Nous aurions eu intérêt à dire bonjour en arrivant à la gare de Mont-Tremblant, quelqu'un aurait eu la gentillesse de ne pas nous laisser partir dans la mauvaise direction. Mais la méprise ne dure guère plus de 500 mètres et en longeant le lac Mercier, je comprends que nous nous dirigeons vers Saint-Jovite.
De sympathiques habitués nous l'ont d'ailleurs confirmé : Mont- Laurier, c'est dans l'autre direction, vers le nord !
Nous n'avons pas tellement bien dormi, mais nous sommes contents d'enfourcher les bécanes pour un autre repérage de la Route verte. Je ne suis pas de la meilleure humeur, sachant bien qu'il ne faut pas partir en longue randonnée accablé par la fatigue. Mais bon, une centaine de kilomètres, ce n'est pas la fin du monde. Aussi, il fait nuageux et un tantinet frais, ce qui est parfait. Et comme nous partons pour deux jours, j'ai eu le flash de faire monter un porte-bagages sur le vieux Mauve, une monture cyclotouriste. Qui dit porte-bagages dit bagages. Le neveu David les trimbale, tandis que moi, je traîne mon calepin, mon imper et six clémentines, c'est bien assez...
Le jeune trouve le vélo plus lourd quand il le soulève, mais il ne ressent rien de particulier en roulant : « Ça fait pas de différence.
- C'est parce que tu es fort. Attends voir cet après-midi, tu vas la ressentir, la différence ! »
Plus je roule sur la criblure de pierre, moins je trouve ça génial. Mon Argon 18 est monté sur du 700 x 23 mm et David est chaussé en 25 mm, mais le problème n'est pas dans l'étroitesse des pneus. La poussière de roche, c'est juste plus laborieux quand on fait de la distance (et ça vous empoussière toute la machinerie, ouache !). Pour faire une balade digestive ou un placotage roulant d'une demi-heure, c'est parfait; mais pour le transport à propulsion humaine, c'est lourd.
Ce n'est pas une critique, je prends la piste comme elle est, quand elle est honnête. Je trouve juste la surface un peu molle. Bientôt, nous roulons sur une criblure inégale - sillons durs, sillons mous - comme si la niveleuse venait de passer. Moyen.
Finalement, nous rattrapons la machine. Son chauffeur nous confirme qu'il en est cette année à son troisième passage. Il y en aura cinq ou six au total durant la saison. Ajoutez à cela les nouvelles quantités de criblure à répandre, cela doit bien coûter assez cher. Moins cher à long terme que l'asphalte ? Peut-être bien pas...
Signe des temps
Bonjours mesdames ! Elles sont quatre, dans la soixantaine, le rire facile. Les baby-boomers semblent majoritaires sur la piste, du moins dans les environs de Tremblant. Et le vélo de montagne sur le plat me semble être à la baisse, au profit de montures hybrides de bonne qualité, indéniable signe d'intelligence de la part des utilisateurs.
La gare de Labelle. Élévation : 233 mètres, affirme un écriteau. Tandis que j'étire ma carcasse aux jointures encore grinçantes, David visite le mini-musée de la gare et en ressort avec la question de la semaine : « Jackrabbit a-t-il toujours été vieux ? A-t-il déjà été jeune ? Il est vieux sur toutes les photos que je vois de lui... »
Le pionnier des Laurentides est mort à 111 ans et demi, mais il était déjà près de la soixantaine lorsqu'il est arrivé dans notre beau grand pays et qu'il a entrepris d'ouvrir des pistes. Ce qui fait que dans ce coin-ci de la Scandinavie, on l'a pratiquement connu juste vieux. En tout cas, il l'a été longtemps. Imagine, mon David : à 60 ans, ce monsieur avait tout juste vécu la moitié de sa vie !
C'est le temps de régler les distances du jour. Nous sommes partis de Tremblant, la mégastation, et j'ai négligé de mettre un des cyclomètres à zéro au départ de Mont-Tremblant, le village. Mais devant la gare, une carte de la piste du parc linéaire du P'tit Train du Nord révèle les kilométrages : Mont-Laurier est au kilomètre 200, Labelle, au 107. Il nous reste donc à pédaler 93 kilos. J'en déduis que nous allons faire aujourd'hui 117 km.
Passages nuageux
Le soleil conmience à se montrer entre deux nuages. J'espère seulement qu'il restera discret, pour notre plus grand confort.
