28 juillet 2006
Richard Hétu
Farmersville, Pennsylvanie
Il est passé 17h et Calvin Groff, qui a grandi avec Floyd Landis au pays des amish et des mennonites, ne connaît pas encore la nouvelle: le vainqueur du Tour de France a échoué à un test antidopage.
En cette fin de journée caniculaire, il travaille à son parterre avec sa femme et leurs quatre enfants. Âgé de 30 ans, il n'a ni télévision, ni radio, ni ordinateur, juste un téléphone cellulaire pour gérer son entreprise d'ébénisterie.
Joufflue comme son mari, Mme Groff porte une robe longue et le bonnet des mennonites. Elle baisse les yeux lorsqu'elle voit apparaître un journaliste en culotte courte.
D'autres femmes mennonites passent sur la route, roulant à bicyclette, robes longues au vent et bonnets bien attachés. Plus tard, elles seront suivies d'amish se déplaçant à bord d'un buggy tiré par un cheval. Ceux-là sont encore plus éloignés de la modernité que les mennonites.
Entre les gratte-ciel de New York et les collines du Lancaster, comté de la Pennsylvanie, il y a un monde de malentendus. Et pourtant, il n'y a que deux heures et demie de route.
« Que pensez-vous de ce qui arrive à Floyd ? » demande le journaliste à Calvin.
Le mennonite hausse les épaules. Il pense que les médias sont descendus sur Farmersville pour saluer le héros local. D'où il se tient, il peut voir les cars de reportage et les journalistes rassemblés sur le terrain avoisinant la maison des Landis.
Du jamais vu à Farmersville, minuscule village composé d'une dizaine de maisons et d'une intersection, perdu au milieu de champs de maïs déjà à hauteur d'homme.
« C'est juste une course cycliste, répond Calvin en haussant les épaules. Je n'ai jamais été un fanatique de sport. »
Calvin finira par comprendre que son ami d'enfance, avec lequel il a étudié la Bible le dimanche, est accusé d'avoir triché au Tour de France.
« Cela me touche beaucoup plus que sa victoire, dit-il en regardant ses deux aînés, qui suivent la conversation. Floyd vient d'une famille chrétienne. »
Les Landis sont restés terrés dans leur maison blanche. Ils n'ont pas retiré toutes les affiches plantées parmi leurs fleurs. L'une dit : « À Dieu la gloire ». Une autre : « Oui, Floyd ». Et une autre : « La gloire des jeunes hommes est dans leur force ».
Ils ont cependant enlevé l'affiche, posée par un voisin, qui proclamait : « Floyd's the man ». S'il y a un message contraire à la confession mennonite, c'est bien celui-là.
« Les mennonites ne repoussent pas seulement la modernité, ils combattent l'individualité », fait remarquer Dwight Roth, professeur de religion au Hesston College, près de Wichita, au Kansas.
En vacances dans son pays natal, le professeur Roth s'est retrouvé devant la maison des Landis hier après-midi. Au pays des mennonites et des amish, pas besoin du téléphone pour prendre contact avec un expert. Il suffit du hasard.
« Certains mennonites penseront que Floyd a été puni pour son arrogance, dit-il. Quant à moi, s'il échoue au deuxième contrôle, je serai très déçu. »
Né dans la confession mennonite, Dwight Roth a suivi Floyd Landis dans la modernité. Même si sa barbe et son chapeau de paille lui donnent des allures d'amish, le professeur croit, entre autres notions modernes, à l'université, lieu interdit aux bons amish et aux autres mennonites.
Robert Lichty, homme d'affaires à la retraite, en est un autre qui a abandonné la foi de ses ancêtres, en l'occurrence des Suisses. Il n'a pas quitté la région, toutefois, et il connaît aussi bien les Landis que leur univers religieux.
« Je sais que le pasteur de l'église Martindale n'a pas apprécié qu'ils parlent autant aux médias », dit-il.
Dimanche dernier, Paul et Arlene Landis n'ont pas vu le triomphe de leur fils à la télévision. Enfourchant leurs bicyclettes, ils sont allés à l'église Martindale, comme d'habitude.
Après la messe, Arlene a accueilli ses voisins et les journalistes dans son salon.
« Nous savions dans notre coeur qu'il gagnerait, a déclaré Arlene, coiffée de son bonnet mennonite. Il n'est pas du genre à se contenter de la deuxième place. »
Sauf les dimanches, Arlene a pu suivre le Tour de France en allant chez une voisine, qui a la télévision.
Hier, Arlene Landis n'a parlé qu'à un journaliste.
Elle ne blâmera pas son fils s'il a pris un produit pour soulager une douleur à la hanche. Mais si son fils a dûment triché, « il ne mérite pas de gagner », a-t-elle dit au cours d'un entretien téléphonique avec l'Associated Press.
Et d'ajouter : « Il est toujours mon fils merveilleux. Si cela s'est passé, je l'aime autant que s'il l'avait gagné. »
Et encore : « La tentation était forte. »
Campés à l'extérieur de la maison blanche, les médias en voulaient plus. Un peu avant 17h, une amie de la famille Landis est sortie de la maison pour lire un court message.
« Floyd a téléphoné à sa mère et lui a assuré qu'il était propre », a déclaré Tammy Martin.
Un policier montait la garde devant la maison des Landis.
Et sur l'asphalte de l'unique intersection de Farmersville, on peut lire, en énormes lettres jaunes : « Floyd Landis, World Winner of Tour de France 2006, -10:00 to +.59, USA ».
Dix, c'est le nombre de minutes que Landis a abandonnées à ses rivaux lors de la 16e étape. Le lendemain soir, après son retour phénoménal, il a été contrôlé pour la testostérone. Et il a remporté le Tour avec une avance de 59 secondes sur son plus proche rival.
Peu après sa victoire, des affiches sont apparues sur les devantures de la petite caserne des pompiers et de l'auberge de Farmersville. Elles célébraient le triomphe du Hometown hero.
« Personne n'avait jamais parlé de Farmersville avant Floyd », a commenté Ivy Collins, en fumant une cigarette sur son balcon. « C'était agréable d'être connu comme le patelin du vainqueur du Tour de France. Ce ne serait pas agréable d'être connu comme le patelin d'un tricheur. S'il a fait quelque chose de mal, il mérite de perdre. »
Loin d'être coiffée du bonnet mennonite, Ivy portait des jeans et un t-shirt du groupe rock Aerosmith.
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