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7 août 2005


On s'attendrait presque à voir rouler les balles de foin de concert avec tous ces cyclistes...
Une scène typique du Vélo-Tour 48e Nord 2005.
photo : Guy Leclerc

Boréale Abitibi

« Le Gatorade, on peux-tu le sniffer ? »

Le Dr Catherine Falardeau continuait de débiter ses consignes, imperméabilisée aux facéties, quolibets et niaiseries qui fusaient de la salle du conseil de l'hôtel de ville de Rouyn-Noranda.

Décidément, me disais-je en regardant s'agiter la marmaille de baby-boomers, on n'arrivera jamais à rien avec cette génération. Ce soir, ils sont pompettes; demain, ils vont rouler 100 km sur leur Marinoni. Essayez juste de les suivre...

Au départ, ce qui m'attirait dans ce sixième Vélo-Tour 48e Nord, c'était la promesse de faire 100 km par jour pendant quatre jours dans des paysages qui m'étaient peu familiers, sinon inconnus : l'Abitibi, le Témiscamingue et le nord-est de l'Ontario. Il ne me serait autrement jamais venu à l'idée d'aller rouler dans ces champs de mines d'or quadrillés de rangs sans accotement. Sans compter que c'est loin en ta..., l'Abibitatibi : on prend l'autoroute à Montréal et on roule 500 km franc nord jusqu'à Val-d'Or. Et là, on n'est même pas rendu à Rouyn !

En «montant» ici, seul passager à bord du minibus de Détour Nature conduit par Alex, un pro des longues distances, je me demandais si on pouvait faire le voyage à vélo. Mais j'ai eu ma réponse quelque part au milieu de la très «scénique» route 117, qui traverse l'immense réserve faunique La Vérendrye : un panonceau de la Route verte décoré du mot «fin», déception confirmée plus loin par la disparition de l'accotement.

Cette préface en forme de cumulonimbus ne doit pas occulter l'essentiel de mon propos : j'ai adoré le Vélo-Tour 48e Nord, je l'ai aimé dans tous ses aspects, même ceux qui, de prime abord, me rebutaient, comme cet encadrement strict qui dictait la cadence, avec des flics en avant et en arrière. À la fin, je connaissais le sergent Jocelyn Côté, je savais qu'il avait acquis depuis la première mouture de l'événement une expertise qui pourrait être exportée, je louais le travail efficace de la petite équipe de la Sûreté du Québec qui n'interrompait jamais le train cycliste - parfois étiré sur 700 mètres- sans pourtant trop embêter la circulation routière.

Le mercredi matin, des coups de tonnerre rapprochés ont salué notre départ devant la Caisse populaire de Rouyn-Noranda, mais le ciel ne nous est finalement jamais tombé sur la tête.

« Roule pas à gauche... »
Un peu tranquille et tiède, au début, je roulais dans ma bulle. Soudain, un éclat de voix venu de l'arrière l'a crevée comme une aiguille : « Gisèle ! non Gisèle ! roule pas à gauche, traverse pas la ligne jaune, Gisèèèle ! tiens-toi à droite ! » Je n'avais pas fini de me dire « c'est pas vrai, qu'est-ce que je fais ici ? » qu'une fusée me dépassait pour aller trouver la Gisèèèle en question et régler sa douteuse trajectoire. Mais deux jours plus tard, je roulais mon tour au côté du mari de Gisèèèle, j'arrivais même à éprouver de l'affection pour ce verbomoteur que j'avais surpris à discourir sur le labeur de ces dames en salle d'accouchement et qui, bing ! m'exposait la manière de ne pas perdre mon équilibre personnel dans la pratique du journalisme.

Avant que j'aie pu tomber en bas de ma bicyclette, une madame de Montréal, de Saint-Lambert ou de Laval - je ne sais plus trop, il en venait de partout, même d'Ottawa - m'expliquait que son mari et elle avaient fait plusieurs fois le Grand Tour mais qu'ils préféraient le Vélo-Tour 48e Nord, auquel ils participaient pour la deuxième fois, à cause de sa dimension réduite - moins de 100 participants contre 2000 pour le Grand Tour - et de ce que cela suppose : pas de files d'attente pour aller manger, aller se doucher, aller à la toilette, se ravitailler, etc. « Et ici, on ne fait pas de camping, on ne reste pas mouillés pendant des jours s'il pleut sans arrêt, on est confortablement logés à l'auberge ou au motel. Et on n'a pas à chercher son bagage à la fin de la journée au milieu d'un terrain de football. »

Celle-là, je ne l'ai bien comprise qu'en entrant dans ma chambre, au terme de la première journée du Vélo-Tour. Je n'ai même pas eu à le soulever; il était là, mon sac, à côté du sofa, au milieu de ma chambre. Je n'ai eu qu'à tirer sur le zipper pour sortir mon shampooing, mais c'était inutile, il y en avait déjà dans la douche !

