les "chroniques vélo"
de Paul Roy

30 juin 1997

Les «Marcel»

C'était il y a quelques années. Mon beau-frère et moi roulions tête baissée sur nos coursiers quand nous doublâmes ce truculent personnage : un homme d'une cinquantaine d'années en petite shorts serrés, la bedaine à l'air et la cigarette au coin de la bouche, à la Lucky Luke.

Il portait des «souliers de ville» noirs avec chaussettes à mi-mollet et une casquette de camionneur - ou était-ce une casquette des Expos ? Il trônait sur un vieux «10 vitesses», son ghetto-blaster fixé entre des guidons recourbés de vélo de route installée à l'envers pour plus de hauteur. La queue de castor complétait le tableau.

Ainsi juché, l'homme paraissait parfaitement heureux. Tellement que mon beauf, relevant la tête, s'exclama : «Ce qu'on a l'air yuppie en cuissards !»

Il existe plusieurs variantes de ce type de cycliste à Montréal. Robert Boivin, adjoint au directeur du Groupe Vélo - organisme regroupant Vélo-Québec, le Tour de l'île et les Éditions Tricycle - et fin observateur de la chose urbaine, les appelle les «Marcel» - même s'il dit que l'expression n'est pas de lui.

La queue de castor et le ghetto-blaster sont facultatifs, mais les guidons à l'envers sont un must. Plusieurs «Marcel» arborent aussi la caisse de lait bien fixée sur le porte-bagages, au-dessus de la roue arrière.

Certains arpentent les ruelles, les soirs de poubelles, à la recherche d'un abat-jour jauni ou d'une vieille planche à repasser. Robert Boivin dit avoir déjà vu deux types à vélo transportant un matelas !

- Comment ils faisaient ?
- Chacun tenait son bout.

À Montréal, dit-il, les cyclistes ont une allure qu'on ne retrouve pas à Toronto, Boston ou Portland (Oregon).

«Ailleurs en Amérique du Nord, c'est le look unique : cuissards, casque, gants, souliers ... Ici aussi tu retrouves ce look, mais il n'y a pas que ça. C'est plus éclaté, j'ai eu le même feeling à Berlin.

Ça donne des filles en robe, petits souliers, les ongles faits, un chapeau... Des gars en jeans et bottes de construction, d'autres en cravate ...

«Des tenues comme tu en vois à la Ronde, au Festival de jazz, au club de golf ... Les Montréalais sont élégants et ça ne change pas à vélo. Il y a là comme une humanité, une coquetterie, chacun adaptant la chose à sa personnalité.»

Comment expliquer cette différence ?

«À Montréal, tu as une pratique urbaine plus importante qu'ailleurs», risque Robert Boivin.

Installez-vous dans le Vieux-Port, ou à la rencontre de deux pistes cyclables (Rachel-Brébeuf, mettons), et observez. Vous verrez du bien beau monde.

Cela dit, le «look cycliste», le «vrai», n'a pas chômé ces dernières années. Il y a 15 ans, c'était le cuissard noir, le maillot serré, les souliers noirs avec cales, rappelle Robert Boivin.

«Garneau (Louis) a fait éclater le cuissard, dit-il. Avec du bleu, du jaune, du rouge, du vert. Et sont apparus les chamois synthétiques, les maillots fluorescents, les chaussures multicolores, le look grunge, le look courrier... Aujourd'hui, tu peux vraiment magasiner ton look vélo !»

Vêtement rationnel
Au fait, l'apport du vélo à la mode féminine n'a pas été négligeable, comme nous le rappelle un intéressant numéro spécial de Québec Science intitulé L'ADN du vélo, que l'on retrouve dans les kiosques à journaux (4,95$).

«En 1888, peut-on y lire, des femmes anglaises fondent l'Association du vêtement rationnel pour protester contre le port de corsets serrés, de bottillons étroits à talons hauts, de lourdes jupes rendant pratiquement impossible tout exercice physique.»


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