La Route verte prend forme
Ils me fatiguaient le caberlot depuis longtemps, ces deux traits rectilignes tellement longs qu'ils traversent toute une page du guide de la Route verte : La Montérégiade II, de Saint-Jean-sur-Richelieu à Farnham, 24 km; et la Montérégiade I, de Farnham à Granby, 24 km itou. Deux longs droits traversés de rangs tous plus drettes les uns que les autres, annonciateurs de 48 km de paysages agricoles en rase campagne et, à coup sûr, monotones.
Il fallait bien un jour y aller voir de plus près !
Quant à faire, autant partir en compagnie du directeur général de Vélo Québec, Jean-François Pronovost, grand orchestrateur de la Route verte, sorte de ministre de la Chose cycliste et des Transports non motorisés du Québec, consultant international en la matière invité à mettre son nez dans le deux-roues de l'Alberta ou de la Nouvelle-Angleterre, passionné du guidon, mais ça on n'en parle pas car la Maison des cyclistes - d'où justement nous sommes partis pour une longue journée de repérage - n'abrite que ce genre de fonctionnaires.
Et quant à y aller avec le boss, autant réaliser tout le déplacement à vélo.
Angle Brébeuf et Rachel, carrefour de deux pistes urbaines ultra-fréquentées, une toute nouvelle signalisation interrégionale composée de trois panonceaux nous apprend que Sherbrooke est à 242 km. Cela renforce le sentiment qu'on enfourche un moyen de transport légitime ! Nous voilà partis sur la Route verte No 1 qui emprunte, jusque dans le Vieux-Port, l'axe nord-sud.
Le Vieux-Port demeure un no mans land en attendant que la piste reprenne son droit de cité sous la proue des transatlantiques. Pour l'instant, offlciellement, elle, se fond dans la rue de la Commune. Dans la réalité, les cyclistes ajoutent au bordel de la promenade le long des quais.
Patience
La faute à Jean-François ? Non. Dans certaines régions, la Route verte est faite de parcours complètement nouveaux. Mais chaque fois que cela a été possible, elle a été constituée à partir de voies déjà existantes dont la consolidation, de même que l'aménagement de connexions et d'infrastructures, relève des municipalités. Elle reçoivent, pour ce faire, l'aide technique de Vélo Québec et le soutien financier du gouvernement québécois (cette explication étant, on s'en doutera, une version globale et simplifiée d'une machinerie passablement complexe).
La patience est de mise. Tout comme la persévérance. La Route verte est un vieux rêve qui a commencé à se réaliser il y a 10 ans. Réalisée à 76 % sur 3270 km, elle consiste en un réseau cyclable dûment signalisé et protégé - sous forme de piste, de chaussée désignée ou d'accotement asphalté qui permet de silloner l'ensemble du Québec habité, de Ville-Marie à Gaspé, de Saint-Félicien à Rivière-Beaudette, de Gatineau à Cabano. Numérotée de 1 à 8, l'autoroute de la civilisation nouvelle - du loisir certes, mais aussi du vivre-en-santé - fera 4300 km lorsqu'elle arrivera à terme !
Nous traversons les îles pour emprunter ce qui fut longtemps qualifié de Chaînon, parce qu'il avait été manquant depuis la préhistoire. Le circuit Gilles-Villeneuve, fermé depuis le 5, rouvrait en ce 15 juin au milieu des débris du Grand Prix du Canada de FI.
« Cette fermeture est beaucoup trop longue et me semble abusive, observe Jean-François Pronovost. Une couple de jours devraient suffire. Sans parler de l'autre course qui s'en vient », le Molson Indy, fin août.
Passé les écluses de Saint-Lambert, qui concluent la traversée du fleuve, nous choisissons de faire durer le plaisir en gagnant la Promenade René-Lévesque par La Riveraine. En contrebas de la voie rapide, rouler tout au bord du fleuve, dans l'intimité odoriférante de ses eaux, est une expérience qui compense largement le détour de huit kilomètres que nous nous imposons et qui nous amène en vue des îles de Boucherville avant de nous faire traverser le magnifique parc régional de Longueuil. Il existe cependant un parcours abrégé pour traverser le tissu banlieusard.
Des petits bouts de Route verte sont encore parfois manquants, ici et là la signalisation manque de visibilité, souffre d'une absence de balise ou d'aménagements douteux, mais pour l'essentiel, le feu est bel et bien déjà au vert et une navigation éveillée à l'aide du guide publié par Vélo Mag nous permet de tenir le cap (consultez le site Web de la Route verte avant de partir).
