15 juin 2003

100 km en Mauve

« Aie ! c'est cool, c'est la première fois que je monte un vélo qui fonctionne bien. D'habitude, les roues frottent, les vitesses changent pas, je suis pas bien. Mais celui-là, il va tout seul, j'ai juste à pédaler... »

Ce vélo-là, mon garçon, c'est Le Mauve, le plus célèbre vélo de l'histoire du Québec, le seul, à vrai dire, qui ait jamais pris la plume pour raconter des histoires de cyclistes. Grâce à toi, le vieux complice de Foglia reprend du service. Évidemment, il n'est plus de la première fraîcheur, je veux dire Le Mauve. Après avoir porté deux gros culs, il était desquamé, les craques noires et graisseuses, à la retraite. L'an dernier, je l'utilisais pour faire mes courses en ville, je le cadenassais à un poteau où il recevait parfois la pisse d'un chien et n'attirait l'attention de personne.

Le grand ado - David est mon neveu - est tellement content qu'il ne sait même pas que nous montons et montons depuis le départ. Des 3000 participants à ce deuxième Défi cycliste métropolitain, il est le seul à qui ce détail échappe. Devant et derrière lui, des centaines de baby-boomers tiquent de rouler dans la poussière de garnotte jusqu'à la sortie du parc du Mont-Saint-Bruno, parce que ça va salir la chaîne fraîchement lubrifiée de leur Marinoni.

Un peu de « résidentiel », une piste cyclable dûment asphaltée nous conduit au sommet de la côte de la Trinité. Descente vertigineuse, à faire peur.

« Écoute, le gros. Tu freines avec le frein droit. Le gauche, c'est pour l'assitance, il influence la roue avant. Dans une côte de même, il pourrait te faire passer par-dessus ton bicycle, tu comprends ? »

« Ouais-ouin. » Le p'tit accent québécois sur fond de vieux pays, Dato - c'est son surnom en géorgien - a toujours l'air de marmonner. Mais j'aime bien jaser avec lui, il jette sur les choses et les jeunes de son âge un regard allumé, parfois enflammé.

Balzac à vélo
Il veut parler de Splendeurs et misères des courtisanes, qu'il est en train de lire, mais en l'amenant à 25 km/h de croisière, je ne pense pas à Balzac.

« Combien t'as roulé celle année ? »

« Un kilomètre. Je suis allé deux fois chez un ami. Je me déplace en patin à roulettes, c'est moins d'équipement, c'est moins cher. »

Il n'a pas assez de ses deux yeux pour se laisser pénétrer par la beauté et la verdure des petits rangs champêtres de Saint-Basile-le-Grand et Saint-Mathieu-de-Beloeil.

« C'est ça, le vélo. » Ça sent bon le muguet, le lilas et la bouse de vache. Il fait beau, presque frais.

Une dizaine de kilomètres passent. Quelques brèves instructions et je m'accroche avec mon neveu à un peloton qui nous permet d'enrouler, sans effort, dans les 34 km/h. il découvre ça en baskets, sans cale-pieds ni gants ni casque ni lunettes ni cuissards !

Un cheval, le jeunot ? C'est qu'il est en forme, mais alors très sérieusement en forme. Seize ans, six entraînements de water-polo par semaine au CAMO, quatrième au championnat juvénile canadien à Regina il y a un mois, assez hargneux dans l'eau pour s'entraîner avec les juniors, affronte régulièrement les célèbres filles de l'équipe nationale qui lui « pognent la poche, mais nous on... » Ça va, le gros, on a compris !

Un traîneux incapable de tenir sa place m'a fait perdre le peloton. David décroche à son tour pour m'attendre. Nous reprenons la conversation, côte à côte, en roulant dans les 28 km/h.

«Pis, ta nouvelle école ? » il a déménagé l'an dernier vers la banlieue.

