Paul Roy, cycliste

10 août 1996

Les petits pelotons

Paul Roy

Rigaud
Après la pluie, le vent. Pas un gros vent, mais un tenace. De face pour la majeure partie des 144 kilomètres entre Joliette et Rigaud. Mais, bon, personne n'a obligé personne à faire le Grand Tour.

D'ailleurs, l'étape d'hier en fut une fort belle. De petites routes, pour la plupart, avec des fermes, des vaches, des bisons et des champs de blé d'Inde. Chaud, mais moins qu'en début de semaine.

Pour lutter contre le vent, on essayait de s'y mettre à plusieurs. Certains arrivent au Grand Tour avec leur gang. Ceux-là roulent en pelotons. Le premier coupe le vent pour les autres pendant, disons une minute, puis cède sa place au deuxième et s'en va à la fin du peloton. Et ainsi de suite.

Le truc, c'est de trouver un peloton qui va à la bonne vitesse, ce qui n'est pas toujours évident. Et tous les pelotons ne sont pas aussi accueillants les uns que les autres. Hier matin, par exemple, j'essaie de me joindre à un peloton à ma pointure.

J'étais l'étranger. Je l'ai senti dès le début. Et un dénommé Philippe me l'a confirmé quand, parvenu à l'avant, j'ai légèrement augmenté la cadence.

Il se met à m'engueuler : «Aie, toi ! Nous autres on roule à 30, si ça t'intéresse pas, débarque !»

Les journalistes de La Presse sont bien élevés. C'est même une condition d'embauche. Mais vous comprendrez qu'on ne se laisse pas parler sur tous les tons. Le dénommé Philippe a donc eu droit à quelques jurons bien sentis et, ma foi, bien mérités.

À la halte-dîner, Marc Arsenault, animateur à CKOI et cycliste à ses heures, me confiera : «J'ai essayé de monter dans des pelotons, mais il y a du monde là-dedans qui sont pas mal sectaires.»

Parlant de CKOI, jeudi soir, à Joliette, Pierre Brassard, qui aime bien taquiner le pape, la reine, la truite mouchetée et la planète entière, organisait sa soirée annuelle de collecte de fonds pour les bénévoles du Grand Tour. Sur la scène du Bistro du Tour, il imitait Jacques Martin, l'animateur débile profond de l'émission L'École des fans, diffusée à TV5.

Il invite une jeune femme dans l'assistance à le rejoindre. Elle s'appelle Mariana Simoneau et il l'appelle Marinoni Shimano. Il entreprend de lui poser les questions que Jacques Martin pose aux enfants de son émission, genre : «Il est où, ton papa ?»

Et l'autre de lui répondre avec une voix de petite fille : «Avec ses deux maîtresses.»

- Et qu'est-ce que tu vas nous chanter, Marinoni ?
- Un air de Carmen.

Elle part discuter avec la pianiste, ça s'adonne que Mariana a fait le conservatoire en chant. L'assistance est tombée en bas de sa chaise. Et Pierre Brassard a dû se demander un moment si ce n'était pas lui qui se faisait prendre.

Tout ça pour dire que les «grandtouristes» ne font pas que rouler et dormir pendant le Grand Tour. Chaque soir, un groupe différent s'amène au Village du Tour : blues, rock, latino... Après avoir roulé toute la journée, certains n'hésitent pas à continuer les steppettes. L'organisation se permet même de faire des clins d'oeil aux cyclistes. L'autre jour, je ne sais plus où, des cyclistes ont croisé un gars qui roulait debout sur son bicycle et qui demandait : « C'est où le Cirque du Soleil ?»

C'était Sylvain Dubois, un artiste de cirque, sur une bicyclette acrobatique.

Jeudi, à l'entrée de Louiseville, lui et Michel-Julien Barrette, comédien également embauché par le Grand Tour, s'étaient déguisés en moine et en nonne et récitaient des prières sur une musique de Nino Rota.

Hier, passé Sainte-Anne-des-Plaines, les deux comédiens avaient improvisé un kiosque d'objets perdus du Tour. Il y avait là de vrais objets perdus comme des serviettes, des gants de vélo et même des petites culottes, mais il y avait aussi tout un bric-à-brac dont des peintures de paysages du genre de celles qu'on retrouve dans des magasins de meubles bon marché ou des sous-sols de bungalows, à côté du bar.

«On a un petit problème, m'a expliqué Michel-Julien Barrette. On a ici de vrais objets perdus, mais les cyclistes ne s'arrêtent pas, pensant que c'est une joke.»

À Carillon, quelques kilomètres avant de traverser la rivière des Outaouais sur le barrage d'Hydro-Québec, le conseil municipal avait fait aménager une petite scène sur laquelle Christian Tavernier, chanteur et guitariste, interprétait des chansons québécoises. Quand nous y sommes passés, c'était Dimanche au soir à Châteauguay de Beau Dommage. Le conseiller municipal Paul Lascelle saluait les cyclistes qui s'arrêtaient en compagnie de la secétaire-trésorière Danielle Jacques-Roy.

«Ce n'est pas tous les jours que nous avons 2000 visiteurs, nous a-t-elle expliqué. Alors nous espérons qu'ils vont revenir.»

Àl'hôtel Vinti, de Rigaud, la propriétaire, d'origine italienne, s'est exclamée : « Oh ! Vous êtes journaliste ! Oh ! S'il vous plaît, monsieur, faites-nous oune belle poublicité !»

L'hôtel Vinti est effectivement un hôtel FORMIDABLIE.

Demain, on rentre à Montréal : 74 kilomètres.