9 mai 2004


La petite Emma Maryam Bronson-Khan prend le trottoir d'assaut avec sa monture, prête pour un été sportif à souhait. Bien
sûr, elle portera son casque protecteur, mais pour les besoins de la photo, nous ne voulions rien perdre de son joli minoirs.
photo : Patrick Sansfaçon

Le cycle du pourquoi

Le laitier était passé de bonne heure et l'eau de fonte, échappée par la glissière toujours ouverte du véhicule, avait mouillé la chaussée devant la porte de la maison familiale. Après son passage, la rue Valmont redevenait presque déserte. Ce matin-là des années 50 était un peu lent, comme son époque, et se prêtait parfaitement à une initiation à la bicyclette pour le jeunot de 6 ou 7 ans que j'étais.

Comme c'est le cas pour la grande majorité des cyclistes, mon père m'a donné ma première leçon de vélo. Je me rappelle encore très bien cette monture de fer, bordeaux - sans vitesses, juste le rétrofreinage - un peu grande pour moi. Elle était lourde et un peu inaccessible, c'est peut-être pour cela qu'elle me fascinait tant.

Mon papa Georges m'a embarqué dessus, il me tenait en équilibre par la selle, j'avais juste la longueur de jambes qu'il fallait et l'essentiel de ses explications tenait dans cette courte et convaincante phrase que prononcent, chaque jour encore, des millions de papas dans le monde en 7000 langues et dialectes : Enwèye! t'es capable !

J'ai envoyé et j'ai été capable. Après quelques chutes prudentes, il fallait bien, puisque le casque était encore une chose bizarre - entre le boudin blanc et le bigoudi - que se mettaient sur la tête des types non moins hurluberluesques qui, on le disait comme ça, « prenaient des courses ». Jacques Plante n'avait pas encore inventé le masque, alors vous pensez bien. Pas de casque, donc, mais des clips de métal pour tenir les bas de pantalons.

Le vélo de Caillou
Un demi-siècle plus tard, je me retrouvais au rayon des tricycles chez Canadian Tire. Trois modèles : un très petit, trop rose et blanc ; un ordinaire très correct; et le même modèle avec de jolies couleurs, 10 $ plus cher. Pendant les deux heures qui ont suivi, j'ai couru chez Wal-Mart, chez Costco, chez Zellers et même à La Cordée, mais comme une balle au bout d'un élastique, je suis revenu chez Canadian Tire, 10 minutes avant la fermeture.

Ayant arrêté mon choix sur le modèle 10 $ plus cher - on regarde pas à la dépense quand c'est pour son ti-pou - je suis allé aux boîtes pour le cueillir, dans une autre allée, et c'est là que j'ai aperçu les couleurs d'un quatrième modèle, des couleurs bien familières; unique et dernier emballage d'un vélo modèle Caillou qui allait cesser d'être en stock à partir du moment où j'allais partir avec ! Avoir su, j'aurais pas magasiné tout ce temps-là !

La leçon
Un demi-siècle plus tard, c'est moi le papa et Georges, le fiston. Mais Georges va commencer plus jeune que moi.
« Viens, je vais t'apprendre à faire du vélo.
- Pourquoi ?
- Parce que. »

Dans un redoux de la fin février, on s'est essayé sur le trottoir - la rue, on n'y pense pas, c'est un parking et un champ de course - mais le petit gravier laissé par l'hiver rendait la propulsion du tricycle laborieuse. En plus de découvrir l'art de pédaler, le petit devait fournir trop d'effort pour avancer. Ça ne fonctionnait pas.
« On va s'essayer plus tard.
- Pourquoi ?
- Parce que. »

Deux mois plus tard, ça y était. Dans l'entrée, devant la porte du garage, Sir Georges remettait ça, pressé à vrai dire d'en finir pour retourner jouer dans le carré de sable.
« Quand ton pied est en haut, tu pousses sur la pédale, O.K. ?
- Pourquoi ?
-Parce que ça fait tourner la roue. Quand l'autre pied arrive en haut, c'est lui qui pousse...
- Pourquoi ?
- Parce que c'est la vie, Zoomy. Enwèye, t'es capable !

Une légère pression de la main paternelle dans le dos facilite l'apprentissage. Le Zoomer tourne le guidon d'un bord et de l'autre, mais la roue suit à peine, je dois donc resserrer un peu l'écrou de la potence. Par contre, la tendance à verser, résultat sans doute d'un piètre design, échappe à ma compétence. Je ne trouve pas ça génial, non plus que cette roue arrière qui ne tourne pas librement. Trop tard pour un retour au magasin, mais bon, le tricycle a coûté 39,99 $ plus taxes...

En beaucoup moins de temps qu'il n'en faut pour le lire, Georges s'est mis à pédaler correctement et le bolide à avancer comme par magie. Le petit s'est mis à rire, enchanté, conquérant d'un autre petit morceau de bonheur. Il a roulé un bon mètre, mètre et demi, puis il s'est arrêté, a descendu de sa monture et est parti en courant vers la cour.
« O.K., a-t-il déclaré, maintenant je vais jouer dans le jardin.
- Pourquoi ? »

Mardi dernier, nouvel essai, sur le trottoir maintenant débarrassé des grenailles de l'hiver passé.

Il fallait rafraîchir la technique. Mais nous n'avions pas fait 10 mètres que la bise rhordante de printemps automnal nous rattrapait.
« Papa, j'ai froid.
- Moi aussi. Allez, on rentre !

L'essence de la Route verte
Un peu de chaleur et il va rouler comme un avion, le Zoomacher. Après le tricycle, il va y avoir le vélo attaché à l'arrière de celui de papa, puis la bicyclette aves les petites roues de chaque côté, puis...

Mardi, la ministre déléguée aux Transports, Julie Boulet, annonçait les frileuses injections du gouvernement Charest dans la Route verte, investissements qui demeurent en-deçà du plan initial. Le gouvernement qui s'arrange pour avoir l'air de s'intéresser à la chose.

Mardi, le prix du litre d'essence a fait un bond spectaculaire.

Mercredi matin, j'ai dit à Georges :
« Mon garçon, tu dois devenir un bon cycliste.
- Pourquoi ?
- Parce que tu vas en avoir besoin !


page mise en ligne le 9 mai 2004 par SVP

Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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