Note du webmestre :
Sébastien Delorme et ses amis se sont mis en tête
d'être les premiers
à passer la barre d'un sommet de 6000 mètres en vélo de montagne.
Il nous raconte ici cette folle équipée.
Première équipe cycliste à passer la barre
des 6000 mètres
en vélo de montagne
Après quelques mois de préparation, dont un mois de préparation logistique en Bolivie, toute l'équipe fut enfin rassemblée à La Paz, dimanche le 21 mars. Accolades terminées, nous nous sommes immédiatement mis à la tache. À l'horraire : 16 jours d'entraînement à une altitude et une intensité s'accentuant graduellement au fil des jours.
Nous avons engagé les hostilités dans la douce et paisible région champêtre de Sorata, ou une pluie anormalement abondante pour ce temps de l'année nous attendait. De la boue au rendez-vous. Mais, heureusement, les Andes sont faites de pierre et non de terre, ce qui nous a permis de débuter notre entraînement sans encombres. D'une altitude environnant les 2800m, cette région aux pieds du légendaire mont Ilampu nous à permis à la fois de nous décrasser les jambes de cet hiver québécois qui n'en finit plus tout en adaptant notre métabolisme à travailler à une altitude plus élevée mais encore bien oxygénée. Quatre jours plus tard, composés davantage de descentes que de montées (dans les Andes, on monte ou on descent, c'est inévitable), histoire de reprendre contact avec nos machines, nous sommes sortis de la vallée de Sorata pour un nouvel horizon.
Cet horizon fut celui de l'univers sub-tropical des Yungas, au premier étage des Andes, à la porte de la jungle, dans cette petite ville perdue dans les nuages du nom de Coroico. Pour s'y rendre, la descente de la mort "La ruta de la Muerte", 75 kilomètres de pure descente passant de la neige éternelle (avec tuque et mitaines) jusqu'à la lourdeur humide de la pré-jungle. Petit paradis aux oiseaux exotiques caquetant sous les palmier, Coroico est nichée á 1800m d'altitude, ce qui en fait une base parfaite pour commencer l'intensification de notre entraînement. Un gros bol d'oxygène dans la brume du petit matin, les quatre jours passés à Coroico nous permirent de nous attaquer à de belles petites bosses de 8-9 kilomètres de montée et à des journées de plus de six heures sur nos montures. Avant de partir de cette région pleine de soleil, nous nous sommes offerts un petit cadeau : une grimpette vertigineuse sur chemin de pierre de 34 kilomètres passant d'un dénivelé de 1200m à 3000m... parce qu'il faut se faire plaisir dans la vie !
Puis se fut le retour sur LaPaz pour un entraînement en haute altitude. À partir d'ici, et jusqu'à l'ascension du monstre de 6020m, nous ne pédalerons plus sous les 4000m. Il y a eu le mont Chacaltaya à 5256m (la plus haute station de ski au monde), puis l'ascension du difficile col de Tuni à 5025m, passant à quelques mètres du glacier du mont Hayna Potosi, sur une route qui mêne à un refuge pour andinistes... qui ne comprennent pas trop ce qu'une gang de malades viennent faire à vélo à une telle altitude.
Chaque journée son défi, son morceau d'aventure, comme ce retour du lago Tuni où nous nous sommes trompés de chemin (parce qu'il y a des pistes partout dans ce coin du monde et la signialisation autant que les cartes dignes de ce nom sont inexistantes), et que nous nous sommes rendus compte un peu trop tard que la piste que nous suivions menait nulle part, un cul-de-sac perché à 4700m, à une inclinaison défiant tout imagination. Trois heures que ça nous a pris pour sortir de ce merdier, mais le souvenir en reste appréciable, c'est que les panoramas hallucinants de la Bolivie, son âme, donne à chaque moment une petite touche de magie.
