Simon Drouin
Geneviève Jeanson réalisera peut-être ce matin qu'elle est forte. Vraiment forte. Hier après-midi, sur le mont Royal, la cycliste de Lachine était peut-être la seule à douter de ses chances de victoire avant la dernière ascension de la côte Camilien-Houde.
Pourtant, Jeanson n'a eu besoin que d'un seul démarrage dévastateur, à quelque 700 mètres du fil, pour perdre dans la brume un groupe de 13 coureuses, incluant la presque totalité des favorites, avant de franchir seule l'arrivée, triomphante, les deux bras pointés vers le ciel.
«Tu viens de battre la meneuse au classement général de la Coupe du monde (la Galloise Nicole Cooke, deuxième), la gagnante du Tour de l'Aude (l'Allemande Judith Arndt, troisième) et la championne du monde (la Suédoise Ljungskog, cinquième)», lui a fait remarquer le président de la Coupe du monde du mont Royal, Daniel Manibal, quelques minutes après la fin de la course.
«Je regardais les autres filles et elles semblaient toute fraîches, a commenté une Jeanson surexcitée. Moi, j'étais vraiment à bloc, j'avais les jambes qui brûlaient. Je me disais: Qu'est-ce que je vais faire? J'ai regardé le moniteur cardiaque de Nicole et j'ai lu 190 (pulsations/minute). Je me suis dit: OK, elle travaille fort, j'ai donc tout donné. Et la foule m'a transportée jusqu'au sommet... »
À donner des frissons
Au sommet de Camillien-Houde, quelques minutes avant l'arrivée, l'animateur Louis Bertrand, privé de communication radio, n'était pas en mesure de décrire les derniers moments de la course. Quand Jeanson s'est pointé dans le dernier virage, son nom a retenti dans les haut-parleurs. Le site d'arrivée a instantanément été plongé dans une immense clameur. Une clameur à donner des frissons.
Troisième l'an dernier, Jeanson, 21 ans, a franchi les 99,6 kilomètres en 2 h 51 min 07 sec, soit 11 secondes de mieux que Cooke et Arndt, pour signer sa deuxième victoire en trois ans sur le mont Royal. «C'est plus dur de répéter une performance que de la faire pour la première fois, a estimé l'héroïne du jour. En 2001, tout le monde m'a laissée aller ou presque. Mais ça, je sais que ça n'arrivera plus. Voilà pourquoi ç'a plus de valeur cette année.»
Si Jeanson a douté pendant la course, c'est parce qu'elle se met de la pression sur les épaules. Une tonne de pression.
«J'ai eu un bon printemps, j'ai gagné plusieurs tours, mais mon printemps aurait été détruit si je n'avais pas gagné, a déclaré la cycliste de l'équipe Rona-Esker. C'est peut-être drôle à dire, c'est peut-être beaucoup demander à une seule personne, mais Montréal, c'est tellement important pour moi. De plus, c'était peut-être ma seule chance avant les Championnats du monde (en octobre, à Hamilton) de me mesurer à un peloton beaucoup plus fort. Je ne voulais pas la manquer.»
Bessette septième
Sixième en 2002, la Québécoise Lyne Bessette a mené la course qu'elle projetait hier, c'est-à-dire qu'elle s'est tenue bien tranquille en tête de peloton. « J'ai tendance à trop en faire au début, a raconté la grande fille de Knowlton. Je me suis dit: Envoye la tête de cochon, tu vas te cacher, tu vas te protéger !»
Cette stratégie n'a toutefois pas produit les résultats escomptés, Bessette ayant été victime de crampes à deux tours de la fin. Elle s'est toutefois accrochée pour terminer au septième rang, à 31 secondes de Jeanson. « Je devais attaquer, mais ce sont plutôt les crampes qui m'ont attaquée. Je me suis dit: Voyons, me semble que c'était supposé être le contraire !»
Bessette a ensuite souligné que ce n'était dans l'intérêt de personne de se pointer au bas de la dernière montée en compagnie de Jeanson. «C'est une côte pour elle : elle n'est pas pesante, elle a beaucoup de puissance, alors quand elle décolle...»
Jeanson sera peut-être un peu plus pesante pour le départ du Tour du Grand Montréal, demain, chez elle à Lachine. Elle se promettait en effet un souper de célébrations avec ses coéquipières, parents et amis, hier soir, avec «un morceau de gâteau» à la clé...
On s'en voudrait de compléter cet article sans rapporter un cri du coeur prononcé par Jeanson à la fin des entrevues. «S'il vous plaît, refaites l'asphalte ! Dans les descentes, on avait l'air de coureuses de vélo de montagne; fallait sauter par-dessus les trous...»
Sacré Geneviève !
page mise en ligne le 1er juin 2003 par SVP