« On n'apprend pas grand-chose. Le prof donne ses explications et ceux qui niaisent lui font tout répéter. Des fois, c'est le prof qui passe par-dessus une matière qu'il n'aime pas. »

Et les cours d'éduc ? »

Deux heures et demie par semaine, la moitié en explications et le reste partagé entre le jeu et les changements de vêtements. »

David, je vous le signale juste comme ça, a de gros résultats à l'école. Même attitude que dans le sport : en bas de 90 %, il se trouve pas bon. Une obsession : « Ne jamais finir dernier. »

Et il mange sans arrêt. Où trouve-t-il le temps d'avoir des blondes et de leur faire d'interminables cours au téléphone ? Voilà un doux mystère.

Dans les rayons
Beloeil, McMasterville, ces eaux-là, le Richelieu et ses rives câlines. On nous fait rouler dans la piste cyclable, mais quand un peloton rencontre des promeneurs qui avancent deux par deux sans regarder en avant, c'est pas génial. Et quand il faut changer de côté, franchir une intersection, le flic qu'on vient de voir assis dans sa voiture n'est pas là pour diriger le trafic. Peut-être qu'il tchecke voir si on a nos réflecteurs dans les rayons...

Au sortir de la 223, le court passage sur la 112 à Chambly est carrément suicidaire. Pas un raisin de policier pour gérer l'impatience des banlieusards qui reviennent du Club Price. J'ai pourtant lu quelque part que Vélo-Québec remerciait les municipalités gros comme le bras pour leur collaboration.

Pour avaler l'excellent repas qu'on nous sert à la halte-dîner, nous avons droit à une cour d'école. C'est correct, mais c'aurait été plus romantique assis en face des rapides de Chambly. Quoique ça se laisse comprendre tout seul, 3000 cyclistes, c'est bien simple, ça requiert des chiottes.

Il n'est pas 10 h (David et moi sommes partis à 7 h 21), nous sommes encore parmi les premiers dîneurs car nous avons escamoté la première boucle supplémentaire de 25 km - « Un parcours côteux et exigeant », selon Benoît Poirier, un participant qui nous fait partager ses impressions.

«Tu t'ennuies de ta vieille école, David ? »

« Pas du tout. Elle est sous la domination des gangs ethniques, on peut même pas les regarder dans les yeux, c'est très violent, faut survivre. À ma nouvelle école, y a pas de gangs. »

Etendu sur l'herbe dans les longs lycras que je lui ai prêtés, mon neveu avoue : « À l'école, je ferais rire de moi habillé de même ! » Ici, il ne verra pas plus de deux ou trois autres ados chevauchant la bécane.

« Quelle sorte de gars les filles préfèrent-elles ? »

« Ceux qui sont gelés, qui fument un joint entre deux cours et qui se donnent des airs toffs, Ça me décourage un peu. »

« T'as essayé ? »

« Oui, sauf que je préfère la boisson. Mais ce que j'aime le mieux, c'est d'avoir les esprits clairs. Tu peux pas être stone et bien organisé dans tes affaires en même temps. »

La deuxième moitié du parcours fait plus banlieue, on se tape de grands bouts de routes achalandées dans le style Grande-Allée et montée Daniel, mais il faut bien passer quelque part pour boucler 100-125-150 km.

Revoici la damnée côte de la Trinité. Cette fois, on va l'escalader ! C'est la finale.

David part devant. « Prends ton temps, le gros. Vas-y doucement, garde ton rythme jusqu'à la fin, c'est une cochonne ! »

Nous ne mettons pas le pied à terre, Dato parce qu'il est encore assez frais (sauf pour un mal de cul tout à fait normal) et têtu, moi parce que c'est pas la première.

Cent un kilomètres, donc, au compteur de David.

« T'es pas fatigué ? »
« Non. »

Mais en conduisant la voiture hors du stationnement du parc du Mont-Saint-Bruno, je me suis rendu compte que je jasais tout seul.

Mon gentil neveu dormait à poings fermés.

Ah ! les jeunes, z'ont pas de résistance...


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Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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