Le scandale du Tour n’est pas celui qu’on croit : ce n’est pas le fait que Landis ait été dopé qui est révoltant, mais la manière dont certains journalistes ont voulu nous faire croire qu’il ne l’était pas. Un Tour de dupes, à fond la dope.
Il fallait une solide foi de charpentier pour penser sérieusement que le mennonite météorique Floyd Landis, né à l’année 2006 sans palmarès et avalant l’été venu l’Alpe d’Huez à la vitesse d’un texan au galop, avant de gober Morzine comme d’autres digèrent des couleuvres, que ce presque Amish là donc, réalisait tous ces exploits sur ses qualités intrinsèques, le résultat d’heures de travail et de mois de préparation au double whisky et à la bière. Ou alors il fallait bosser à France Télévisions, le plus grand terrain de sport du service public de Gérard Holtz et Daniel Bilalian, où sévissent quelques uns des plus mielleux bénis oui oui du monde des journalistes sportifs, tous shootés à l’angélisme, tous disposés à deviner dans n’importe quelle performance médiocre un moment d’anthologie, dans toute image banale un plan magnifique, et dans tout «déjà vu» une page d’histoire.
Cette année, les hommes en bleus de France 2 avaient pourtant choisi de se faire épauler dans leur tâche ardue de rendre intéressante une épreuve qui tient davantage de la Cour des miracles que de la performance sportive (ou comme l’écrit Libération du match de Catch que du vrai sport) ils avaient donc judicieusement choisi de se faire conseiller par Laurent Fignon.
Il s’y connaît, Fignon, en victoire suspecte et retournement de situation à la mords moi le nœud, lui qui fut grillé sur le fil (battu de huit secondes!) d’un Tour étrange par un certain Greg Lemond, auteur d’un ultime contre la montre sur les Champs Elysées plus rapide encore qu’une levée de coude de mennonite dans un hôtel de la Toussuire! Il pourrait y trouver à redire, Fignon, à ces exploits que l’on nomme ainsi un peu rapidement souvent, sans trop chercher à savoir ce qui peut bien se cacher derrière ces coups de théâtre trop spectaculaires pour être honnêtes.
Pourtant, ce Fignon là, merveilleux combattant sur les routes du Tour à l’époque, capable de tenir tête à l’aîné mais toujours vaillant Bernard Hinault, pourtant donc ce Fignon là, qui assista en 24 heures de temps à la fin puis au début (dans cet ordre) de Floyd Landis, ne trouva pas grand-chose à redire à cette résurrection, on pourrait dire cette «rebandaison» de cet américain barbichu. Fignon trouva même ça «formidable». Et ses collègues de France 2, du coup, de tournèrent comme un seul homme comblé vers un Jean Paul Olivier increvable en anecdotes de clochers et de tours, de ponts et d’église, d’aqueducs et d’abbayes, tous croisés au hasard des étapes rurales de la course au maillot jaune. « Alors Jean Paul, vous avez déjà vu ça ? » Et là, patatra, en lieu et place de la réponse attendue, du moment référence pioché dans le passé par ce monsieur Capello du vélo qui retient tout sans rien poser, en lieu et place de cette fameuse révélation qui allait nous replonger dans des Tours mythiques oubliés de tous...rien. Ollivier restait muet et ne voyait pas. Ou plutôt, si, peut-être, il ne voyait que trop qu’il n’y avait pas de comparaison possible parce qu’on n’avait pas osé jusqu’à présent oser tricher aussi visiblement.
Même Indurain faisait semblant d’accuser le coup, même Armstrong paraissait fatigué, même Pantani (sauf à l’Alpe d’Huez) n’avait jamais osé pousser aussi loin le bouchon, et le ridicule. Même Festina savait ménager ses effets, même s’ils en firent trop à un moment donné. Landis, lui, qui au 1er janvier n’avait aucun palmarès (hormis deux étapes de contre la montre par équipe gagnées sous l’ère Armstrong) et qui aujourd’hui, eu 1er août se retrouve à la tête d’un Paris Nice et d’un Tour de France (enfin, pour l’instant), agacé par son bide de la Toussuire, vexé de s’être retrouvé planté, a un peu forcé la dose, poussé le piston de la seringue un peu loin, et d’une seule et même échappée a repris dix minutes à tous les favoris et du même coup réglé son compte au «Tour du renouveau».