Passerelle
Le « ministre des Affaires cyclistes » aurait sans doute travaillé cette journée gratis. « Je suis content de pouvoir rouler une bonne distance sur la Route verte, avoue-t-il. J'en ai pédalé des portions dans différentes régions. »
L'idée est enthousiasmante de pouvoir enfin partir de Montréal et traverser la Rive-Sud pour déboucher sur les Cantons-de-l'Est sans risquer sa peau. C'est même une vieille lubie qui passe par une merveille architecturale : la grande passerelle qui enjambe la route 116 (de Longueuil à Brossard, qu'on disait avant la fusion et comme on dira peut-être après le référendum ... ), une structure en spirale du côté est, fort spectaculaire et abondamment décorée de graffiti. On s'arrête volontiers au-dessus de la cour de triage ferroviaire et de la nationale : la vue sur le centre-ville de Montréal y est imprenable.
La route vers Chambly et son bassin est assez peu champêtre. L'étalement urbain dans toute sa splendeur ! Mais la randonnée est agréable et on se sent prendre le large.
Nous ne pouvons résister à la tentation de faire notre halte dînatoire, comme qu'on dit dans les conférences de presse, à la terrasse de Fourquet Fourchette, tout près de la pelouse et des eaux du Richelieu. Je succombe à une Éphémère, une bière pression au cassis du sieur Charlebois. Il y a une première fois à toute chose : je n'avais jamais bu une goutte d'alcool au milieu d'une randonnée jusqu'à ce jour. Mais un petit verre glacé et réconfortant ne m'aura finalement pas trop cassé les pattes !
Notre verte route se poursuit sur la piste du canal de Chambly où les kilomètres comptent plus lourds, le vent dans la face, dans les sections en poussière de roche. La traversée du pont Gouin nous conduit dans l'ancienne Iberville. Jean-François met fin à mes hésitations et nous attaquons résolument La Montérégiade II, la première des deux grandes portions rectilignes dont je vous parlais plus haut.
Un jour, qui n'est plus très lointain, on va regretter d'avoir jeté les trains et les voies ferrées aux ordures - mais il faut avouer que ces pistes linéaires peuvent être intéressantes pour les cyclistes. Leur principal défaut n'est pas d'être dénuées de courbes, mais bien d'être recouvertes de poussière de roche. Quand c'est mou, pas besoin de vous expliquer combien c'est d'un pédalage laborieux, mais même quand l'enduit est bien tapé et ferme, il n'égale pas en confort de roulement ce bon vieux macadam.
Plus écolo et écono, la criblure ? Pas sûr. Il faut l'entretenir, l'aplanir, la regarnir. « Une piste d'asphalte dure très longtemps, d'autant plus qu'elle n'est pas fréquentée par des véhicules motorisés, souligne Jean-François Pronovost. On va commencer par finir la Route verte, après on va l'asphalter ! »
Par bonheur, alors que le cyclomètre s'approche des 100 km, nous sommes poussés dans la ligne droite par un bon vent de dos.
À tort, nous avions craint la monotonie. Ces Montérégiades ne sont pas juste des voies de liaisons, elles ont leurs charmes propres, elles sont étonnamment boisées, champêtres et parfois coquettes. En arrivant à Farnham, nous sommes fourbus mais nous décidons de nous rendre jusqu'à Granby, encore 24 km droit devant! « J'ai écoeuré tout le monde au bureau avec ma sortie, confesse Jean-François. Je ne vais pas arrêter de travailler au milieu de l'après-midi! »
Nous sommes déjà en heures supplémentaires quand nous quittons Farnham, contents de ne pas nous conduire en moumounes.
Nous arrivons à la Vélogare de Granby après 6 heures et 43 minutes d'honnête labeur et 128 km au compteur. Ce jour-là, c'était Granby, mais il y aura une prochaine fois. Avec toutes ces auberges qu'annonce le guide de la Route verte, on n'a qu'une envie : partir à la conquête du Québec tout entier !
La semaine d'avant, il était en Europe, le jour d'avant, oui, il a passé la journée en réunion, la semaine prochaine il sera peut-être dans le Maine. Mais ce jour-là, le directeur général de Vélo Québec était parti en vélo.
Il roulait sur la Route verte, une de ses créatures, ce qui fait quand même partie de ses fonctions.
Mais que voulez-vous, aurait dit notre ancien premier ministre fédéral, la Route verte est justement faite pour ça : se sauver du bureau !
Secrétariat de la Route verte
1251 est, rue Rachel, Montréal H2J 2J9
tél.: 514-521-8356 ou 1-800-567-8356 télec.: 514-521-5711
site: www.routeverte.com
courriel : route-verte@velo.qc.ca
À Chambly : Fourquet Fourchette
1887, avenue Bourgogne
tél.: 450-447-6370
site : www.fourquet-fourchette.com
page mise en ligne le 20 juin 2004 par SVP