Ave Maria !
Après avoir servi un verre à Marilyn Monroe, Albert LeBlanc raconte qu'il a quitté son emploi de barman à Los Angeles. Et il est parti voir sa soeur Blanche-Alice, qui vivait dans une communauté religieuse du sud-ouest de la France.
Sans budget.
Comme moyen de transport, il optait donc pour le moins cher : le vélo. Et pour se rendre de Los Angeles à Nantes, il s'est mis à zigzaguer, pour tout voir. Les courbes qu'il a tracées sur tous les continents sont à faire rougir la théorie de la relativité.
Le 13 février 1963, se mettant en route pour Nantes, Albert LeBlanc a enfourché une bécane et s'est dirigé vers le... Mexique. Il a traversé le Panama. Puis la Colombie, le Pérou, la Bolivie, la Cordillère des Andes, l'Argentine et Buenos Aeres, le Brésil. À Rio de Janeiro, il s'est trouvé un job comme peintre à bord d'un bateau marchand en partance pour Cape Town, en Afrique du Sud, ce qui convenait à ses plans. Du Cap, il est reparti sur sa bécane pour se rendre au Soudan, puis il a longé le Nil pendant huit jours jusqu'au Caire. Chypre, Liban, Syrie, Jordanie et Israël pour un Noël parfaitement synchronisé à Bethléem. Il a continué d'accumuler les détours et est arrivé deux mois plus tard au monastère de Saint-Gilles-sur-Vie, près de Nantes, dans le sud-ouest de la France.
« Puis je suis allé à Paris, à Berlin, en Pologne, j'ai continué jusqu'en Inde et au Japon. »
Monsieur LeBlanc raconte son incroyable périple très simplement, comme si c'était la plus normale des choses de faire ainsi le tour du monde, sans vantardise, sans le sou et sans ligne droite.
« Je suis arrivé à Tokyo et j'ai appris qu'il y avait des Jeux olympiques, poursuit-il. Quelle distance j'avais faite ? Je sais pas, 40, 50 000 km en zigzagant. »
Ou peut-être voulait-il dire des milles. Qu'importe, dans ces distances-là, comme en astronomie, on ne compte plus en kilomètres mais en années...
Le barman, le peintre, celui qui avait été bûcheron dans son patelin natal de Maria, en Gaspésie, trouvait - gratis évidemment - des billets pour la cérémonie d'ouverture des Jeux du Baron de 1964. Des billets aussi pour la cérémonie de clôture.
« Et j'ai pris le premier avion de ma vie pour rentrer de Tokyo à Vancouver. »
Des fourmis dans les jambes
Le jeune homme de 40 ans est retourné servir des « drinks » aux célébrités, « mais j'ai vite eu des fourmis dans les jambes ». Alors il a quitté de nouveau la Californie, en bicyclette, pour aller voir l'Expo 67 à Montréal. Comme s'il n'avait pas assez vu le monde, le grand rendez-vous planétaire lui a donné le goût de ne plus regarder en arrière.
« Du 22 août 1968 au 12 octobre 1972, j'ai été parti quatre ans et deux mois. Les Jeux de Mexico en 1968, puis ceux de Munich et les attentats en 1972. J'ai le passeport le plus long au monde. Je l'ai montré à Lise Payette. »
C'est ainsi qu'Albert LeBlanc est devenu chasseur de Jeux alors que d'autres chassent les volcans ou les papillons. Comme autant de trophées, tous les Jeux d'été depuis 1964 - il y en a 10 - sont accrochés au mur de sa mémoire. La vivacité d'esprit de ce monsieur de 80 ans prouve bien que les voyages gardent la jeunesse intacte. Lui, il n'a pas perdu le feu sacré ni le moindre souvenir, sans doute parce qu'il a trouvé, dans cet incessant pèlerinage, un antidote à la sénilité.
Jamais, en 100 ans je n'aurais deviné que c'était lui, lorsque je l'ai aperçu pour la première fois, dans le hall d'entrée de la Société Radio- Canada, au moment où il allait rencontrer l'équipe de Matin Express. Il n'a pas l'air d'avoir plus d'une soixantaine d'années, il est plutôt grand, il se tient droit et la poignée de main ne ment pas : ce monsieur bûche encore du bois à Maria !
Albert LeBlanc a entrepris son voyage vers Athènes - sa dernière destination olympique - au début du mois de juin. Parti de son village gaspésien, il a mis 19 jours pour franchir les 850 kilomètres qui mènent à Montréal. « J'ai pris la 136 de Maria à Québec et le Chemin du Roy de Québec à Montréal », raconte-t-il de son bel accent. Avec, bien sûr, un de ces détours, dont il a le secret, à Chicoutimi - pardon, à Saguenay, je ne m'y habituerai donc jamais ! - pour aller cueillir le magnifique vélo que lui a offert le fabricant De Vinci. Bécane qu'il a fait trafiquer sur-le-champ pour abaisser la barre horizontale, pour y fixer sa tirelire en forme de globe terrestre et pour écrire tous ses messages.
Le monde est petit
Quand il est sur la route, Albert LeBlanc attire forcément le regard. Avec sa monture et son p'tit chapeau tout simple, il compose un tableau qui relève de l'art naïf. En roulant vers le Stade olympique, il a retourné des salutations de cyclistes qui venaient de le voir à la télé et il s'est même arrêté pour jaser avec nul autre qu'un certain Georges, fils de son voisin à Maria ! Le monde est bien petit pour ceux qui le possèdent à la manière de notre héros...
« J'assiste toujours aux cérémonies d'ouverture et de fermeture des Jeux olympiques, explique-t-il. À Athènes, ce sont les compétitions des jeunes Despatie et Macrozonaris qui m'intéressent aussi beaucoup. »
M. LeBlanc a pris l'avion pour Paris le 7 juillet, pour « revoir les Champs-Elysées; la dernière fois c'était en 1945 ». Il a donc fait la guerre et vu le Général de Gaule.
Au terme de ses 11e et derniers Jeux, il pourra en outre dire qu'il a foulé tous les sites des Jeux depuis ceux d'Athènes en 1896; quant à faire l'exercice, autant le faire jusqu'au bout ! Sa mémoire est d'ailleurs trop pleine et quand Vic Pelletier lui a demandé de raconter son histoire pour documenter le film qu'il est à faire sur lui (Dans la roue du temps, réalisé par Sylvain Rivières), M. LeBlanc lui a remis trois caisses pleines de scrap-books. Tiens mon Vic, arrange-toi avec ça !
Des célébrités, notre Canadien errant et pédalant en a rencontré des tas, mais il en a quand mêmé raté une, et de taille : le Pape.
« J'ai cueilli un peu de terre dans son village natal de Vadovice, en Pologne, et je la lui ai apportée à Rome afin de lui en faire don personnellement. Mais au Vatican, on m'a dit qu'il ne pouvait me recevoir, qu'on allait lui remettre mon sac. J'ai dit pas question, et j'ai gardé la terre pour moi. »
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