Paul Roy
Si tout le monde fait des livres, il fallait bien qu'un jour, ce soit le tour de Foglia. Le problème, c'est qu'il ne voulait pas. Des éditeurs ont tenté plus d'une fois de le convaincre de publier des recueils de ses chroniques parues dans La Presse : Lanctôt, Godbout, VLB...
« Je trouvais ça gênant, dit Pierre Foglia en entrevue. J'avais déjà été payé pour ces chroniques-là. Et je connais beaucoup d'écrivains, je sais comment ils vivent, c'est du monde qui n'ont pas une calisse de tôle !»
Il a fallu Pierre Hamel, l'éditeur de Vélo Mag, pour le convaincre. Le livre s'appelle, justement: Le Tour de Foglia et chroniques françaises. Il s'agit, vous l'aurez deviné, d'un recueil de chroniques sur le Tour de France. Une co-édition Vélo Mag/Les Éditions La Presse. L'ouvrage fait 260 pages. Il sera en librairie mardi prochain, 25 mai.
S'il faut en croire Pierre Hamel, qui signe la préface, tout s'est joué le 25 mai 2003. Il était allé rencontrer Foglia chez lui, à Saint-Armand. Et quand il s'est fait demander ce qu'il voulait, il a déposé une brique de 400 pages sur la table de cuisine.
- C'est quoi ça ?
- C'est toutes les chroniques que tu as écrites sur le Tour de France depuis 1992.
- Pis ?
- Je voudrais qu'on fasse un livre. On regrouperait les chroniques par thèmes...
Foglia s'est mis à arpenter sa galerie. Puis, au bout d'un moment : « OK, laisse-moi y penser un peu. Je pourrais m'occuper...»
En rentrant au bureau, cet après-midi-là, Pierre Hamel réalise qu'il vient de se faire répondre oui. « Ça fait un an que je jongle avec cette idée, écrit-il. Je sais qu'il a toujours refusé (...) J'attendais le moment propice (...) Et là, en quelques minutes, il dit oui du bout des lèvres. Y a-tu une pogne ? »
Foglia, ses lecteurs commencent à s'en douter, est un passionné de sports : l'athlétisme, pour ses épreuves de fond ; les sports d'équipe (basket, hockey)...
Le vélo, le Tour de France, il a connu en France, quand son père suivait les arrivées, « l'oreille collée sur le poste de radio ».
« On venait d'avoir l'électricité, raconte-t- il dans le premnier texte (...) On ne montait pas le son, parce qu'on croyait que, plus c'était fort, plus ça bouffait de l'électricité. »
Mais la passion lui est venue au Québec, où il a débarqué au début des années 60. Tout ce qu'il sait du vélo, écrit-il, il l'a appris de Guy Morin, « ex-coureur sur route et des Six-Jours, fou de vélo »... De feu Louis Chantigny, aussi, et de Pierre Gobeil, quand il est entré à La Patrie.
C'est au Québec aussi qu'il a commencé à faire du vélo. En cyclotouriste, d'abord, avec sacoches et tout. « Du cyclotourisme pur et dur, relate-t-il en entrevue: les bagages, les aéroports, les sorties de ville... Il y avait un 30 % qui était de la merde totale ! »
C'est comme ça qu'il a évolué vers la pratique cyclosportive. « Tu te loues un char, tu t'installes quelque part d'où tu rayonnes. Tu ne fais que la belle partie. »
« Puis, l'idée de pédaler plus vite te vient, parce que t'as pas de sacoches... C'est là que j'ai acheté mes premiers bons vélos. »
Ceux qui ont roulé avec lui le confirmeront : Foglia n'est pas le plus vite ni le plus habile sur un vélo. Peureux en plus. Pas le genre à gagner du temps dans les descentes. Mais il peut grimper haut et ne s'arrête pas souvent. Et il est habituellement le premier reparti après une pause. « J'ai du fond et de la force, dit-il. Je peux rouler très longtemps, je suis très zen malgré mes airs de con. »
Son plaisir, dit-il, c'est de savoir que, peu importe l'âge (aux dernières nouvelles, il avait 63 ans), « je peux partir pour 150 kilomètres, avec les côtes que tu veux ».
Écrire sur le vélo, en particulier sur le Tour de France, représente un dilemme pour Foglia ; pour qui écrit-il ? Pour cette collègue qui lui demande naïvement s'il va suivre les coureurs à vélo ? « Si j'avais dit à cette collègue que j'allais couvrir les 500 milles d'Indianapolis, m'aurait-elle demandé si j'allais les suivre en auto ? »
Ou pour « le cyclo averti qui attend que je lui dise si Armstrong a utilisé la 39 x 23 dans la montée de l'Alpe » ?
« Au premier, écrit-il, je donne la France du Tour, les ponts fleuris de géraniums, l'or des blés, le peloton qui s'entortille sur une route en corniche. Le Tour de France est d'abord affaire de routes et de ciels. Affaire de paysages...
« Au second, je donne du braquet...
« Et aux deux, je donne des histoires d'hommes qui vont au bout de leurs forces, de leur courage, de leur talent. Cela ne les rend pas meilleurs, ni moins dopés. Mais leurs petites morts sur les routes nous distraient un instant de la nôtre écrite au ciel. »
Vous reconnaissez Foglia ? C'est comme ça tout du long.
Le premier chapitre est consacré aux « Seigneurs du peloton » : Lance Armstrong, Miguel Indurain, Jan Ullrich.
