Les affaires Landis et Gatlin montrent qu'elle reste le produit de base des tricheurs.
Christian Losson
En ces temps de fortes chaleurs, une épidémie de testostérone lamine la crème des athlètes de la planète. A deux jours d'intervalles, Floyd Landis et Justin Gatlin ont été terrassés lors d'un contrôle. À la testostérone, cette hormone sexuelle mâle sécrétée par les testicules qui sert d'engrais musculaire. Produit désuet ? Le vainqueur du Tour de France et le champion olympique du 100 mètres apportent la preuve contraire. Le dopage génétique n'est pas loin, mais «avec les corticoïdes, la testostérone et ses dérivés restent des produits irremplaçables dans l'attirail des dopés», note Gérard Dine, médecin à l'Institut biotechnologique de Troyes. Un peu l'alpha et l'oméga du dopage. «La testostérone permet l'accroissement de la masse, de la force et de la puissance musculaires, résume l'expert. Les corticoïdes permettent de repousser les limites de la fatigue et d'atténuer la douleur physique.» Landis, sous corticoïdes via une justification thérapeutique pour une hanche en charpie, avait les deux molécules...
Dans les années 70-80, les seringues de «testo» valsaient comme des grains de riz un jour de mariage. Jusqu'au réveil du Comité international olympique, en 1984, où la testostérone a rejoint la liste des produits interdits. Problème : le corps en secrète naturellement. Pour en mesurer l'apport extérieur, les tests ont longtemps mesuré les concentrations testostérone/épitestostérone (T/E). Pendant vingt ans, de 1984 à 2004, des rapports T/E jusqu'à 6 étaient tolérés (jusqu'à 10 à partir de 1992). Car certains athlètes ont des taux naturellement élevés, comme le cycliste Cyril Sabatier ou le joueur de squash Julien Bonnetat. Des faux positifs... Ainsi, une étude publiée en 1996 (1) sur des athlètes suédois a analysé près de 9 000 éprouvettes d'urine : 28 avaient un taux supérieur à 6. Mais la même année, un labo du CNRS de Vernaison (Rhône) élabore, dans l'indifférence générale ( Libération du 16 janvier 1997), une petite révolution : détecter sans équivoque l'origine naturelle (endogène) ou synthétique (exogène) de la testo grâce à la spectrométrie de masse isotopique. Via la teneur de carbone 13 ( carbon isotope ratio, ou CIR, en anglais), «cette technique permet de trouver l'empreinte chimique de la testo», souligne Martial Saugy, directeur du labo antidopage de Lausanne. Son ADN.
«Lisser le pic»
Le procédé est validé depuis 2004 par l'Agence mondiale antidopage (AMA). Qui, depuis, a d'ailleurs abaissé le seuil de «positivité» à la testo au ratio T/E de 4 et non plus 6 ou 10 dans le passé. «Sachant que chez les athlètes caucasiens, contrairement aux Asiatiques qui affichent un rapport de T/E de 0,2, le ratio normal est de 1/1, cela laisse de la marge», dit Saugy. L'appareil, sophistiqué, coûte assez cher. «Et tous les labos reconnus par l'Agence mondiale antidopage n'en sont pas équipés», rappelle Michel Audran, professeur de biophysique à la faculté de pharmacie de Montpellier. Pas tous ? «Mais nous oui, et il est évident qu'on a fait ce test de spectrométrie de masse sur les échantillons d'urine de Landis», nous confiait vendredi Jacques de Ceaurriz, directeur du labo antidopage de Chatenay-Malabry. Comme l'est le labo qui s'est penché sur le cas de Justin Gatlin... «Je ne connais pas un type pris au CIR qui soit un faux positif», estime Don Catlin, du labo de Los Angeles. Si le cycliste Santiago Botero en 1999 était passé au travers des mailles, il n'y a aucune chance que Landis y échappe. Botero, qui a gagné depuis le surnom de «Botesto» avait, au passage, Eufemiano Fuentes comme docteur, au coeur du réseau de dopage sanguin démantelé, en mai, par la police espagnole.
