6 juin 2004


photo : Pierre Bouchard

La vie à partir

Partir.

Le vieux projet. Le rêve de tous les citadins. Se lever un jour, crisser la job là et partir. Le contraire de rester, assis. Ne pas se reposer, aller, naviguer, rencontrer, ne pas forcément «circuler», mais s'arrêter souvent, voir ce qui de loin est invisible, goûter, entendre, écouter, aimer.

Janick Lemieux et Pierre Bouchard savent qu'ils ne sont que quelques centaines d'individus dans le monde à réellement vivre l'aventure. La grande majorité craque après une couple d'années. Eux, ils sont « sur la route » depuis respectivement sept ans et demi et 15 ans. Pour eux, la révolution serait de faire l'inverse, de s'installer dans un bungalow, de se sédentariser.

Partir, donc, s'arrêter, repartir. Toute une vie à partir. Et pour donner un sens à tout cela et, surtout, se faire une petite caisse pour tromper l'extrême pauvreté : faire des reportages dans Vélo Mag, sur le Web et aussi dans des publications anglaises. Ils parlent volontiers de « mise en marché de leurs expériences de voyage » : des articles, des photos, des conférences, des commandites (sans scandale) et beaucoup de troc au jour le jour.

Il y a des manières classiques de partir : le tour du globe en voilier, le tour du monde à vélo, les grandes traversées continentales en canot, les longues routes pédestres. Il suffit d'associer le mode de transport au terrain, généralement il y a de belles possibilités. Et des compatibilités.

Le vélo et la mer
Ce n'est pourtant pas le manque d'expérience qui a fait oublier à Janick et Pierre que sur l'eau, le véhicule doit être flottant. Pour une raison qui n'existe sans doute pas, ces jeunes vieux routiers (32 et 38 ans) ont choisi de faire le tour du Pacifique en vélo. Le Pacifique, vous avez bien lu. En vélo, c'est ça, même si ça ne se peut pas. Les îles, les archipels, les atolls, le plus grand des océans. Pourquoi pas la mer en pédalo ? Parce que le pédalo est inutilisable sur la terre ferme, ah, c'est vrai !

Avec le vélo, on prend un bateau passeur, une chaloupe, un navire. Parfois on attend 10 jours en se réveillant chaque matin au son de la même rumeur : « Un bateau va venir aujourd'hui. » Peut-être justement le meilleur moyen d'aller quelque part est-il de ne pas utiliser le bon moyen de transport... « Le chemin le plus difficile », qu'ils disent, les philosophes. Pierre doit savoir, lui qui a étudié la philo.

En tout cas, pogné avec une bécane sur la mer, faut pas être pressé.

Quand, le 16 avril 1999, Janick et Pierre ont amorcé leur improbable odyssée -la chasse aux volcans du Pacific Rim à vélo en trois épisodes - ils pensaient boucler voyage, conférences et publications en cinq ans. Le premier tiers, Vancouver-Santiago, 25 000 km, a bouffé 25 mois. Le deuxième, Santiago-Djakarta, entrepris en octobre 2002, s'est terminé à Pâques 2004 : 18 mois.

Au calendrier de cette gigantesque odyssée, cinq ans ont déjà fui. Le couple a donc amorcé il y a quelques semaines son intermède québécois pour partager ses expériences, faire des conférences, travailler et mettre des sous de côté, téter la parenté et préparer le prochain départ, dans environ un an. Combien de temps leur faudra-t-il pour la troisième étape, ce Djakarta-Vancouver qui les verra traverser les Philippines, le Japon, la Sibérie et l'Alaska ?

Ils ont seulement compris que la boucle - la fin du voyage, d'autres conférences et un livre sûrement - aura duré autour de 10 ans. Ça risque de se conclure aux alentours de 2008-2009.


À l'approche du Tavurvur, un volcan actif de la Papouasie-Nouvelle-Guinée qui a rasé
trois fois en 80 ans la ville de Rabaul, la dernière fois en 1994
photo : Janick Lemieux-Pierre Bouchard

Un « Kon Tiki »
La vulcanologie est un beau prétexte. Assis sur cette croûte terrestre mouvante, éruptive et recouverte d'eau, les peuples du Pacifique sont le motif premier de ce « Kon Tiki à vélo », pour utiliser l'expression de Janick et Pierre.

