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24 août 2005


En une de La Presse du 24 août

La vérité, mais à quel prix ?

Christiane Ayotte est une femme inquiète.

Pas inquiète de voir le plus grand cycliste de l'histoire du Tour de France se faire démasquer par un journaliste, bien sûr. Des affaires de dope, la directrice du Laboratoire de contrôle du dopage de l'INRS-Institut Armand-Frappier en a vu d'autres.

Mais inquiète de voir comment ces révélations fracassantes - quoiqu'au fond pas très surprenantes - ont abouti dans la presse, ça oui. Inquiète de voir comment les principes de confidentialité et d'équité qui doivent présider à la lutte antidopage ont été bafoués.

« Selon moi, la crédibilité de tout ce qu'on fait (en matière de lutte antidopage) est remise en question par cette affaire », dit celle dont les analyses ont mené au bannissement permanent de Ben Johnson.

Entendons-nous : l'enquête de L'Équipe semble solide. Très solide. Lance Armstrong peut rager tant qu'il veut contre le « journalisme de tabloïd» du réputé quotidien sportif français, le travail d'investigation du reporter Damien Ressiot, un des seuls au monde à se consacrer exclusivement à la question du dopage, apparaît irréprochable. Du béton.

Mais les sources qui ont alimenté le journaliste ont peut-être sans le vouloir compromis l'intégrité de la lutte contre le dopage dans son ensemble.

Le combat contre la triche pharmacologique repose sur un accord explicite entre les athlètes, les gouvernements, les autorités sportives et les laboratoires. Des règles extrêmement précises entourant la collecte des échantillons, leur transport et leur analyse sont prévues dans le Code mondial antidopage et les législations nationales, afin d'éviter que des athlètes soient victimes d'injustices.

Elles prévoient par exemple le prélèvement de deux échantillons distincts sur chaque athlète testé. L'échantillon A sert au dépistage; le B, à une éventuelle contre-expertise si une substance interdite est décelée dans le corps d'un athlète.

Ces règles ont volé en éclats dans le cas de Lance Armstrong. L'an dernier, le Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD) a eu recours aux échantillons B prélevés lors du Tour de 1999 pour faire de que prévoit le règlement antidopage la recherche sur la méthode de dépistage qu'il avait mise au point en 2000. (Les échantillons A avaient été entièrement utilisés à l'époque du contrôle antidopage initial.) C'est son droit, et personne ne songerait à le lui nier.

Ce qui choque les spécialistes comme Christiane Ayotte, c'est qu'on ne se soit pas arrangé pour rendre absolument impossible l'identification des échantillons. « Appelons un chat un chat, dit Mme Ayotte. Ce n'est pas de la recherche qu'on fait quand on cherche de l'EPO dans des échantillons congelés du Tour de France. Si c'était de la recherche, il fallait anonymiser les échantillons de façon à les rendre méconnaissables. »

Autrement dit, il fallait enlever les étiquettes sur les éprouvettes contenant les échantillons B. On ne l'a pas fait. Résultat ? Un journaliste astucieux a mis la main sur les documents permettant de mettre un nom sur ces échantillons porteurs d'un code numérique. Et l'auréole de Lance Armstrong se retrouve sérieusement écorchée, sans que le Texan puisse faire quoi que ce soit pour défendre sa réputation. Il n'y a pas d'échantillon C. « Aucune contre-expertise n'est possible et l'athlète reste cloué au pilori », souligne Mme Ayotte.

Vétilles ? Juridisme excessif ? Pas vraiment. Christiane Ayotte craint même pour ses collègues du LNDD, à qui elle voue un immense respect. « Ils s'exposent à des critiques et même à des poursuites si tout n'est pas bien ficelé. »

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Armstrong risque-t-il d'être déchu de son titre ? Non. L'Union cycliste internationale pourrait théoriquement prononcer son déclassement. Mais ça ne se produira pas : les échantillons B ont été descellés et la procédure que prévoit le règlement antidopage de l'UCI ne pourrait donc pas être respectée.

L'Agence mondiale antidopage n'interviendra probablement pas. Elle n'existait même pas au moment où Armstrong a fait l'objet des contrôles positifs cités par L'Équipe. « Je ne crois pas qu'on puisse faire quelque chose », a dit hier le président de l'AMA, le Montréalais Dick Pound. Créée en 2000, l'Agence antidopage américaine (VSADA), qui a refusé hier de faire le moindre commentaire, est dans la même situation.

Selon M. Pound, les révélations du quotidien français auront néanmoins un effet positif, si elles s'avèrent crédibles. « Cela démontre que tôt ou tard, les tricheurs finissent toujours par être démasqués. C'est d'ailleurs pour cela que le Code mondial antidopage nous permet de reculer jusqu'à huit ans en arrière pour sanctionner un athlète coupable de dopage.»

De belles paroles. Mais ce qu'omet de dire M. Pound, c'est que l'affaire Armstrong risque aussi de miner la confiance des athlètes et des fédérations internationales envers les laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage et, par extension, de fragiliser la lutte contre le dopage. Si les règles de confidentialité de base peuvent être violées aussi facilement, pourquoi continuer à faire pipi dans la bouteille ?

EPO longue durée ?
«une dernière question, qui taraude beaucoup de monde : peut-on vraiment détecter l'EPO aussi longtemps après le fait ? Christiane Ayotte en doute. « Je suis extrêmement surprise de l'apparente stabilité de l'EPO dans des échantillons vieux de six ans. Ça ne correspond pas à notre expérience ici au laboratoire, même si on congèle également nos échantillons à -20 degrés. En général, l'EPO se dégrade avec le temps. J'ai déjà refusé de faire des contre-expertises après cinq mois seulement. »

Réponse à l'Agence France-Presse du directeur du LNDD, Jacques de Ceaurriz : « De deux choses l'une : ou bien l'EPO, qui est une protéine, se dégrade au fil du temps et devient indétectable. Dans ce cas, nous avons des contrôles négatifs. Ou elle subsiste telle qu'elle est. Nous n'avons aucun doute sur la validité de nos résultats. » Il faut croire qu'ils ont été chanceux : l'urine de Lance Armstrong semble décidément bien stable.


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Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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