15 octobre 2004


Le triathlonien Pierre Lavoie a puisé une nouvelle motivation
dans les épreuves qu'il a traversées lors des dernières années.
photo : Bakke-Svensson/WTC

Une volonté de fer

Après avoir perdu deux enfants atteints d'une maladie incurable, Pierre Lavoie trouve encore l'inspiration et le courage d'affronter la vie dans le triathlon.

Simon Kretz

KAILUA-KONA, HAWAÏ - On dit qu'un enfant ne meurt jamais. Que son regard vous accompagne pour toujours. Qu'on entend son rire de temps à autre.

Ses pleurs aussi.

Demain matim quand Pierre Lavoie mettra les pieds dans l'eau de la baie de Kailua, sur l'île d'Hawaï, en attendant le départ du triathlon Ironman, l'athlète du Saguenay aura une pensée pour ses deux enfants adorés morts en bas âge, en 1997 et 2000.

« Perdre son enfant, c'est comme tomber dans le vide sans jamais toucher le sol, dit-il. On n'a plus de repères. Et on a mal partout. »

La douleur, Pierre Lavoie connaît. Depuis 10 ans, il a participé à 16 triathlons Ironman un peu partout dans le monde, épreuve continue en trois volets de 3,8 km de natation, 180 km de vélo et 42,2 km de course à pied. À Hawaï, site de l'épreuve reine du triathlon et considérée comme la plus prestigieuse et plus difficile compétition d'endurance d'un jour, Pierre Lavoie a terminé cinq fois dans les 50 premiers et pris le 25e rang en 1996 - le meilleur résultat canadien cette année-là.

Pierre Lavoie peut courir un marathon en trois heures après avoir roulé à vélo du centre-ville de Montréal jusqu'à Tremblant et nagé l'équivalent de 152 longueurs de piscine dans une mer houleuse. À 40 ans, il compte parmi les athlètes québécois les plus accomplis de sa génération.

Mais ce n'est pas lui qui vous le dirait.

« En 1993, quand j'ai participé à mon premier triathlon Ironman, je croyais que c'était la fin du monde. Que je n'aurais jamais plus à puiser aussi profondément en moi. »

Pourtant, à son retour d'Hawaï, sa femme Lynne Routhier et leur fils Bruno-Pierre apprennent que Laude, nouveau-née de la famille, est atteinte de l'acidose lactique, dont environ deux enfants par année sont atteints dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Cette maladie entraîne une accumulation dangereuse d'acide lactique toxique dans le sang, ce qui peut provoquer un coma. Entre l'âge de 6 mois et 11 ans, les crises peuvent survenir chez l'enfant à tout moment. Le tiers de ceux qui sont atteints ne survivent pas à la première crise.

Laurie meurt quatre ans plus tard. Elle a quatre ans.

Confiant que le sort ne s'abattra pas deux fois sur eux, et mettant leur confiance dans les tests de dépistage, dont la précision n'était que de 50 % à l'époque, Pierre et Lynne accueillent en 1998 leur fils Raphaël. Mais, comme sa soeur, il souffre d'acidose lactique et la maladie l'emporte 20 mois plus tard.

Pour Pierre Lavoie, la notion de course contre la montre prend un tout autre sens. « Après la mort de Raphaël, je me suis dit que c'était assez. On n'avait pas le droit de laisser cette maladie continuer ses ravages sans rien faire. » Il n'y a ni coup de départ ni fil d'arrivée. Seulement des vies à sauver. De jeunes vies. Et un sens à donner à celles que l'acide lactique a enlevées.

Le méthodique triathlonien établit une stratégie en trois étapes : d'abord sensibiliser la population, établir un fonds de recherche, puis les contacts avec des chercheurs. Déjà, en 1998, pour attirer l'attention des médias sur l'Association de l'acidose lactique du Saguenay-Lac-Saint-Jean, dont il est le président, il met sur pied le Défi Pierre Lavoie, une virée solo à vélo de 650 km en 24 heures sur les routes du Saguenay.

« Au matin de la conférence de presse, j'étais gonflé à bloc. Pendant mes quelques mois d'entraînement, 10 enfants ont été diagnostiqués et six avaient succombés à une crise. Je voyais bien que les journalistes étaient venus par curiosité. Plus de 600 km en un jour... Ils voulaient savoir c'était quoi la passe. Mon message a été court et direct : au Saguenay (et dans une moindre mesure, dans Charlevoix), une mystérieuse maladie vient de tuer six enfants en quelques mois. On n'a pas lu une ligne à ce sujet dans les journaux. Ni entendu un mot aux bulletins d'informations. Là, vous n'aurez pas le choix d'en parler... »

Pierre gagne son pari. Les médias locaux emboîtent le pas. Le monde aussi. Au fil des trois éditions du Défi Pierre Lavoie, près de 500 000 $ sont amassés. Plus important encore, Pierre, sa femme et leur pédiatre de Chicoutimi, Charles Morin, entrent en contact avec des chercheurs de l'Université McGill, de l'Hôpital pour enfants de Toronto, de l'Hôpital Sainte-Justine et du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Le 14 janvier 2003, le groupe de recherche annonce la découverte du gène responsable de la maladie. La percée scientifique laisse non seulement entrevoir des jours meilleurs pour les enfants atteints, mais donne aussi une lueur d'espoir aux parents porteurs : le test de dépistage est dorénavant précis à 100 %.

Mais la course n'est pas terminée. Pierre, libéré par Alcan, son employeur, est maintenant porte-parole de la Corporation de recherche et d'action sur les maladies héréditaires (Coram) et parcoure la province afin de sensibiliser la population à l'importance du dépistage de l'acidose lactique, mais aussi des quatre autres grandes maladies héréditaires touchant la population du Saguenay.

Mais demain, pour une dizaine d'heures, Pierre Lavoie va se permettre un autre type de course.

Appelez ça un retour aux sources annuel.

«Le triathlon fait partie de ma vie. Il m'a appris à ne pas baisser les bras et à rester debout quand j'ai le goût de laisser tomber.»

Et demain, pendant l'Iromnan, quand ses jambes vont le supplier d'arrêter, que ses poumons vont l'exhorter de sortir du sauna que deviennent les champs de lave sous le soleil de plomb d'Hawaï, et que son esprit va lui souffler mille et une raisons pour arrêter, Pierre Lavoie va plutôt sourire : « J'ai mes deux petits anges qui veillent sur moi. »

Et quand tout sera terminé, Pierre, Lynne et Bruno-Pierre se hâteront de rentrer à la maison.

Joly-Ann les attend. Elle est née il y a neuf mois.

Et elle est pétante de santé.


Note du webmestre : 1728 candidats ont pris le départ. Pierre Lavoie s'est classé 42e ( 1579 candidats ont terminé l'épreuve).

page mise en ligne le 15 octobre 2004 par SVP

Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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