Ayant choisi « un mode de vie alternatif et marginal » pour se rapprocher d'inconnus, ils vivent des paradoxes : « Nous souffrons de ne pas voir nos proches, nos familles, de ne pas voir les petits grandir. Des fois, la découverte, à force de répétition, s'effrite. L'émerveillement n'est pas toujours présent, mais il réapparaît toujours. »

La passion, c'est aussi la souffrance. Janick : C'est comme une vie d'artistes. Il faut inventer des façons de gagner des sous et de partager nos découvertes. La motivation touche parfois au ras-le-bol. Quand on est longtemps partis, on est contents de revenir. Mais je ne suis pas inquiète : dans six mois, je voudrai repartir. »

Pour quelque temps, Janick a deux emplois. Elle travaille comme serveuse dans un restaurant de Baie-Saint-Paul et dans l'auberge des parents de Pierre, à Petite-Rivière-Saint-François. Mais dans quelques mois, en diapoconférence, elle nourrira aussi nos esprits en nous racontant avec son chum ce volcanisme qui est «un processus de formation constante de la planète ».

Mais ces conférences, ces reportages de tous bords tout côtés parleront aussi du monde qui change, du monde quotidien et invisible à nos yeux de centaines de millions d'humains, des îles de Pâques et de la Polynésie française à l'Indonésie et Java, en passant par les îles de la Société, la Nouvelle-Zélande, les Îles du Nord, la Mélanésie, Vanuatu, les Nouvelles-Hébrides, les îles Salomon, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles aux Épices.

On ira s'asseoir dans la grande salle pour essayer de comprendre : deux vélos et leurs cavaliers, 31 îles, 49 traversées, mais aussi les Américains et la loi planétaire du 11 septembre qui ramène les Australiens colons là où on croyait s'en être débarrassé.

Des îles volcaniques, quoi!

« Le Cercle de feu du Pacifique » - c'est le titre du magnifique site Web qu'alimentent Janick et Pierre avec la complicité de Velo mag - abrite 75 % des volcans actifs de la Terre.


Janick Lemieux sur le plateau Tongariki, à l'îe de Pâques. Derrière elle, les 15 monuments des Moai. En 1960,
un tremblement de terre à Concepcion, au Chili, a déclenché un tsunami - un raz de marée, en japonais -
qui a frappé l'île de Pâques, distante de 3500 km, et emporté ces statues sur plusieurs kilomètres !
photo : Pierre Bouchard

Chaleur corrosive
Et puis, entre nous, ça doit être agréable de pédaler tout le temps dans la chaleur?

Eh bien ! il semble que le paradis des mers du Sud soit un mythe en bonne et due forme.

« Le Pacifique Sud est un environnement corrosif, explique Pierre. Six mois à 40 degrés, c'est pénible. La moindre égratignure nous expose à l'ulcère tropical. Nos vêtements sont en putréfaction, les vélos sont rouillés, il faut se méfier des insectes, de la malaria, le soleil nous brûle à travers nos vêtements. C'est parfait pour mettre à l'épreuve les vêtements, les tissus et les équipements de nos commanditaires. »

Janick a même été ennuyée par l'élastique de son soutien-gorge sport qui s'est altéré au point de « redevenir pétrole » ! Petit cercle très personnel de volcanisme...

Des aventures sans nombre, on l'imagine. Pierre qui perd tous ses papiers - passeport, billet d'avion, argent - sur la banquette d'un autocar où il venait pourtant de faire la connaissance de gens sympathiques qui lui avaient même laissé leurs coordonnées : « Venez passer du temps chez nous ! »

Mais ces coordonnées sont restées sur la banquette et les amis en question n'ont manifestement pas tenté de retrouver Pierre. Heureusement, le voyage finissait et Janick était déjà rentrée, ce qui a facilité l'organisation de l'aide pour son retour.

Y a-t-il encore du cannibalisme quelque part ? D'autres questions ?

Le mieux sera d'aller écouter Lemieux et Bouchard.

On vous tiendra au courant.

Velos et Volcans ; Ring of Fire part 2.


page mise en ligne le 6 juin 2004 par SVP

Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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