Dernier rendez-vous avant le grand départ pour le Sud de Lipez, le Parc national du Sajama. Notre objectif ici fut plus de faire de long fonciers à une altitude variant entre 4200 et 4400 mètres que de grimper de hauts cols, pour à la fois bien tourner les jambes, s'habituer à des sentiers ensablés (car le sentier de l'Uturuncu est plutôt sablonneux, tendance poussières volcaniques) et ne pas trop puiser dans nos réserves énergétiques. Le soir venu, un petit bain thermal sculpté dans la pierre du temps en pleine nature, à l'ombre du volcan Sajama (le plus haut sommet de Bolivie 6560m), pour détendre la musculature, en mangeant un bon steak de lamas préparé au charbon de bois par notre chaufeur bolivien, le super Renan en personne qui nous fut d'une aide précieuse tout au long de notre périple.
Départ du Sajama. Deux pénibles jours de 4x4 pour se rendre dans les profondeurs lointaines de cette mystérieuse Bolivie, en passant par Uyuni et son salar, le plus grand désert de sel au monde, spectacle qu'on vous souhaite de vivre un jour. Et enfin, Quetena Chico, notre camp de base, planté tel un belvédère, en face du volcan Uturuncu, qui nous regarde arriver, de ces deux pointes enneigées, un peu sceptique, avec nos vélos qui se sont faits pas mal brasser depuis les deux derniers jours, plusieurs cicatrices sur nos cadres en témoignent encore.
Première journée sur les lieux et dernière avant de s'attaquer au record, nous décidons de faire une petite balade matinale d'une trentaine de kilomètres dans les environs pour explorer. Encore une fois, ce que nous y découvrons nous stupéfait, montagnes sablonneuses oranges et jaunes avec cime de pierres noires à tête blanche, canyons de pierres rouges dans lesquelles coulent de minces filets d'eau turquoise laissant une faible végétation vert sombre, le tout sur un ciel d'un bleu obscur qui nous rappelle qu'à cette altitude, nous sommes plus près des noirceurs de l'espace. Bref, nous pédallions dans une toîle de Dali. En après-midi, voté à l'unanimité, toute l'équipe est allée gravir en 4x4 le titanesque Uturuncu, pour évaluer la condition du sentier, pour s'acclimater à une altitude passée les 5500m, mais surtout pour démystifier ce mastodonte qui nous écrase de sa majesté depuis 24heures. De le rouler en 4x4 nous a davantage fait peur (une peur renforcissante, empreinte de respect) que calmé. Pour combattre cette crainte de l'échec, nous avons gravi la montagne à pied à partir de 5500m, jusqu'au sommet, nous affaiblissant physiquement mais nous renforcant mentalement.
Nous nous sommes levé très tôt le matin du jour J. Nous avons englouti un petit déjeuner convenable pour ce genre de journée, puis nous avons attendu que le soleil se lève un peu, parce que la nuit, il fait autour de -10C, et l'après-midi il peut faire facilement 20C, tel un désert. À 8h, nous sommes partis en 4x4 jusqu'à la base du Volcan, car entre le volcan et le camp de base, il y a 9 kilomètres de vallons montant et descendants, sablonneux, et deux petites rivières à traverser. Il nous a donc paru logique de franchir cet obtacle sans dénivelé en 4x4. Nous sommes arrivés à notre point de départ vers 8h30. Une demi heure pour les derniers préparatifs. Le départ officiel fut lancé à 9 heures. Sébastien est parti comme une balle, comme un boxeur qui n'en peut plus d'attendre pour embarquer sur le ring.
