29 mai 2005
Coeur de lion
Ils seront une trentaine dimanche prochain, parents et enfants, à arborer l'insigne distinctif de la fondation En Coeur au départ du 21e Tour de l'Île. Parmi eux, un tout jeune garçon aux traits asiatiques, portant un casque rouge, sera au guidon surélevé d'une rutilante monture orange.
Richard Pham sera accompagné de son père, Van Minh, et tous les deux vivront un merveilleux rêve, le temps que le petit voudra bien pédaler. Quarante-huit kilomètres ou quatre, quelle importance en effet quand on a un coeur tout neuf dans la poitrine et qu'il fonctionne bien ?
Si vous les apercevez le long du parcours, réservez-leur un sourire, une salutation solidaire, un battement de votre coeur. L'histoire du petit Richard a été largement médiatisée au cours de la dernière année. Elle s'entourait forcément de tubes sans nombre et des batteries de la médecine futuriste qui permet à un nombre croissant d'humains de déjouer le destin.
L'histoire de Richard remonte à tout juste un an. Elle commence par la mort de son jeune frère William, âgé de 10 mois, victime d'une cardiomyopathie dilatée. Le 15 octobre, Richard, âgé de 7 ans, se présente aux urgences de l'hôpital Sainte-Justine, souffrant d'une décompensation cardiaque avancée qui se traduit par la fatigue et l'essouflement. Une seule solution possible: la greffe cardiaque. En l'absence de donneur et en raison de l'extrême urgence de son cas, l'enfant est d'abord branché sur une machine coeur-poumon. Le 11 novembre, il reçoit un coeur artificiel- le coeur de Berlin-, une première pour Sainte-Justine, quatrième réussite au Canada. Puis, le 19 décembre, l'occasion se présente et Richard est greffé d'un coeur naturel. Richard sort de l'hôpital à la mi-janvier et rentre chez lui, à quelques rues de là, dans le quartier Côte-des-Neiges.
Un garçon comme les autres
Je me suis rendu chez les Pham, il y a quelques jours, pour rencontrer Richard et son père. Un duplex d'apparence modeste vu de l'extérieur. Un homme entrouvre la porte; l'accueil est glacial, il n'y a apparemment pas de Pham ici, la porte se referme, je vérifie le numéro, j'ai dû me tromper de rue, je m'en vais. Petite expérience de choc culturel, le Vietnam demeure pour moi un mystère. Mais sur le trottoir, une voix m'interpelle, un homme énergique m'aborde- il ne doute pas que je suis celui qu'il attend- et m'entraîne à sa suite dans... la maison que je viens de quitter !
À l'étage, la porte s'ouvre sur un logement d'une propreté et d'un goût très nord-américain. Une femme- elle est la soeur de la maman, absente- m'accueille et m'invite à m'asseoir à l'immense table qui trône dans la salle manger. Elle me sert un thé au jasmin tandis que Van Minh Pham commence à me raconter l'histoire de son fils, coupures de presse à l'appui.
Un bruit de salle de bains parvient à mon oreille, une jeune voix qui fait oui, qui fait non, le petit Richard émerge après quelques minutes et court à ses affaires sans saluer. Il ira de sa chambre à la salle de bains de nouveau puis au salon, ouvert sur la salle à manger, où il allume un immense écran au plasma et un ordinateur qu'il tient sur ses genoux, bien installé sur un grand canapé.
Les réponses du petit à sa tante ou à son papa sont faites d'éclats de voix, en vietnamien je suppose, et empreints d'une saine brusquerie. Voilà, me dis-je, un garçon vigoureux et, ma foi, en santé. Sur la table, une rangée de bouteilles de médicaments, longue de 30 centimètres, est la seule trace visible des aventures des derniers mois, hormis bien sûr la boursouflure du visage de Richard, un des effets secondaires des huit potions qu'il doit encore absorber, matin et soir. Le caractère brusque est un autre de ces effets et explique sans doute les réponses un peu carrées que fait le fils aux propos de son père. Je ne comprends pas ce qu'ils se disent, mais je saisis très bien que l'enfant désapprouve qu'on refasse, encore une fois l'exposé de son histoire médicale.
Je trouve qu'il a raison, le petit. Lui, il a tourné la page, il veut vivre et s'éloigner de ce passé encore si récent. «Ça va faire un an dans deux semaines que William est mort», me dit le papa en me montrant une photo d'une autre époque, elle aussi si proche. Van Minh aurait pu se mettre à pleurer sur mon épaule, j'aurais pleuré avec lui. Mais il est fort, il est beau, je suis étonné d'apprendre qu'il a 56 ans; il en paraît à peine 40 !
Richard lui parle rudement, mais je ne suis pas sûr qu'il en soit ainsi à longueur de journée. Attitude de circonstance, j'en suis persuadé. Lorsque je me lève pour le saluer, lui dire que j'ai le même prénom que lui, il ne me répond pas et j'ai presque envie de lui dire qu'il est dans son droit. Dehors, les journalistes, j'ai une vie à vivre !
