les "chroniques vélo"
de Paul Roy

8 avril 1999

Pour inaugurer la saison cycliste 99, La Presse s'est rendue en Virginie, où Marc Dufour,
«pdg» du groupe Centrifuge, tient un camp d'entraînement pour cyclosportifs québécois.
Paul Roy vous raconte ce qu'il y a observé.

Les «para-cyclistes»

Paul Roy

Stuarts Draft, Virginie
Si on vous avait aligné la trentaine de coureurs et coureuses des équipes du Québec (route et montagne) qui participaient la semaine dernière au camp d'entraînement sur route de Stuarts Draft, et qu'on vous avait demandé de deviner lequel d'entre eux a remporté l'or et le bronze à Atlanta, en 96, aucun de vous n'aurait choisi Gary Longhi.

Et ça se comprend. À côté de tous ces beaux jeunes athlètes, Gary, avec ses 34 ans, son corps tout en convulsions et la bave qui coule de sa bouche, fait un peu pic pic.

- Paralysie cérébrale ?
- Traumatisme crânien, répond-il avec beaucoup de difficulté et en gesticulant.

«Un accident de moto, à 20 ans», explique l'entraîneur de l'équipe du Québec, Vincent Jourdain, qui assiste à la conversation.

Vous aurez compris que les médailles olympiques de Gary - une d'or au contre-la-montre et une d'argent sur route - sont en fait des médailles para-olympiques, remportées à ces jeux pour handicapés qui accompagnent désormais les «vrais» J.O.

Mais ne vous méprenez pas. Gary est un athlète à part entière, au dire de Vincent Jourdain.

«Il grimpe très bien. Dans un col de 16 kilomètres, pas mal de cyclistes auraient de la difficulté à le suivre. Et sur le plat, il peut rouler à 40, 42 km/h.»

Son principal problème : des spasmes, qui affectent sa stabilité. À Atlanta, il aurait pu remporter deux fois l'or. Mais il a chuté à 1 km de la fin de la course sur route. Remonté en selle il a terminé troisième, pour le bronze.

Lundi dernier, à l'entraînement, en Virginie, il a chuté deux fois de suite et s'est fracturé un petit os du poignet. «J'ai regardé ma montre, nous a-t-il expliqué, et j'ai accroché la roue de Vincent...»

À l'hôpital, il a tenu à répondre lui-même à toutes les questions qu'on lui posait - il parle français, anglais et italien. Ce fut long, mais ça lui a permis de séduire, par son humour, à peu près tout le monde qu'il a côtoyé. Son entraîneur dit d'ailleurs de lui qu'il est la personne la plus drôle et la plus généreuse qu'il connaisse.

- Recevez-vous souvent des «clients» comme celui-là, avons-nous demandé à une infirmière, après qu'il fut parti subir une radiographie ?
- Pas assez souvent !

Gary n'était pas le seul «para-cycliste» à Stuarts Draft. Stéphane Côté, lui, est handicapé visuel. «J'ai perdu la vue à 3 ans, explique-t-il. Décollement des rétines. On a réchappé mon oeil gauche à 10 %. Pour le droit, il était trop tard... Zéro.»

En compétition, Stéphane, 27 ans, roule en tandem derrière un coéquipier - cette saison, il va rouler derrière le coureur Mathieu Fagnan. Mais à l'entraînement, il roule seul.

Il arrive à distinguer les contours de la route mais pas les crevasses ni les nids-de-poule. Heureusement, en Virginie, il n'y a rien de tout ça.

Au Québec, il s'entraîne en vélo de montagne. Ça cogne moins dur.

Mardi dernier, l'équipe du Québec pratiquait les intervalles de 20 minutes «double éventail» : un exercice délicat où des pelotons de six ou sept coureurs se déplacent à très vive allure en rotation continuelle.

Stéphane s'entraînait sur la même route que ses compagnons, mais seul. «Je ne vois pas du tout à droite et je ne percois pas les trois dimensions. Ce serait trop dangereux pour tout le monde de m'insérer dans une formation aussi serrée.»

Le jeune homme de Québec, qui possède un DEC en sciences pures, un autre en administration, et qui travaille à temps complet en télé-marketing, dit avoir toujours pratiqué le sport. «Je fais de la compétition de vélo pour me garder en forme. Et en tandem, je cours avec des chances égales, avec les yeux d'un autre.»

Et Gary Longhi, lui, pourquoi court-il ? «Parce que sur un vélo, gesticule-t-il, je me sens plus normal...»

Il fait une pause, puis reprend : «...sauf quand je plante !»

Et d'éclater de rire.


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