À Nominingue, mes sandwiches ne deviennent qu'une bouchée dans mon broyeur à déchets ambulant (lire : mon neveu). Sieste sous un arbre, on ne gèle pas...
On m'a dit que la plus grande partie de notre route allait être asphaltée, ce qui, on le souhaite, sera un jour le cas de toute la Route verte.
Le bonheur nous arrive effectivement à La Macaza. Une belle surface noire et encore un peu neuve. Ah ! le bel asphalte, là mes cocos on peut rouler, exprimer ce qu'il nous reste dans les guitares.
Au-delà de Nominingue, l'ambiance de villégiature s'estompe et le paysage se fait de plus en plus sauvage. Les marais, les flaques d'eau noire, les chablis, les trappes de sable et les cimetières de conifères se succèdent et donnent ici tout son caractère nordique au tissu forestier. Ce sont aussi les bouquets de fleurs odoriférantes qui nous font des haies par-ci mauves, par-là canari. Et la musique est fournie gratis. Les chanteurs ailés quittent parfois leurs branches pour arpenter le ciel redevenu un peu gris, à notre grand plaisir.
Le pays de nos ancêtres
Bédard Station, annonce un panneau d'interprétation à l'intersection d'un chemin de terre semé de cailloux gros comme le poing. Pas une habitation en vue. J'aime le nord et sa texture rugueuse. Ça, mon David, c'est le pays de nos ancêtres, enfin des miens (lui, il vient de l'antique Géorgie). Ils n'avaient pas tant à craindre du froid, de la solitude, des maladies et des animaux sauvages que d'un fléau qui à pour nom moustiques : maringouins, mouches noires, mouches à chevreuil, frappe-à-bord et autres monstres ailés du nord humide. Mais ils ne nous ennuient pas aujourd'hui...
La gare de Val-Barrette, c'est Routhier Station : encore 14 km à faire jusqu'à Mont-Laurier, nous avons hâte d'arriver. Par bonheur, la route est pavée des bonnes intentions de la MRC Antoine-Labelle, qui ne ménage pas les efforts pour attirer les touristes que nous sommes.
La Route verte s'est repeuplée. Les patineurs se mêlent aux cyclistes et aux braves petites mamans qui tirent poussettes et bébés endormis. C'est le nord, les Hautes-Laurentides, mais l'ambiance est chaleureuse. Tout le monde se salue.
À 16 h 15, mon cyclomètre affiche 117 km et nous débouchons sur l'industrieuse et Principale rue de Mont-Laurier. C'est aussi la 117 et ses gros camions.
« À une autre époque, mon p'tit Dâââvid, j'ai roulé sur cette route dénuée d'accotement, parce que les libéraux, mais aussi les péquistes, ne croyaient pas que cet investissement en valait la peine. Des fois, les trucks de pitounes nous poussaient dans le gravier. Alors la Route verte, mon vieux, même quand elle n'est pas parfaite, je lui fais des gros becs ! »
Salut, Billy !
C'est l'heure d'appeler le Dr Luc Laurin. Une heure plus tard, nous sommes à sa résidence de Ferme-Neuve. Après une réconfortante baignade dans le lac des Journalistes (eh !) et un interminable bain à remous, nous sirotons un (deux puis trois) verres de l'hydromel local.
Un jeune garçon s'amène dans la cour et nous propose d'acheter des billets pour les activités de son école ou de son camp de jour, je ne sais plus. Il y a toutes sortes de prix à tirer. Si je gagne la coupe de cheveux au salon local, je vais avoir un sacré voyage à faire pour venir récolter mon prix !
« Je suis venu me baigner ici, avoue le sympathique garçon de 12 ans. Avec le groupe de ma classe.
- C'était le fun ?
- Ouais, c'était le fun. »
Billy Larente, son nom, au kid. Il fait partie d'une groupe d'écoliers inscrits au programme PromoSanté - un programme de prévention des maladies cardiovasculaires et pulmonaires par la pratique du plein air et de la bonne alimentation - mis sur pied par le doc Laurin, chef médical de l'hôpital de Mont-Laurier.
Le garçon remplit pour nous les quatre coupons qu'il vient de nous vendre. Avec son p'tit chapeau et sa manière de marmonner, il est vraiment rigolo. Le Dr Marcel Cadotte, par qui je suis venu ici voir ce programme PromoSanté, me file un clin d'oeil.
- C'est Luc qui l'a mis au monde.
Le doc Laurin a accouché toute la ville.
Il se propose maintenant de faire vivre tout ce monde longtemps, comme Jackrabbit.
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