Petite entreprise qui... roule à contresens
Jacques Benoît
La très grande majorité des composantes de vélos (le cadre, les freins, les dérailleurs, le pédalier, etc.) sont désormais fabriquées en Asie. En Chine, à Taiwan, en Thaïlande, etc.
« La pression de l'Asie est très forte au niveau des coûts. Ils font de très bonnes jobs, pour 10 % de ce que ça coûte ici », signale Dan Nielsen, directeur, ventes et marketing, de Cycles Devinci, de Saguenay (ex-Chicoutimi).
Petite entreprise qui... roule à contresens, Devinci, elle, conçoit et fabrique elle-même, à la main, ses cadres d'aluminium. Les autres fabricants nord-américains ne vont pas plus loin que la conception et en confient la fabrication à des sous-traitants asiatiques, dit-il.
« C'est le cadre qui différencie chaque compagnie dans cette industrie-là, dit-il. Devinci peut continuer à les fabriquer ici parce qu'on est dans le haut de gamme. La compétition a un énorme avantage sur nous, parce que leurs cadres leur coûtent une fraction de ce qu'ils nous coûtent. »
Très chers du point de vue du néophyte, les Devincis ne coûtent jamais moins, au prix de détail, « de 600 à 650 $ ».
Dans le cas des modèles les plus luxueux, le prix de détail grimpe à 6000 $.
« Il y en a pour tous les goûts », note Dan Nielsen.
L'entreprise commercialise ainsi cette année 39 modèles différents, qui se partagent entre une dizaine de catégories : vélo de route performance, cyclotourisme, route confort, hybride performance, cross country, free ride, etc.
Et chacun de ces 39 modèles a son nom : Imola, Millenium, Chicane, Nassau, Desperado, Banzaï, Coyote, etc.
« Chaque catégorie demande un cadre particulier », indique son directeur. vente, et marketing.
Les plus... dingues de ces vélos : les free ride, pour la descente en montagne. Devinci en fabrique quatre modèles, dont le Free Ride Ollie élu vélo de l'année (2004 Bike of the Year) par la revue américaine Twentysix. « Des gens qui descendent Tremblant et Saint-Sauveur à toute vitesse et qui sautent 20 pieds dans les airs ! Des adrenaline junkies », raconte Dan Nielsen, qui travaille depuis Montréal plutôt qu'à Saguenay.
Pour les modèles d'une même catégorie, on emploie le même cadre, et c'est les autres composantes, tels que les dérailleurs « du dieu Shimano, du Japon », qui font que l'un coûtera 1200 $, un autre 1600 $, un troisième 1800 $, etc.
« Le prix de détail moyen pour nos vélos est d'environ 1500 $ », dit-il.
Le Ollie, lui, coûte dans les 4500 $, contre 6000 $ environ dans le cas des plus chers, dont le Moonracer Édition Limitée pour le cross Country...
Les débuts
Tout cela commença à la fin des années 80, à une époque où on utilisait avant tout l'acier dans la fabrication des cadres.
Deux « maniaques du vélo », Daniel Maltais, alors étudiant en génie mécanique, et Guy Ouellet, qui étudiait le désign industriel, conçurent alors un cadre à être fabriqué en aluminium. Ceci fait, ils passèrent en 1987 à l'étape suivante, et, fondant la compagnie, se mirent à en fabriquer.
« C'est pas si facile, l'aluminium, fait observer Dan Nielsen, 35 ans. Il ne faut pas seulement souder les pièces ensemble. Il y des traitements thermiques et chimiques qui se font. C'est ce qu'on appelle le vieillissement artificiel. Quand c'est bien fait, c'est très résistant. »
Mais, comme pour tout le reste, le roulement (c'est le cas de le dire) est incessant. Comme dans l'industrie automobile.
« Un cadre va durer deux-trois ans, explique Dan Nielsen. Les pièces vont changer, les cosmétiques aussi : la couleur, les décalques, etc. C'est très fashion. Vous voulez acheter une auto de 30 000, de 40 000, de 50 000 $, mais on ne l'achète pas si on n'aime pas la couleur. C'est la même chose pour le vélo. »
Puis, en 1990, Félix Gauthier, qui en est aujourd'hui le président-directeur général et l'actionnaire majoritaire, à hauteur de 70 %, racheta l'entreprise à ses fondateurs.
Il conserva le nom, mais élargit le champ d'activité de Devinci qui devint fabricant de vélos en 1993.
« On a une équipe de cinq personnes en recherche et développement, fait observer Dan Nielsen et on fait toute la R & D à Chicoutimi. C'est une des forces de Devinci. C'est le hallmark. Les cadres, l'assemblage, la distribution, etc., tout part de Chicoutimi. »
Ainsi, il y a trois ans, de concert avec la faculté de Génie mécanique de l'Université de Sherbrooke, la firme mit au point un dispositif sophistiqué, porté par les essayeurs de prototypes, dont les capteurs permettent d'accumuler de multiples données sur le comportement et la résistance des cadres dans des conditions réelles d'utilisation.
Grâce à ces données, les ingénieurs peuvent, par la suite, apporter au besoin les corrections et les ajustements voulus aux cadres expérimentaux, indique son directeur, ventes et marketing.
Le recentrage
Il y a trois ans, Devinci faisait construire, à Saguenay, une usine spécialement conçue pour elle, d'une superficie de 27 000 pieds carrés.
L'autre virage récent remonte à 2002, au moment où l'entreprise remania et renforça son équipe ventes et marketing. Consultant basé à Montréal, Dan Nielsen, de DM Nielsen Solutions, devint alors directeur de ce service.
« La moitié de mon temps va à Devinci, dit-il. Maintenant, on est mieux structuré. L'an passé, on a décidé de remettre l'accent sur le Canada. Pendant deux ans, on a été distrait par les États-Unis. Là, on a décidé de rouler nos manches et de bien exploiter le marché d'ici. Avant d'aller trop loin, on veut avoir une histoire à raconter au Canada. »
Résultat, Devinci réalise 50 % de son chiffre d'affaires au Québec et, en y ajoutant les ventes faites dans les autres provinces, 85% de son chiffre d'affaires au Canada.
« Il ne reste jamais de stocks, conclut-il. En 2003, on a vendu dans les 7500 vélos. Cette année, on vise entre 11 et 12 000. Ça progresse énormément. »
Enfin dit-il, l'entreprise est rentable ou, au pis-aller, elle s'arrange pour être au point mort.
L'ENTREPRISE |
page mise en ligne le 5 avril 2004 par SVP