8 janvier 2004


Philippe Saint-Germain, courrier à vélo, pédalera dans les rues froides
de Montréal aujourd'hui : » Non, je n'ai pas la pire job en ville. ».
photo : Gilles Lafrance

Philippe le popsicle

Le Montréalais qui va le plus souffrir du frois polaire aujourd'hui ? Probablement Philippe Saint-Germain. Il travaille à vélo. Il est fou, je crois.

Philippe est courrier à bicyclette.

« C'est mon sixième hiver. Là, c'est vraiment la semaine la plus froide de l'année. »

Je l'ai accroché dans le lobby du Journal où il était venu livrer une enveloppe, hier après-midi. En le voyant avec sa tuque du Canadien, je me suis dit: Ouch.

Vous le devinez bien, Philippe Saint-Germain écoute les bulletins météo avec le même zèle que les défenseurs des assistés sociaux ont regardé les Bougon, hier.( Note du webmestre : pour comprendre cette référence, cliquez sur la photo au bas de cette page).

- « Chaque matin, oui ... »

Et hier, dans le lobby du palais de justice où on s'était donné rendez-vous, Philippe savait qu'aujourd'hui, un enfer froid l'attendait dans les rues de notre cité, pire que celui qu'il a affronté hier.

« Au tour de -35, hein ? »

Ses doigts dégelaient moins vite que la slush de sa roue arrière de vélo, dont il changeait la chambre à air, crevée. Philippe sacrait comme un bûcheron, recroquevillé sur ses mains.

« Tu t'es gelé un doigt, Philippe ? »
Le courrier ne m'a même pas regardé :
« Pas un doigt, les dix... »

Voilà un homme qui impose le respect. Voilà un homme qui brave les éléments, tel un coureur des bois moderne : pas payé à la fourrure de castor, mais au paquet livré à la force du mollet.

Mais voilà un homme qui ne porte, cependant, qu'un vulgaire... coupe-vent.

Où est ton Kanuk, mon Philippe ?

« Pas besoin d'un gros manteau. Trop chaud. Le truc, c'est d'avoir bien des épaisseurs », fait-il en soulevant son chandail, montrant ses nombreuses pelures de coton, de polyester et de laine.

Philippe, âgé de 27 ans, ex-Lavallois, travailleur autonome, pédale au milieu d'une tribu mal-aimée : les courriers à vélo. Philippe ne cherche même pas à défendre sa gang. Pour lui, courriers à vélo et automobilistes entretiennent le même type de relation que les syndicats et Jean Charest : je t'haïs plus que toi tu m'haïs...

« Et non, en hiver, nos relations sont pas ben ben meilleures. L'été, l'hiver, ça change pas grand-chose. »

Les doigts de Philippe Saint-Germain étaient maintenant dégelés.

Un cauchemar
Demain, ça va sûrement être un cauchemar pour toi...

« Non. Le pire, c'est quand il fait autour de zéro degré, pis qu'il se met à pleuvoir. Le froid, avec le vent, c'est le deuxième pire scénario. »

Des fois, t'as pas envie de devenir plombier ? Chef cuisinier ? Comptable ? Croque-mort ? N'importe quoi, pourvu que tu ne te gèles pas le museau à pédaler contre le vent, sur Notre-Dame ou Sainte-Cat, quand c'est plus froid qu'à Kuujjuaq ?

« Non. C'est une bonne job. T'es dehors. Y a des journées pires que d'autres. Mais j'aime mieux ça que travailler en dedans. »

Quand il va quitter son appart de Rosemont, ce matin, c'est près de - 40 degrés qui vont gifler Philippe, son coupe-vent et sa vieille tuque du Canadien.

Il donne un dernier coup de pompe à air dans son pneu vert. Et lance: « Y a plus de belles journées que de pas belles. »

Applaudissez le popsicle portant une tuque du CH si vous le croisez aujourd'hui.



Les Bougon

page mise en ligne le 8 janvier 2004 par SVP

Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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