La victoire de Floyd Landis dans le Tour de France 2006 peine à faire oublier la suspicion de dopage généralisé qui plane sur le peloton cycliste et, plus généralement, sur le sport de haut niveau. Il est vrai que l’américain ingurgite tranquillement des corticoïdes pour atténuer la douleur de sa hanche nécrosée, ce qui n’améliore pas, à proprement parler, la crédibilité de son triomphe estival. Officielle prise de médicaments donc, certificat médical en bonne et due forme, bénédiction des autorités du cyclisme. Le nombre de grands malades dans ce sport est du reste stupéfiant(1) : asthmatiques en pagaille, cancéreux en tous genres et une flopée d’autres pathologies qui, habituellement, provoqueraient une contre-indication formelle au sport, a fortiori de très haut niveau. Tout au rebours, le cyclisme en fait ses plus grands champions. D’une cour des miracles, la grandeur du sport, la volonté, le travail et l’effort ont fait des surhommes. C’est du moins ce que tente de nous faire croire quotidiennement la presse sportive, parce qu’au fond, notre intuition nous rappelle qu’au royaume des pharmaciens, les cyclistes sont rois.
Mais le journaliste sportif a ceci de particulier qu’il vit des exploits des champions. Il est donc bien moins journaliste que ses autres confrères. Les rares enquêtes qu’il peut mener sont teintées du sceau de l’intérêt, celui de ne pas se tirer une balle dans la branche sur laquelle il est assis. La proximité, l’admiration, les liens d’amitié qu’il tisse avec les sportifs l’empêchent de critiquer trop fermement(2), c’est humain. Pas folle la guêpe : si le sport se mourrait, la chronique des chiens écrasés la guetterait. La conséquence, c’est une suite de récits poétiques -pour ne pas dire homériques- des exploits de Landis ou de Zidane, sans trop regarder dans les poubelles de l’arrière-cour. Pourquoi, par exemple, ne peut-on lire nulle part la liste des certificats médicaux du peloton du Tour et les médicament «autorisés» par dérogation par l’UCI ? Si tout est propre, pourquoi ne pas abuser de la transparence ? Et si tout ne l’est pas, pourquoi si peu d’éditoriaux et de pleines pages dans les journaux ? Ceci vaut, cela va sans dire, pour de nombreuses autres disciplines, l’athlétisme en tête : Qui peut croire que les huit gaillards qui se disputent la mascarade finale du 100 mètres olympique et qui ressemblent autant à des êtres humains qu’un tigre du Bengale adulte ressemble à un chaton hémiplégique en phase terminale, qui peut croire que ces gaillards-là ont acquis une telle musculature à force de soulever de la fonte ? Et pourtant, de contrôle positif, il n’y en a (presque) pas.
Au vrai, les contrôles anti-dopages ne servent qu’à blanchir les tricheurs : Armstrong n’a jamais été pris et s’appuie là-dessus pour jurer qu’il est «propre». Plus récemment, Ullrich continuaient de faire appel aux dizaines de contrôles négatifs qu’il a passés au cours de sa carrière pour clamer son innocence, bien que l’enquête espagnole du printemps dernier ait démontré indubitablement son implication dans des auto-transfusions sanguines indécelables. Au mieux, les contrôles parviennent à attraper un Maradona imbibé de cocaïne ou un pauvre hère qui aurait oublié d’avaler son produit masquant avant le contrôle. Certains sports, comme le football, pratiquent même des contrôles à la limite du ridicule, recherchant dans les urines un nombre dérisoires de substances (ce qui n’empêche pas la FIFA de claironner sa grande implication dans la lutte contre le dopage et le très faible taux de cas positifs dans ce sport. Mieux vaut en rire : si on ne cherche pas, on ne risque pas de trouver...)
Quoiqu’il en soit, ouvrons les yeux. Les vraies affaires de dopage n’ont pas pour origine les contrôles sanguins ou urinaires, mais bel et bien des enquêtes policières ou douanières. Festina, Balco, Puerto : tous ces systèmes organisés de dopage à grande échelle sont passés, année après année, au travers des mailles du filet des pseudo-contrôles médicaux. Il a fallu que les brigades des stups s’en mêlent pour qu’éclatent au grand jour les trafics de produits pharmaceutiques.
Alors bien sûr, les contrôles anti-dopages sont indispensables : sans eux, les tricheurs auraient la tâche plus simple puisque sans obligation de se cacher. Mais au fond, ils ne servent que ceux qu’ils sont censés dépister : les tricheurs qui arguent systématiquement des contrôles négatifs pour «prouver» leur innocence... Aussi, au risque de choquer les puristes, j’affirme sans détour que les contrôles anti-dopages -à l’insu du plein gré de leurs initiateurs parfois- ne sont qu’une grande lessiveuse, une machine à blanchir les tricheurs.
Le plus étonnant, c’est que la caravane du tour fait toujours rêver les foules. C’est que des couillons continuent de vénérer la Juventus de Turin et de dépenser leurs salaires dans des abonnements hors de prix au Stadio delle Alpi, comme si de rien n’était. L’OM lui aussi continue de faire fantasmer les marseillais, malgré Tapie et ses triches avérées. Pire : les supporters olympiens glorifient encore Tapie, comme les supporters turinois hurlent au scandale judiciaire suite à la rétrogradation de ses favoris en série B. Les spectateurs du Tour n’en veulent pas aux champions du dopage généralisé, tout au contraire : ils applaudissent toujours aussi nombreux sur les bords des routes. Les championnats du monde font le plein dans toutes les disciplines, les jeux olympique restent une grand-messe et le 100 mètres en est l’épreuve-reine. Le peuple n’en veut pas aux champions de tricher, considérant sans doute que l’égalité est de mise en la matière et qu’après tout, le dopage n’exclut pas la dureté d’un sport, ce qui reste vrai (je parle du cyclisme, pas du football...).
Faut-il s’en offusquer ? Après tout, la compétition engendre la triche. Irrémédiablement. Fatalement. Humainement. Les historiens du sport relèvent, aussi loin qu’ils remontent, la prise de produits destinés à améliorer les performances : en Grèce, au XIXe siècle, etc. Il ne s’agit donc pas d’expliquer le dopage par les sommes en jeu, contrairement à ce qu’affirment certains : les cyclistes de 1903 ne gagnaient rien, les nageuses est-allemandes des années 80 étaient dopées par un système étatique et non ultra-libéral, le sport amateur est loin d’être exempt de dopage.
De ce sport-là, il faut se détourner ou alors accepter qu’il puisse y avoir triche. Mais adorer le sport et vouloir qu’il soit propre, voilà assurément le meilleur moyen de se rendre malheureux.
(1) ... où l’auteur s’essaie à un jeu de mot qui n’amuserait pas nécessairement les athlètes et les pharmaciens du sport de compétition.
(2) Palme d’or incontestée à l’insupportable Jean-René Godard (France Télévision) qui clame haut et fort sa grande amitié avec le ressuscité du Texas, septuple vainqueur du Tour, qu’il continue de défendre contre toutes les accusations de dopage, montrant ainsi qu’il est aussi peu journaliste que sportif.
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