Nous sommes partis à 4280m de dénivelé. Les premiers 10km, pour atteindre le premier palier à 4750m, pour franchir la grosse bosse qui mêne au cône principal du volcan, furent franchis dans l'allégresse et la tranquilité. Il faut dire que tout au long de la journée, le soleil et le ciel bleu nous ont accompagnés positivement. À partir de 4750m, la piste s'est corsée quelque peu, avec des angles de plus de 20%, une face de singe, comme on dit en vtt, de plus de 2 kilomètres. Deuxième palier d'équipe à 5000m. Les distances entre les différents membres de l'équipe commencent à se faire sentir. Finalement, à partir de 5000m, ça devient un peu du chacun pour soi, car chacun à son rythme, sa méthode, sa manière à lui pour parvenir jusqu'au sommet, et il est déjà 1h30 de l'après-midi, ça fait déjà 4h et 30 minutes qu'on grimpe, la concentration prend la place de la parole. De 5000m à 5500, il y a des tronçons vraiment difficiles, abrupts et rocailleux, et l'air semble vide, nos poumons semblent ne pas vouloir se remplir, comme s'ils avaient diminué de moitié. Mais nous demeurons dans le faisable, chaque 100 mètres nous reprenons notre souffle, parce qu'il y a une seule loi qui tient : nous ne pouvons pas marcher ne serais-ce qu'un mètre, il faut tout pédaler cette foutu piste ou rentrer dans le 4x4 s'il y a épuisement. À certains endroits, il faut s'y prendre à plus de cinq fois avant de redécoller d'un tronçon sablonneux ou trop rocailleux.
Il y a peu de temps, un bon 4x4 pouvait se rendre jusqu'à la vieille mine de souffre, à 5700m. Mais depuis peu, il y a eu un effondrement de terrain, ce qui oblige l'arrêt de notre véhicule à 5500m. Ce fut notre ultime point de rencontre d'équipe avant le sommet, pour se répartir en eau, nourriture et équipement. Mais déjà les écarts entre chacun étaient assez significatifs, entre le premier et le dernier arrivé, il y avait 1 heure et 25 minutes.
C'est à partir de la dernière partie que les choses se sont vraiment gâtées. Comme les 4x4 ne pouvaient plus passer, la piste n'était plus tapée, le sable et la poussière volcanique n'étaient plus compactés. Nos pneus s'écrasaient dans la matière libre, volatile, un peu comme devrait être une expédition de vélo sur la lune. Chaque mètre était une combat à livrer, chaque 100 mètres une victoire. Entre le 5600m et 5650m, sur une distance de 1.2 kilomètre, 50 minutes de violence physique et psychologique furent nécessaire pour arracher nos vélos de ce bourbier. Notre coeur, qui pompait entre 140 et 180 pulsations minute depuis près de 7 heures, redescendait rarement en dessous des 160 pulsions minute. Nous étions tous dans le tapis quoi !
Vers les 5700m nous découvrimes un spectacle étrange. La piste devint dure et plane et résonnait sous nos pneus. Une forte odeur chimique émanait de centaines de petits trous fumant et crachant une poudre jaune fluorescente, nous étions rendus à la mine de souffre. Rendus là, nous savions, épuisés, que le plus difficile restait à faire, le pic rocheux. Nous avons monté un autre 110 mètres, de peine, dans un mélange de minuscules pierres concassées, mais il devenait évident qu'il était physiquement impossible de franchir les derniers 200m, et il faut dire qu'après avoir traversé tout ça... ça fait cali... chi... d'être bloqué si près du but. La pointe enneigé était là, devant nous, presque palpable, brillante de ses glaces reflétant le soleil couchant.
Deux membres de l'équipe décidèrent de laisser leur vélo à 5810m, gravissant le reste à pied. Deux autres membres ont apporté leur vélo sur l'épaule jusqu'à 5900m. Le temps manquant, il ont dû abandonner leur fidèle monture sur la pente pour gravir le reste à pied. Seul un membre de l'équipe a pu monter jusqu à 6020m avec son vélo sur l'épaule, et nous lui en sommes bien reconnaissant. À 18h10, toute l'équipe était là, totalement exténuée, mais bien là...
Ce fut à la fois une des journées des plus atroce et des plus merveilleuse de notre vie.
Darcy, Julie, Sébastien, Phil, Annie et Oli.
Équipe TranseAndes/Summit
transeandes@hotmail.com
page mise en ligne par SVP