«Le problème, c'est que les athlètes ont compris depuis longtemps que l'injection de testo était lourde, ils sont passés à la prise orale de testo, plus simple, légère, contrôlable», rappelle Antoine Vayer, entraîneur de cyclisme. Et surtout, à l'élimination très rapide : on parle de «lisser le pic». Les dopés peuvent ainsi contrôler leur testo pour qu'elle ne dépasse pas le fatal ratio T/E de 4. Donc, on se fournit, décrypte Gérard Dine, «en patch (Andriol et Androderm), en gel (Androtiv, AndroGel), en comprimé (Pantestone), à la rigueur en cure d'injectable (Androtardyl) hors des compétitions». La Pantestone a gagné le surnom de «boulette» ou d'«oeuf de Pâques», et, raconte Vayer, «tout le monde se dit, en blaguant : "Tu refais ta testo ?"» «La difficulté, c'est qu'avec ces comprimés, les pics s'effacent vite», rappelle Martial Saugy. Le médecin suisse vient d'ailleurs de copublier une étude dans le British Journal of Sports Medicine (juillet 2006) où il indique qu'il serait judicieux de trouver des «marqueurs» dans l'urine ou le plasma pour détecter (à long terme) l'ingestion orale de testo. Problème, ça coûte de l'argent...
Comment et pourquoi Landis s'est fait gauler, et, d'après certaines sources, «largement au-dessus du seuil limite» ? «Peut-être s'est-il dit : "Je me recharge dimanche'', avant de s'écrouler le mercredi par excès de charge et de décoller le jeudi où il pensait avoir une fenêtre où sa testo serait redescendue sous le seuil ?» tente un médecin. «La réalité, pense Jean-Pierre de Mondenard, expert ès dopages, c'est qu'en bout de course avec ses produits de départs, comme l'EPO ou les corticoïdes, et face à l'imprévu, il s'est certainement mis sous perf la veille de l'étape, avec un cocktail de produits indécelables (IGF-1, insuline), ajouté à la testo.» Et qu'il s'est planté (seul ?) dans le «protocole» et l'administration des doses. Les avocats de Landis se sont vite engouffrés dans les archives. Pour trouver quoi ? Une étude parue en 1988 (2), qui démontre que l'alcool fait grimper le ratio T/E. Manip utilisée en avril 1998 par le sprinteur Dennis Mitchell. Ma testo décolle ? Je suis tombé dans un tonneau, et «j'ai fait quatre fois l'amour avec ma femme».
«Compléments alimentaires»
Ma testo s'envole ? s'interroge Landis : la veille de mon contrôle, j'ai pris «deux verres de bières, et quatre Jack Daniel's». Ben voyons ! Sauf qu'il faudrait, explique l'étude, avoir 2 grammes d'alcool dans le sang pour voir son ratio bondir de 1,14 à 1,52. Loin du ratio proscrit... Landis a d'ailleurs laissé tomber cet argument de défense bidon. Alors, quoi ? La production d'un effort qui ferait bondir son taux ? Une autre étude en parle, mais sur des bodybuilders, pas vraiment le genre d'effort en aérobie sur une selle... Sinon ? Heu, «ça fait environ un an que j'ai des problèmes de thyroïde, et j'ai dû prendre des petites quantités d'hormones», a osé le coureur. Passons sur la nouvelle anomalie supposée de Floyd, «l'hyperthyroïdie stimule la testo naturelle». Or il aurait déjà été contrôlé 3 ou 4 fois et avait un taux normal...
Quant à Gatlin, qui invoque «des compléments alimentaires» ? Gérard Dine avait planché sur le cas de Christophe Cheval, sprinteur français positif à la norandrostérone, aux mondiaux d'Edmonton de 2001. «Après coup, se souvient Dine, j'ai analysé les compléments en questions et découvert qu'il y avait trois stéroïdes non annoncés.» La thèse ne séduit pas : «En fait, dans le sprint, c'est un peu comme en haltérophilie , dit Michel Audran. On fait du muscle en préparation avec des anabolisants. Puis on passe à la testo avant la compétition, car, associée à l'hormone de croissance et l'insuline, elle permet de conserver la masse musculaire.» A l'âge et aux pays des «stéroïdes designers», ça fait désordre de tomber sur une «erreur». Une connerie, à ce niveau ? «Mais Ben Johnson était bien tombé aussi sur une erreur aux JO de 1988, en se dopant dans son coin», dit Mondenard. C'est la loi des séries. Appliquée au facteur humain, dans un sport pro qui l'est de moins en moins.
(1) Garle M., Ocka R., Palonek E., Bjorkhem I.-J., Chromatogr B. ; Biomed Appl. 1996 Dec 6 ; 687 (1) : 55-9. (2) Falk O., Palonek E., Bjorkhem I. ; Clin Chem. 1988 Jul ; 34 (7) : 1462-4.
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