Pendant son incroyable voyage aux limites du possible, Richard avait dit à sa tante chérie: «Je ne veux pas mourir!» Pourquoi ressasser les souvenirs ?
Un amateur de lutte
Le salon n'est pas très grand et il est encombré des jouets de Richard. Sous l'écran au plasma, un petit ring de lutte semble avoir la cote parmi les jouets.
Et le Tour de l'Île ? Le vélo ?
Van Minh se lève et m'invite à l'attendre quelques minutes. « Je vais chercher la bicyclette. »
Que faire, sinon consulter encore le dossier laissé sur la table et jeter un coup d'oeil sur ce que regarde le petit, à la télé? Je ne suis pas sûr que la compétition de sport extrême pour enfants- une version anglaise et enfantine de Fort Boyard- soit vraiment en train de passer à la télé. C'est probablement Richard qui la contrôle depuis son portable et qui, à dessein, tient le volume élevé pour mieux écraser ma curiosité.
Les minutes passent. Je retourne voir Richard. «Tu sais, j'ai des amis qui sont de vrais lutteurs, des types très forts, avec des bras comme ça, des cous, ouf!» Je pense à Gia Sissaouri et à Vano Kushitashvili. C'est avec eux que j'aurais dû venir ici, c'est d'ailleurs sûrement ce que je ferai à la première occasion. Gia et Vano ne sont pas des «méchants», ce sont des bons.
La mention des lutteurs me vaut un regard, mais le petit retourne à ses affaires et brandit son épée lumineuse de Darth Vader. Il ne me menace pas, il est seulement occupé à temps plein avec sa nouvelle vie.
Après un temps fou, papa réapparaît avec un casque qu'il libère de l'emballage. Il prend le petit par la main et m'entraîne de nouveau à sa suite.
C'est bien ce que j'avais craint. Ces deux-là vont participer au Tour de l'île, mais il leur manquait encore quelques accessoires et Van Minh n'a fait ni une ni deux, une razzia éclair dans un magasin de la Côte-des-Neiges et voilà...
Vélo orange tirant sur le vermeil, guidon Chopper comme son nom l'indique, le beau casque rouge, Richard file vers le parc Kent, assisté par son père qui assure l'équilibre en tenant fermement la selle.
Nous arrivons au parc et Richard veut aller plus vite, attaquer le trottoir d'asphalte qui sillonne le bel espace vert. Surtout, il se fiche bien de la conversation que tentent d'avoir papa et le journaliste. Et le journaliste, qui pense que le petit garçon a bien raison, s'en fiche finalement pas mal. Et le papa, on ne doute pas de quel bord il est.
Quand maman, Thi Phuong Lien Nguyen, reviendra du travail, de sa tournée de la chaîne de restaurants que le couple possède- Chez Lien, ça vous dit quelque chose?- elle sera bien surprise d'apprendre que Richard a pédalé aujourd'hui.
Je les vois s'éloigner dans le parc, Van Minh court en tenant la selle de Richard qui en redemande. Leurs silhouettes ne font bientôt qu'une et entre les arbres qui se penchent sur leur passage comme pour saluer leur courage et leur volonté de vivre, l'essentiel se révèle, je comprends enfin que toute cette histoire n'a que peu à voir avec la médecine. C'est surtout une histoire d'amour.
La solidarité - qui fut ici exprimée au cours des derniers mois par des interventions de chirurgiens, de professionnels, d'infirmières et de bénévoles dévoués, de parents et de proches attentionnés, des gens de la fondation de l'hôpital Sainte-Justine et de la fondation En Coeur - n'est pas faite que d'argent.
Elle a surtout du coeur.
EN COEUR, Fondation québécoise pour les enfants malades du coeur
5718, rue Northmount
Montréal, H3S 2H5
514-737-0804, 1-800-EN COEUR,
téléc. 514-737-2194,
encoeur@fondationencoeur.ca
Extraits de la documentation d'En Coeur :
«La fondation a été créée en 1984 pour venir en aide aux enfants cardiaques et à leurs parents en leur procurant des services de soutien moral, social et psychologique. Elle fournit des équipements qui simplifient les séjours de l'enfant à l'hôpital, améliorent ses traitements et facilitent sa réadaptation. Les services comprennent, entre autres: l'hébergement à la Résidence En Coeur Nathalie Duclos, à Montréal, et au Salon Florence, à Québec, pour les parents dont l'enfant est hospitalisé; des rencontres personnalisées avec les familles dans le besoin; des jouets et des équipements de divertissement pour les enfants hospitalisés; des publications informatives et un bulletin périodique; l'achat de matériel médical facilitant les traitements à domicile; une clinique mobile de cardiopédiatrie dotée d'un appareil d'échographie.»
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