Écologistes et cyclistes en deuil
Tooker Gomberg, fervent défenseur de l'environnement et de la bicyclette, réputé pour son panache, est décédé le 3 mars. Il avait 48 ans.
Jean-Philippe Fortin
Décrit par ceux qui l'ont connu comme un militant frondeur doté d'un sens de l'engagement aigu, il a défendu à Montréal, où il a grandi, puis en politique municipale (à Edmonton et à Toronto, notamment) ainsi qu'à l'étranger de nombreuses causes environnementales et communautaires.
« Sa disparition a créé une véritable onde de choc, on ne s'y attendait pas, c'est très pénible et incompréhensible », a confié à La Presse Claire Morissette, de Cyclo Nord-Sud, une complice de la première heure.
Gomberg, qui a connu des épisodes dépressifs ces dernières années, se serait enlevé la vie dans la nuit du 3 au 4 mars, en plongeant du pont Macdonald, dans la baie d'Halifax, où il travaillait depuis septembre pour un groupe local à l'amélioration du système cyclable.
« Les temps sont durs pour quelqu'un qui est sensible à l'avenir de le planète. C'est peu encourageant et le moral est souvent bas chez les écologistes, mais il faut travailler », a déploré Mme Morissette.
En rangeant pour une dernière fois son vélo sur ce parapet, Tooker Gomberg cherchait peut-être, une fois pour toutes, à nous rappeler dans un dernier coup d'éclat combien cette terre lui tenait à coeur.
« Il avait un sens du spectacle et de l'ironie très fort, rappelle Elizabeth May, directrice du Sierra club du Canada. Il a brûlé son passeport à la Haye en 2000, pour protester contre la position du Canada sur le protocole de Kyoto. » Il la jugeait alors trop proche de celle des États-Unis.
« La lutte contre les changements climatiques a été son grand cheval de bataille, renchérit Steven Guilbeault, responsable de ce dossier pour Greenpeace. C'était pour lui la plus grande menace à laquelle l'humanité fait face. » En 1997, Gomberg et sa compagne, Angela Bischoff, sont revenus de Kyoto à vélo, traversant l'Asie et l'Europe. « Ça s'appelait le Greenspiration Tour, explique M. Guilbeault, ils ont fait ce voyage en vivant de chroniques et de reportages sur des communautés qui se prenaient en main là-bas et travaillaient dans le sens de l'environnement. »
Gomberg a occupé les mêmes fonctions que M. Guilbeault, à Toronto, où il a organisé de nombreuses actions pour Greenpeace. Il s'est par ailleurs présenté à la mairie en 2002. Il a terminé bon deuxième derrière Mel Lastman, encore que ce dernier ait récolté 80 % des suffrages.
« L'écologie, la joie de vivre et le jusqu'au-boutisme le caractérisaient, raconte Mme Morissette. Il avait un style flamboyant et pertinent. »
Intrusions de commandos cyclistes chez Eaton et invasions du métro sont parmi les gestes qu'il a coordonnés avec elle et Robert Bicycle Bob Silverman du Monde à bicyclette, il y a 25 ans. Il militait pour l'établissement du réseau cyclable montréalais. « Il jouait ses émotions spontanément, il dérangeait pour réveiller les gens », dit Jean-François Pronovost, directeur général de Vélo-Québec.
Visionnaire, il avait mis sur pied, au début des années 80, à Outremont, Vielles nouvelles un des premiers systèmes de collecte sélective au Canada. Le journaliste Bertrand Marotte a participé à quelques-unes de ses collectes, à bord d'un vieux camion qu'il avait lui-même rafistolé. « Il croyait profondément à la cause. Il vivait ce qu'il disait dans tout les aspects de son quotidien, c'était exceptionnel. »
De 1982 à 1986, en Alberta, il a créé du matériel pédagogique et donné des conférences dans les écoles sur la conservation de l'énergie. Il s'est par la suite consacré à la promotion du cyclisme et de l'environnement à Edmonton.
Élu là-bas conseiller municipal en 1992, il a poursuivi son oeuvre, allant même jusqu'à fouiller dans ses poches pour financer l'achat de supports à vélo pour autobus, tout en se montrant très critique face aux politiques de Ralph Klein.
« Ses 30 ans d'engagement pour un monde plus soutenable et plus juste l'ont amené à comprendre combien les enjeux sont interreliés. Il a combattu contre les changements climatiques comme peu d'autres. Des automobiles aux sables bitumineux ou à la guerre du Golfe, il a été dans les tranchées. Mais il l'a fait avec éclat. Les énergies renouvelables et l'humble bicyclette sont les greenspirations qu'il a promues et sans aucun doute le temps lui donnera raison », a dit à ses funérailles, mercredi, celle fut sa compagne pendant 17 ans, Angela Bischoff.
Dans une courte entrevue téléphonique, Mme Bischoff a indiqué à La Presse que le Tooker Gomberg Greenspiration Fund prendra la relève d'un homme qui a inspiré par son humour et son courage nombre de militants écologistes.
page mise en ligne le 15 mars 2004 par SVP