La journée typique au Vélo-Tour, c'est une pause-fesses, une collation, un dîner, une pause-fesses, une collation, un souper. Vous comprendrez qu'on n'avait jamais le temps d'avoir faim, c'en était presque agaçant, alors j'ai commencé à compter mes bouchées, d'autant plus que les repas ont été tous délicieux et généreux.

Et le fun.

Le lac profond
Le fun, généralement, ça vient du monde. Je n'ai pas ici l'espace pour vous raconter comment je me suis retrouvé à partager une chambre à Ville-Marie avec le député bloquiste Marc Lemay, ce sympathique grognon qui a dirigé le cyclisme canadien le temps d'une génération et qui a poussé le vélo de montagne à l'Union cycliste internationale. Il m'a fait découvrir les chocolats de Bernard Flebus et l'incroyable cheddar au lait de brebis Le Rouet de la Fromagerie du Village, à Lorrainville, petit bastion indépendantiste du Témiscamingue.

Pendant que monsieur le député prenait sa douche, je suis allé me baigner dans le vaste lac qui mouille presque les marches de l'auberge Chez Eugène. L'eau était chaude et il suffisait d'avancer trois pas pour perdre pied, ce qui faisait peur au gros chicken que je suis. De charmantes demoiselles faisant là trempette m'ont assuré être sauveteurs brevetés et, comme il faisait très chaud, je me suis baigné sans toucher le fond en me disant, si elles me font le bouche-à-bouche, ça me fera ça de pris. Avant le souper, j'apprenais qu'en algonquin, lac profond se dit «temiscaming». Comme quoi la culture peut sauver des vies...

Du monde, oui. De plus loin que Laval, en fait. Comme la timide Mie Kjelder Hvas - n'essayez pas de prononcer son nom, ça ne sonne pas du tout comme ça s'écrit -, 15 ans, qui rentrait au Danemark dès la fin du Vélo-Tour après une année passée dans la famille d'un grand architecte de l'Abitibi, Guy Leclerc, 5'16" comme il dit lui-même, photographe de la virée, et d'une toute petite madame fine comme tout. Mie a appris son français avec les Leclerc, dont une des filles est au Japon - vive les échanges étudiants !

Du monde comme Cécile Bergeron, 58 ans, qui a été de tous les Vélo-Tours. Du monde comme Eugène Martin, 67 ans, ou comme Marc Cossette, artisan de la première heure de l'événement. Du monde comme Ti-Poil, qui a dans sa pharmacopée les meilleures crèmes pour soulager les culs endoloris.

De l'autre côté de la «frontière», au-delà du Témiscamingue et de ses terres cultivées et vallonneuses, je pensais naïvement qu'il n'y avait plus rien et que les cyclistes disparaissaient dans le néant, comme autrefois les frégates au bout de la terre plate. Mais il y a une (un ?) Ontario qui parle français, il y a les municipalités du Temiskaming Shores, il y a Earlton, un village de moins de trois coins de rues qui a son propre zoo (eh!), il y a à Haileybury le Roy's Restaurant, un ancien cinéma acheté par un Sri-Lankais, Sri Gangadharan, il y a des policières de l'OPP (Ontario Provincial Police) qui parlent français et des routes champêtres qui reviendront sûrement dans une future tenue du Vélo-Tour.

Le samedi en fin d'après-midi, vers le 407e kilomètre de la virée, alors que la quatre-vingtaine de pédaleux paradaient à tombeau ouvert sur l'avenue des Champs-Élysées... pardon, sur la rue Principale de Rouyn-Noranda, le Vélo-Tour 48e Nord était devenu 90 visages, deux fois plus de mollets, 90 gros, moyens et petits culs, des types jaseux, des discrets, plus de femmes que d'hommes, 90 têtes sur lesquelles j'arrivais rarement à mettre le bon nom, mais il n'y avait plus d'erreur sur les sentiments.

Nous - remarquez la première personne du pluriel - étions devenu une espèce de grosse famille. Si vous cherchez une nouvelle destination cycliste pour la mi-juillet de l'an 2006, c'est ma p'tite proposition.

LE VÉLO-TOUR 48e NORD, Groupe Vélo, C.P. 82, Rouyn-Noranda, Québec J9X 5C1, (819) 762-0500, (866) 306-0500


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Guy Maguire, webmestre, SVPsports@sympatico.ca
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