Geneviève Jeanson
La cycliste Geneviève Jeanson nous a écrit ce texte en réaction à la chronique du 23 octobre dernier de Pierre Foglia, intitulée « Des naïfs et des babouins »
Je fais un très beau voyage en Europe. Je réussis à ne pas trop penser à mon retrait forcé de la course des championnats du monde. Ici, dans les journaux, on a très peu parlé des tests antidopage faits à Hamilton, même celui du nouveau champion du monde. Alors ça me surprend quand quelqu'un m'appelle de Montréal pour me dire que mon test fait encore la première page des journaux.
C'est comme ça, par téléphone, que j'ai appris que vous me mettiez au défi de dévoiler mon taux d'hématocrite et de fournir des explications, pour dissiper les soupçons. Alors je vous écris pour vous dire que je ne relèverai pas votre défi. Et pour vous expliquer pourquoi.
Ma santé avant tout
La première raison, c'est que les soupçons ne sont pas ma première priorité. Les soupçons, je vis avec depuis l'âge de quinze ans. Depuis que je gagne des courses. Je ne m'habitue pas, mais je vis avec.
Ma santé, par contre, c'est bien plus important. C'est drôle, il n'y a pas grand monde qui m'a parlé de ma santé. Tout le monde a l'air de penser que quand l'UCI parle d'inaptitude à courir pour des raisons de santé, c'est une joke. Je suis peut-être naïve, mais moi je ne prends pas ça pour une joke. Ma santé, je ne veux pas prendre de chance avec ça. Hématocrite à 49 ou 53, c'est pas ça le problème. Le problème c'est que, à Hamilton, mon hématocrite dépassait la limite de sécurité de l'UCI. Et ça m'inquiète. En fait, depuis deux semaines, c'est la chose qui me préoccupe le plus. Pas le résultat de mon test, ça ne m'a jamais inquiétée. Ça a l'air que j'étais presque la seule personne du Québec qui ne s'énervait pas avec ça.
Mais quand j'ai commencé à faire du sport, c'était pour être en santé, ça serait niaiseux que ça me cause des problèmes, non ? Alors je ne prends pas de chance. Je veux savoir ce qui s'est passé. Moi aussi, je veux savoir si c'est juste la tente ou s'il y a pu y avoir autre chose. Je sais que j'étais déshydratée après le contre-la-montre, est-ce que ça a pu jouer ? Je n'en ai aucune idée. Personne au monde n'est plus intéressé que moi à trouver une explication.
Alors, c'est sûr que je vais aller voir un spécialiste, peut-être plusieurs. Et c'est sûr que je vais me faire suivre de près par un spécialiste en médecine sportive, puis d'autres spécialistes s'il le faut. Je m'en veux de ne pas l'avoir fait avant. C'est en haut de ma liste de choses à faire en revenant de vacances. Mais je ne fais pas ça pour convaincre personne. Je fais ça pour moi, pour ma santé.
Une preuve impossible à faire
La deuxième raison, c'est que même si je voulais, je ne pourrais pas prouver que je ne me dope pas. Personne n'est capable de prouver qu'il ne se dope pas. Je ne suis pas une experte, vous en connaissez beaucoup plus que moi sur le dopage. Mais je sais que si mon taux est de 49, ça ne prouve pas que je ne me dope pas. Ç'est ce que je comprends. Et s'il est à 53, ou 55, ça ne prouve pas que je me dope. Peut-être que ça vous convainc, vous, mais ce n'est pas une preuve. Il n'y a pas que vous. Il y a d'autres journalistes, d'autres personnes dans le cyclisme, des experts, ils ont tous une petite idée là-dessus. Alors, si ça ne prouve rien, à quoi ça sert de donner un chiffre ? Le soupçon va continuer de toutes façons. Ce n'est pas ça qui est important.
Jusqu'à preuve du contraire...
La troisième raison, c'est que je ne pense pas avoir à prouver que je suis innocente. Dans la vie, il n'y a pas juste les naïfs et les babouins. Il y a pas mal de monde qui pense juste qu'on est innocent tant qu'on n'a pas été trouvé coupable. Il y a pas mal de monde qui pense que c'est aux accusateurs de faire une preuve, pas aux accusés. Moi je pense ça. L'UCI pense ça. Au Canada, les juges pensent ça. Ce n'est pas à moi de prouver que je ne me dope pas, c'est à ceux qui disent que je me dope de le prouver. S'ils ne sont pas capables, j'aimerais ça qu'ils se taisent.
Mon affection pour vous reste entière, même quand nous ne sommes pas d'accord. Comme maintenant.
page mise en ligne le 28 octobre 2003 par SVP