En quittant le parc des Pionniers, on traverse la rue des cafés et des terrasses et je me retiens de leur crier. « Gardez-moi une bière au froid et une pizza au chaud, je reviens de suite ! » À l'église - si je me rappelle bien - on fait une gauche pour se diriger vers le lac Ouareau.
À la lecture du courrier qui m'a attiré ici, j'ai l'impression que cette deuxième édition du Grand Tour cycliste de Saint-Donat est un titre un peu pompeux accolé à une mise en jambes, un opéra printanier pour quelques douzaines de baby-boomers. Pire, je crains de ne pas vraiment y trouver substance à chronique, mais que voulez-vous, dirait notre premier ministre fédéral, il faut parfois prendre des risques.
Les cuissards, les Marinoni, les cheveux gris; jusqu'au virage à droite sur le chemin du Lac-Blanc, je reste sur ma conviction et cela m'encourage, vu ma petite forme et un kilométrage négligeable jusqu'ici. On m'a dit qu'il y a deux bonnes côtes dans le parcours des Braves, un tour du lac Ouareau d'environ 40 km, mais que c'est à peu près tout. Les Intrépides, partis en avant comme des fusées, vont ensuite s'attaquer au tour du lac Archambault pour une trentaine de kilomètres supplémentaires. De ce tour-là, on ne m'a rien dit, mais j'ai dans mon idée de faire la distance, chu pas une moumoune malgré quelques beignes restés pognés dans mon tour de taille.
Bon.
Pour ajouter au préjugé, j'ai dans la tête un grand district peuplé de motoneigistes et d'amateurs de véhicules tout-terrains. Dans Saint-Donat et sa banlieue, il y a pourtant la base de plein air l'Interval, plusieurs camps de vacances pour les jeunes, un grand sentier pédestre appelé Inter-Centre. Et de grosses protubérances appelées montagne Noire, mont Legault, mont Ouareau. Je sais tout cela, mais une rencontre du troisième type avec une motoneige et son chauffard il y a quelques années, pas loin de l'épave d'un avion écrasé sur un flanc abrupt, m'est resté coincé entre les neurones.
Je double une dame d'un certain âge vêtue, ma foi, pour faire du ski alpin.
Une première bosse. Pas longue. Puis une deuxième, pas longue. Ça redescend, mais pas beaucoup. Une troisième bosse, pas longue, mais pas douce. Une quatrième, une cinquième, elles ne sont jamais longues, mais elles ont de la pente. Et une n'attend pas l'autre.
J'entends râler des dames.
Moi, je ne braille pas et je me dis que...
Oups, une dame me dépasse. Je devrais peut-être arrêter de penser et pédaler un peu.
Puis un monsieur me dépasse à son tour, mal équipé, plus très jeune, les shorts de course, la casquette de travers pis les pignons et la chaîne noirs. Ça et un coup de fouet, c'est pareil. Je me cabre et remets de la gomme. Effectivement, le vieux monsieur pensait monter la côte sans mouliner, sur le boeuf, vous voyez le genre. Alors oui, je le redouble avant le sommet de la côte, tiens que je te montre comment on fait, monsieur !
Les casses-pattes
Une douzaine de kilomètres comme ça. Monte, descend, monte, descend, pas le temps de se faire un rythme, si ça continue on va se brûler avant de se réchauffer, surtout qu'on est en début de saison. Ces petites côtes sans douceur sont casse-pattes.
Mais passé la décharge du lac, au-delà de la dernière côte, deux petites dames discutant rénovation de salle de bain m'annoncent qu'à partir de là, c'est beaucoup plus smooth. Elles roulent bien, les petites dames, et me font remarquer combien belle est l'étendue d'eau vue de cette route en surplomb.
Majestueux est le mot qui me vient à l'esprit. C'est devenu roulant, je suis heureux. Abdul, mon Argon 18, est rigide et véloce, mes pneus sont durs et, ai-je oublié de le mentionner, il fait un soleil méditerranéen.
« L'an passé, nous avons eu de la pluie. »
« Vous habitez ici ? »
« Un chalet. »
« Vous roulez bien. Combien de kilomètres avez-vous accumulés cette année ? »
« Nous avons pris un peu d'avance, nous avons roulé en Europe cet hiver. » Elles sont des habituées du Grand Tour et étaient du 2e Défi métropolitain.
Allô le Club de plein air de Saint-Donat ! Cette génération de Boomers n'a décidément qu'une idée en tête : faire suer les jeunes !
« Mon mari, lui, c'est un crack. Si on n'en faisait qu'à sa tête... »
« Vous allez continuer avec le tour du lac Archambault ? »
« Oh non ! c'est trop difficile... »
Après un bout moins passionnant, mais facile, sur la 125, nous revenons à Saint-Donat et au parc des Pionniers.
Le temps de me faire déconseiller de tenter le tour du lac Archambault - « c'est plein de côtes très difficiles » - et de me laisser tenter par un hot-dog, voici qu'arrivent les Intrépides qui ont déjà complété toute la randonnée, les deux lacs, frais comme des roses.
« C'est justement lui, mon mari. » Le crack en question. Presque pas en sueur, 51 ans. Son compteur confirme mes soupçons : 70 km à 27 kw/h de moyenne, dans des côtes en face de singe !
« On passe du temps ici pour faire du ski, du vélo, du canot. On est du monde de plein air, insiste Jean Cinq-Mars. On loue un chalet sur le bord d'un p'tit lac en arrière. »
« Vous roulez en t... »
« Je me laisse aller, c'est tout. Je ne veux pas avoir de pontage, vous comprenez ? »
« Il fait du vélo 12 mois par année, m'explique sa femme qui en passant s'appelle Suzanne. Même l'hiver, il traverse le pont pour aller travailler. Il est toujours en vélo ! »
« Que faites-vous comme travail. »
Cette fois, c'est trop. Jean Cinq-Mars, un peu honteux, passe aux aveux. « Je suis prof d'éducation physique... »
Encore des côtes !
Je ne suis pas rentré à Montréal directement. Pour en avoir le coeur net, je suis allé reconnaître le tour du lac Archainbault en auto. Passé Saint-Donat on roule un petit bout sur la 125, puis il ne faut pas manquer le chemin Régimbald qui abouche sur la gauche. Il suffit de suivre cette route qui contourne le lac jusqu'à la route 329.
Des côtes, ouf ! des vraies, raides, longues, avec des points de vue à couper le souffle (c'était quelques jours avant l'apparition des feuilles dans les arbres) sur ce lac Archambault d'une incomparable beauté.
Dans la dernière descente, me promettant de relever ce défi à la prochaine occasion, j'ai aperçu Sébastien Jutras et Marie-Esther Biron qui attaquaient la route en sens inverse, tout à côté de l'accès au sentier Inter-Centre de la montagne Noire, chevauchant bravement (Intrépidement ?) un tandem.
Ils rentraient à leur chalet : 15 kilomètres pour se rendre au départ du Tour, 70 kilomètres pour faire le Tour et 15 kilomètres pour rentrer. Total : 100 kilomètres.
Ils vont faire ça tout l'été !
Eux non plus, ils n'auront pas besoin de pontages.
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