Du premier, il écrivait, le 3 juillet 1993, au Puy-du-Fou : « Armstrong ne finira probablement pas le Tour (du moins il serait sage qu'il ne le finisse pas), mais il n'attendra pas l'an 2000 pour en gagner un, et il le gagnera encore en l'an 2000... »
Armstrong a effectivement gagné le Tour de France en 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003. Et cette année, il va tenter de devenir le premier à le remporter une sixième fois. Foglia n'avait toutefois pas été jusqu'à prédire qu'entre 1993 et 1999, le Texan passerait à un cheveu d'être emporté par le cancer... Un oubli ?
Le 4 juillet 1999, Armstrong remporte le prologue du Tour. Foglia écrit : « Est-ce qu'Armstrong peut gagner le Tour de France ? Restons calmes, ce n'était qu'un prologue, sept kilomètres ; il en reste exactement 3672 avant l'arrivée à Paris dans trois semaines ! Mais pour répondre à votre question, oui, il peut gagner le Tour. »
Et le 26 juillet, après sa victoire : « Du sang neuf, une autre culture cycliste, une autre culture tout court. Dans ce milieu consanguin, furieusement européen, sans Noirs, ni Asiatiques ni Arabes, un Américain, même Blanc, est un début d'exotisme, de métissage régénérateur. Un peu d'air frais. »
Le 22 juillet 2003, à Luz-Ardiden : « Si je ne pleure pas aujourd'hui, quand Lance Armstrong sort des nuages en danseuse au sommet de ces Pyrénées si belles, si je ne pleure pas quand il surgit comme expulsé du ventre de cette foule profuse, si je ne pleure pas quand il tombe, si je ne pleure pas quand il se relève, et qu'il passe à un cheveu de rechuter en déchaussant, si je ne pleure pas, je fais quoi ? Je prends des notes ? »
Le 2 juillet 1994, ce passage sur Miguel Indurain sous le titre « Le voir perdre »: « Parler du Tour de France, c'est faire l'éloge de l'orgueil. L'éloge de l'homme, quoi. Pour gagner le Tour, il faut aller au-delà de cette limite où la force, le talent, le courage même, ne servent plus à rien. Seul l'orgueil fait aller plus loin. J'aime Miguel Indurain parce qu'une fois la victoire acquise, il chiffonne son orgueil comme il le ferait d'un mouchoir, et le met dans la poche de son veston, celle du haut, comme le font les garçons d'honneur dans les mariages. »
D'indurain, toujours, de Saint-Brieux, le 30 juin 1995 : « Prenez le coeur d'Indurain. Les journalistes ont commencé par dire 38 pulsations à la minute au repos. Puis ils ont dit 32. Ils sont rendus à 18. La vérité, c'est que le coeur d'indurain ne bat qu'une fois par jour, et encore, pas tous les jours. Et ses poumons sont grands comme deux Honda Civic stationnées côte à côte.»
Un chapitre sur les Canadiens, aussi, dans Le Tour de Foglia. Steve Bauer et Gordon Fraser. Un autre sur les «chevau-léger»: les Claudio Chiappucci, Tyler Hamilton, Andy Hampsten, Laurent Jalabert, Marco Pantani, Tony Rominger et Richard Virenque.
Un chapitre intitulé « Le maillot noir » : il y raconte la chute mortelle du numéro 114, Fabio Casartelli, le 18 juillet 1995 (la chronique est datée du 19). Quelques articles y sont consacrés, dont celui titré « Pour Fabio », écrit de Limoges, le 22 juillet : « Un doigt pointé au ciel, le Texan Lance Armstrong a dédié sa victoire à l'absent. Armstrong est le leader de l'équipe Motorola à laquelle appartenait Fabio Casartelli. Décidément, ce Tour qui nous a plongé dans le drame il y a trois jours, ne nous lâche plus les tripes (...) Décidément, on n'aura jamais autant braillé. Il y avait bien des yeux rouges à la ligne d'arrivée. Pourquoi pleurez-vous madame ?
- Pour la même raison que vous. »
Des anecdotes amusantes, dans le chapitre intitulé « Autour du Tour », dont celle-ci, datée du 14 juillet 1992 : « Sont gentils les coureurs. Et plus ils sont loin au classement général, plus ils sont gentils. Plus ils ont le temps de parler. Sous la tente du coiffeur, il y avait un Colombien qui attendait son tour, Alberto Camargo. Il m'a raconté sa vie, en espagnol. J'avais beau lui faire signe, « je ne comprends pas », il continuait pareil. C'est la coiffeuse qui m'a traduit : « Il ne vous raconte pas sa vie, il vous dit que vous pouvez passer avant lui. Il n'est pas là pour se faire couper les cheveux... »
- Ah bon ! il est là pour vous ?
- C'est ça ! C'est le troisième ce matin (...) doivent s'ennuyer de leurs femmes. »
Foglia aime la montagne, ses cols, ses envolées épiques. Il y consacre un chapitre. Un autre intitulé « Tourpitude » parle de dopage. Le dernier, intitulé « La France du Tour », raconte justement ça : des paysages, des confitures de groseilles, des foules, des hôtels, de vieux copains typos revus autour d'une bouffe à Bar-sur-Aube... Le chapitre que préféreront ceux qui croient que les journalistes suivent les coureurs à vélo ? C'est d'ailleurs celui sur lequel Foglia dit avoir le plus travaillé. « J'ai beaucoup coupé. Tout ce qui était ridicule et agaçant. »
Y aura-t-il un autre recueil : de chroniques sur la littérature, sur la musique, sur « la vie mon vieux » ?
- C'est fini là ! Qu'il n'y en ait pas un tabarnac qui me dise : « Là, on va faire un livre sur... »
Ira-t-il au Tour de France cet été ?
- Je ne sais pas, j'ai plus le goût de faire du vélo...
Il dit toujours ça.
page mise en ligne le 22 mai 2004 par SVP