les "chroniques vélo"
de Paul Roy

14 juillet 1997

Le voyage d'Hervé, l'omelette de la mairesse

Il était arrêté au bord d'un muret de pierres, dans le bout de Saint-Faustin. Je lui ai demandé si je pouvais le prendre en photo. Puis nous avons roulé ensemble quelques kilomètres. Il s'appelle Hervé Voisine.

- Êtes-vous parent avec ...
- C'est mon troisième petit-cousin.

Je suais à grosses gouttes ; il était sec comme un haricot. En roulant, j'ai compris pourquoi. Douze kilomètres à l'heure !

«C'est ma moyenne», m'a-t-il dit.

Il était parti de Verdun cinq jours plus tôt. Itinéraire étriqué : Sainte-Julie, Pointe-aux-Trembles, Île-Bizard, Saint-Eustache, Saint-Jérôme ... «J'en ai profité pour visiter mes deux filles et un copain qui sort de l'hôpital», m'a-t-il expliqué.

- C'est grave ?
- Le coeur.

Puis il est monté à Labelle par le parc linéaire du P'tit Train du Nord. Il a dormi dans une gare transformée en gîte du passant : 40 $ avec le petit déjeuner.

Quand je l'ai rencontré, mercredi matin, il avait franchi 722 kilomètres et rentrait doucement chez lui.

Il prévoyait passer la nuit à Saint-Jérôme et retourner voir son copain malade à Saint-Eustache. «Habituellement, je pars entre sept et dix jours.»

M. Voisine, retraité de 64 ans - il était expert en sinistres -, se décrit comme un solitaire. «J'ai toujours fait du vélo. Quand j'étais jeune, je partais de la maison familiale, à Edmundston (au Nouveau-Brunswick), et j'allais coucher à Rivière-du-Loup : 85 milles. Je rentrais le lendemain.»

Son dada, rouler la nuit. Il transporte une petite lampe à piles dans son bagage.

«Hier soir, à Labelle (après 107 kilomètres !), je me suis reposé une couple d'heures, puis je suis parti rouler dans la nuit. Les mouches à feu, c'était de toute beauté de voir ça !»

La mairesse
J'ai trouvé le restaurant Lac Saguay à 300 mètres de la piste cyclable. J'ai choisi l'omelette au fromage.

- Pain brun, pain blanc ?
- Brun.
- Patates pilées, rôties, frites ?

À la table voisine, deux cyclistes partis de Saint-Jérôme la veille dégustaient, l'un le pâté au saumon (le plat du jour avec soupe, thé, café, pouding chômeur), l'autre le spaghetti sauce à la viande.

Aux dix minutes, une femme (la même toujours) se pointait à la caisse et, sans parler, tendait 25 $ à la serveuse. Elle repartait ensuite nourrir de huards une gloutonne machine vidéopoker.

- Vous êtes un cycliste ?

La femme qui s'adressait à moi semblait sortir de la cuisine. C'était la propriétaire du restaurant.

Francine Bélisle est aussi la mairesse de Lac-Saguay (population : 317). Et elle aime les cyclistes.

«C'est du monde plaisant, dit-elle. Et le vélo, ça coûte rien, ça pollue pas, c'est bon pour la santé ... L'an passé, ici, c'était une vraie auberge de jeunesse : on séchait le linge, on remplissait les gourdes ...»

Selon Mme Bélisle, la piste du P'tit Train du Nord a changé bien des mentalités dans son coin. «Des vieux qui étaient contre ça (la piste) se sont eux-mêmes mis au vélo !»

Il reste encore quelques irréductibles, précise-t-elle. Comme ce garagiste qui se plaint de ne pouvoir bénéficier de l'apport économique de la piste cyclable. «Il dit que tout ce qu'il peut leur vendre (aux cyclistes), c'est de l'air...»

Mme Bélisle, elle, sèche leur linge, remplit leurs gourdes et leur vend des omelettes aux fromage.

Pain brun, vous avez dit ?


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