avait valu de perdre les médailles d'or et d'argent gagnées au 5 km poursuite des Jeux de Salt Lake City.
Mais d'autres formes d'EPO ne peuvent être décelées que pendant un intervalle beaucoup plus restreint, a expliqué hier à La Presse le professeur Jacques de Ceaurriz, directeur du LNDD. « Ça peut être extrêmement court : 24 ou 48 heures, à la limite 72 heures », a dit le scientifique.
Donc, si Jeanson a pris une dose d'EPO la veille ou l'avant-veille de son premier contrôle antidopage (donc vers la fin de la fenêtre de détection), il n'y a rien d'étonnant à ce que le second contrôle ne révèle rien de suspect.
« Sans parler du cas Jeanson, de façon générale, le fait d'avoir un test négatif le lendemain ou deux ou trois jours après un test positif ne veut rien dire », dit la directrice du laboratoire de contrôle du dopage de l'INRS-Institut Armand-Frappier, Christiane Ayotte. C'est d'autant plus vrai qu'il existe des façons d'éliminer toute trace de l'EPO entre deux tests, notamment par transfusion.
Le cas Beke
Deuxième argument : le précédent Rutger Beke. « Tout le monde veut maintenant utiliser cet argument, et c'est bien légitime, commente Christiane Ayotte. Mais dans le cas Beke, on a toujours été très limpide. L'Agence mondiale antidopage a répété que le test urinaire était valide. C'est l'interprétation de celui-ci qui a été mal faite. »
Autrement dit : oui, certains individus sont bel et bien des « créatures d'exception » et produisent une quantité inhabituelle de protéines qui peut laisser croire à la présence d'EPO exogène. Mais une interprétation des résultats effectuée selon les règles de l'art - ce qui n'a pas été le cas dans l'affaire Beke - devrait révéler ce type de situation.
Or, le laboratoire de l'Université de la Californie à Los Angeles (UCLA), où les échantillons de Jeanson ont été examinés, figure justement « parmi les laboratoires les mieux armés » dans l'analyse des cas de dopage à l'EPO, selon le professeur de Ceaurriz. « Ils font partie des laboratoires qu'on a formés en priorité et qui ont le plus d'histoire » avec le test de dépistage de l'EPO, explique-t-il. Bref, on n'a pas affaire à un obscur laboratoire de dixième ordre, mais à un des leaders mondiaux de la lutte au dopage.
La brèche ouverte par l'affaire Beke est probablement beaucoup trop étroite pour que les athlètes ayant échoué à un test de dépistage de l'EPO s'y engouffrent en masse. Le spécialiste du vélo de montagne canadien Chris Sheppard l'a appris à ses dépens. En septembre, Sheppard a invoqué le précédent belge pour se défendre dans une affaire de dopage à l'EPO. L'arbitre qui entendait la cause a rejeté catégoriquement l'argument, soulignant que les motifs des autorités flamandes dans l'affaire Beke n'ont jamais été publiés et que tout ce qu'on en sait repose sur quelques coupures de presse.
« Dans la mesure où un organisme décisionnaire ne veut pas publier ses motifs et son évaluation de la preuve qui l'ont amené à rendre sa décision, il n'y a aucune raison (...) de tenir compte du raisonnement qui aurait été suivi selon un article de journal », écrit l'arbitre Richard McLaren. Quelques jours après avoir été informé de la décision de l'arbitre, Sheppard a avoué publiquement qu'il s'était bel et bien dopé à l'EPO...
Reste un argument, celui d'une possible contamination de l'échantillon fourni par Jeanson le 25 juillet. Mais à entendre la jeune femme et ceux qui la représentent, il est clair qu'il s'agit d'un argument secondaire, qu'on peut présumer moins solide que les autres.
Geneviève Jeanson s'est trop souvent tirée de situations en apparence inextricables pour qu'on écarte d'emblée la possibilité que la bataille d'experts qui s'annonce finisse par tourner en sa faveur. Mais vous me permettrez d'être très, très sceptique.
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