Hiver comme été
le messager à vélo
roule à fond de train
Le beau temps et le mauvais temps facilitent ou compliquent la tâche de ce téméraire qui roule à fond de train dans le traffic du centre ville.
Il n'est donc pas surprenant d'apprendre que le messager est principalement préoccupé par le temps qu'il fera à la veille d'attaquer ses journées de travail. Il roulera bientôt par un froid glacial l'hiver ou par un grand vent d'automne. A d'autres occasions, il s'apprêtera à pédaler dans un printemps ensoleillé ou durant une torride journée d'été.
Pédaler 250 jours par année
Sylvain Tremblay, gaspésien de 41 ans, qui a tâté plusieurs métiers, exerce celui de messager depuis cinq ans et sait de quoi il parle: « On se lève le matin et, la première chose dont on s'inquiète, c'est la
température qu'il fait à l'extérieur. Étant donné qu'on roule à vélo, on doit faire face aux éléments et c'est primordial de vérifier cela. » Le messager doit travailler 250 jours par année, parfois dans les pires conditions.
Il quitte son domicile à 7 h 15 le matin pour effectuer une première livraison à partir de la rue Sherbrooke au coin de l'avenue du Parc. Il cessera par la suite de travailler aux alentours de 12 h 30, le temps de faire une pause pour manger. La journée de travail prendra fin vers les 16 h 30, peu avant que les bureaux ferment leurs portes.
Plus le messager «plantera des calls» (fera des courses), selon le jargon du métier, mieux il sera payé : «Nous, on est à la commission. Plus on roule vite sur notre vélo, plus on récolte d'argent».
80 $ par jour
Monsieur Tremblay a déjà réalisé des gains se situant autour de 150 $ par jour, il y a quelques années, durant la période des fêtes. « Depuis ce temps, nos revenus ont beaucoup, beaucoup diminué. Il y a longtemps que je n'ai pas fait une journée de cent dollars et, si cela arrivait, je serais parfaitement heureux », dit-il.
Il reconnaît que les messagers se contentent maintenant de gagner autour de 80 $ par jour quand tout va bien : «Si on obtient 400 $ en cinq jours, on fait une bonne semaine ».
À son avis, ces pertes sont attribuables à plusieurs facteurs, dont les augmentations de taxes, l'apparition de l'Internet et les mesures de rationalisation des entreprises. À ce sujet, il tient ces propos : « C'est assez dispendieux les services de messagerie. Il en coûte à peu près 3.25 $ ou 3.50 $ pour prendre une lettre au centre ville et la transporter dans l'édifice à côté. C'est seulement dans les cas où c'est absolument nécessaire que les compagnies recourent à ces services. »
Un monde de solidarité
Il n'existe pas de rivalité entre gens du métier, bien au contraire : « C'est vraiment très solidaire. Il existe vraiment une fraternité entre les messagers à vélo. J'ai connu et j'ai découvert beaucoup de personnes à travers la pratique de ce métier. On s'entraide et on organise des rencontres et des courses ».
Il est catégorique sur un point : « Il y a de la concurrence entre les compagnies, mais entre nous, jamais au grand jamais ».
Ce gaspésien résume son parcours depuis son arrivée à Montréal : « Je fais à peu près n'importe quoi de mes dix doigts. J'ai étudié en mécanique. J'ai travaillé dans le bois. J'ai touché à un peu de tout, que ce soit de la plomberie, de la soudure ou de l'assemblage de métal. J'ai même fait des ménages et j'ai occupé un emploi dans la guenille sur la rue Chabanel quand je suis arrivé ici dans la vingtaine d'années. »
Plusieurs abandonnent au bout de quelques heures
La qualité primordiale pour livrer du courrier à vélo consiste à posséder un sens profond de la débrouillardise : « Le système D, c'est nécessaire. Il faut savoir quoi faire devant les nombreuses situations qui se présentent. Que ce soit pour le vélo, pour trouver une enveloppe, une personne ou une adresse, ce système-là s'impose », selon Sylvain Tremblay.
Il mentionne en outre qu'il est nécessaire de faire preuve de beaucoup de persévérance et d'une bonne condition physique, ce dont il tire une certaine fierté : « Je pratique un métier que le commun des mortels ne pourrait pas exercer. Il y en a plusieurs qui essaient; au bout d'un avant-midi, d'une journée ou d'une semaine, ils abandonnent parce que c'est dur physiquement. »
Mentalement, il faut aussi être fort : « À moins quarante, quand il vente en hiver, il n'est pas évident de se convaincre de rentrer au travail et de faire toute notre journée. C'est drôlement difficile! »
Pas toujours facile avec les automobilistes
Voilà sans doute pourquoi la plupart des gens manifestent du respect envers les messagers. Monsieur Tremblay en est conscient : « Il y en a beaucoup qui ont de l'admiration pour notre travail. Ils sont carrément fascinés par l'ouvrage qu'on abat. On nous dit souvent qu'on nous trouve courageux et qu'on ne voudrait pas être à notre place. »
Les rapports avec les automobilistes ne sont pas toujours faciles. À ce propos, le cycliste doit s'imposer une discipline : « Ça dépend vraiment de ta propre attitude. Si tu t'arrêtes et que tu commences à t'engueuler, c'est toi qui passeras par la suite une mauvaise heure, parce tu vas être enragé après quelqu'un qui n'a aucune espèce d'importance dans ta vie. » Selon lui, il est impossible de passer dix heures par jour dans le trafic à Montréal tout en s'arrêtant aux moindres détails pour engager une bataille verbale. Quant au personnel de bureau, il entretient des liens fort cordiaux avec les messagers.
Des dépenses de 5 000 $ par année
Sylvain Tremblay a abandonné la voiture pour le vélo : « Pour montrer à quel point je suis malade, je possède cinq vélos. Ça fait six ans que je n'ai plus de «char». À l'âge de 35 ans, je me suis converti aux deux roues ». Il en utilise trois pour le travail; un pour l'hiver, un pour le très beau temps durant l'été et un autre qui convient davantage pour des journées pluvieuses.
Il en coûte très cher au messager pour défrayer les frais d'entretien de sa monture : « On peut facilement dire que ça nous coûte en moyenne 40 à 50 $ par semaine. Pour un, je suis quelque peu excessif, et je suis certain que je dépense sûrement 5 000 $ par année pour mes vélos. »
Une rapide visite sur le Net suffit pour constater que les messagers sont réunis en association un peu partout en Amérique du Nord. Montréal n'échappe plus à la règle.
Ces messagers sont apparus dans le décor montréalais il y a déjà plus de 29 ans. L'Association des messagers à bicyclettes de Montréal évalue qu'ils sont au nombre de 200 à pratiquer ce métier durant la saison froide. Pendant la période d'été, une centaine d'autres viennent s'ajouter dans les rues du centre ville. Environ 75% d'entre eux font partie de l'Association.
Les revendications
L'Association, qui a été récemment enregistrée sous le nom de «Asso-MBM», est vouée à la représentation et à la défense des messagers. Selon un communiqué signé par son président, Nicolas Dalicieux, « Elle représente un groupe de travailleurs un peu en marge de la société mais décidé à se faire entendre par ses revendications. »
Dans ce but, elle publie un journal, le Messager de Montréal, à l'intérieur duquel sont abordés des sujets relatifs à tous les aspects de la livraison du courrier à vélo. De plus, l'Association a mis sur pied une équipe chargée d'organiser des courses de courriers et des évènements sociaux, qui servent à amasser des fonds et à tisser des liens d'appartenance et de solidarité entre les membres.
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