Tout était pourtant écrit.
Pas dans le marc de café, pas sous les sabots des chevaux tractant la carriole des parents de Floyd Landis, pas dans les colonnes du quotidien l’Equipe, co-organisateur de l’épreuve, mais dans les colonnes de leurs confrères de Libération, où Antoine Vayer sévissait pendant la grande boucle.
Antoine Vayer sait de quoi il parle. Ancien entraîneur de Festina, il s’y connaît en poulet hormoné, et aujourd’hui dirige une cellule de recherche sur la performance. Au moment de l’ascension de l’Alpe d’Huez, moment clé de ce Tour 2006, il avait proposé un petit jeu aux lecteurs de l’ancien quotidien de July. Un petit jeu, ça tombait bien, au moment des serviettes sur la plage et des Sudoku près des tongues. Un jeu tout bête: chronométrer la montée des mythiques 21 virages.
42 minutes ou plus ? On peut pencher pour des coureurs propres. 42 minutes ou moins? On peut douter. 36 minutes ? (le temps «historique» de Pantani, quelques années avant son dernier coup de pédale dans la poudreuse) là on pouvait éteindre sa télévision et reprendre une activité normale.
Alors 42, 43, moins plus ?
38. La plupart des favoris du Tour ont escaladé l’Alpe d’Huez en un peu plus de 38 minutes, à peine 2 minutes moins vite que Pantani le plus haut dopé des grimpeurs. Le Tour était foutu, il n’y avait plus que l’homélie à prononcer.
Mais le Tour continua, avec quelque interrogations (timides) quand même, et survint ce coup de froid de Landis, qui laissa penser qu’il avait peut-être, finalement, un peu forcé son talent la veille. Dans la Toussuire, le trentenaire à la hanche hésitante faisait peine à voir, plus lent que tous les ventripotents qui l’applaudissaient quand même, sur le bord de la route, sans trop en croire leurs yeux : c’était bien lui, le maillot jaune ? Oui, c’était lui, soudain figé, soudain cuit, soudain caramélisé. Et c’était bien lui, sans maillot jaune, deux whisky plus tard, le lendemain, qui pédalait plus vite qu’Armstrong sur un seul testicule, qui fonçait vers l’arrivée comme si une montagne d’or l’y attendait, ou le Paradis, ou on ne sait quoi, cette arrivée dont il franchit la ligne le poing rageur, descendant immédiatement sans respirer de sa monture, faisant lui-même le ménage parmi les journalistes trop pressés... Cent kilomètres en plus, ils les auraient boulottés !
C’était tellement suspect que c’en était grotesque. Et réciproquement.
Et pourtant, le soir même, on nous sortait les flonflons des «miracles du sport» et autres fadaises qui masquent la vérité aussi sûrement que le nez rouge masque le clown.
Et pourtant le lendemain le seul quotidien sportif du pays, l’Equipe, ne se posera pas trop de question, saluant «l’exploit» sans tiquer. Comme si il n’y avait jamais eu d’affaire Festina, d’affaire Armstrong (que ce même journal s’emploie pourtant depuis la retraite du texan à démythifier), comme si le cyclisme avait toujours été un sport irréprochable, dont les «performances» n’incitaient pas à la prudence.
Le pot (belge) aux roses révélé, l’Equipe s’est excusé, dans un édito qu’on devinait embarrassé. France Télévision a préféré s’abriter du vent dans le doute et jouer sur la présomption d’innocence. Le service public ne veut pas voir que son joujou d’été est de plus en plus à plat. Les organisateurs du Tour, passé ou présents se disent «stupéfaits» ou «déçus». (Armstrong, lui, soutient son compatriote Landis et critique le laboratoire de Chatenay Malabry. Armstrong avocat de Landis: comme si Pol Pot défendait un dirigeant Khmer Rouge !)
Comme d’habitude, donc, en peloton groupé, les thuriféraires de la petite reine font mine de tomber des nues, comme si ces maux là dataient d’hier. Comme si un cycliste dopé était autre chose qu’un pléonasme.
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