Paul Roy, cycliste

6 août 1995

Le train

Paul Roy

Voulez-vous monter dans notre train ?»

Mon esprit errait quand la question me fut posée.

- Pardon ?
- Voulez-vous embarquer avec nous ?

Une femme, blonde, fin quarantaine. Je la reconnaissais. Elle m'avait doublé quelques kilomètres plus tôt, puis je l'avais vue, arrêtée sur le bord de la route.

Là elle rappliquait, locomotive d'un train d'un seul wagon. Le wagon, un ami plus âgé qu'elle, qui arrivait à suivre à trente à l'heure, mais qui ne pouvait prendre les relais.

Elle s'en accommodait fort bien, assez bien pour m'offrir de monter à mon tour dans son train.

«D'accord, lui ai-je répondu, mais je vais prendre les relais.»

Ce que je fis : «Tchou !Tchou !»

Nous roulions autour de 34 à l'heure, ralentissant à l'occasion pour permettre à notre wagon, un dénommé Marcel, de reprendre son souffle, puis nous repartions, doublant tout sur notre passage.

De temps en temps, nous (les deux locomotives) roulions de front pour jaser. Elle est prof de géographie au cégep de Victoriaville, elle connaît mon beau-frère Jacques, qui y enseigne la philo et mon cousin Raymond, un prêtre.

Le vélo, elle en mange. Les montagnes, nommez-les, elle les a grimpées. Le mont Mégantic ? De la petite bière ! Elle appelle ça des «défis».

J'étais en grande forme. J'accélérais à volonté. Je ne roule pas comme ça d'habitude. Mes amis peuvent en témoigner. Au bout d'une quinzaine de kilomètres, j'étais devant quand j'ai entendu : «Ce n'est pas la première fois que vous faites du vélo, vous !»

J'adore les compliments. J'ai dit : «Pardon ?» Elle l'a répété. C'était presque aussi beau que la première fois.

J'ai dit : «Vous avez raison, j'en ai déjà fait une fois.»

Nous avons ri. Modérément. Décidément, ce Grand Tour commençait bien.

La halte-dîner s'est pointée vers dix heures. J'étais parti vers 8 heures, mais j'avais mouliné paisiblement un bon bout de temps avant de monter dans le train de «Victo».

L'odomètre indiquait 52,3 km. Déjà, quelques dizaines de cyclistes - partis sans doute beaucoup plus tôt que nous - s'étaient installés dans l'herbe du centre communautaire de Saint-Patrice de Sherrington.

Le ciel était gris, mais il n'avait pas encore plu. Ou si peu. Mais j'étais trempé de sueur. Pour des quadragénaires avancés, nous avions roulé fort.

- Un lunch, Monsieur ?

Sur une table, étaient alignés des centaines de sacs bruns. Il y avait aussi des jus, du café, du thé glacé. Un peu tôt pour dîner, mais bon, on est en vacances.

Dans mon sac brun, des millions de vitamines, de protéines et d'hydrates de carbone se disputaient l'honneur de refaire mes énergies.

Holà ! pas de chicane !

J'ai commencé par le sandwich au jambon, puis ce fut la petite salade aux nouilles, les céleris, les carrés aux pommes, et le petit morceau de fromage. J'ai bu un jus, un thé glacé, et j'ai mis la barre tendre dans ma sacoche de selle. Mon train était déjà parti.

- Vous montez ? m'avait demandé la prof de géo.

- Merci, je mange lentement.

Au moment de repartir, je me suis senti lourd. Zut ! un point Ouille ! Ouille ! Ouille !

Heureusement, une trentaine de kilomètres seulement séparent Saint-Patrice-de-Sherrington de Saint-Jean-sur-Richelieu. Le village du Grand Tour est installé au cégep. J'y suis arrivé vers midi et quart - ça allait déjà mieux -, non sans être monté à bord de quelques trains, moins rapides, ceux-là.

Quatre messieurs dans la cinquantaine et qui semblaient prendre tout cela très au sérieux. Les relais se faisaient de façon très ordonné et étaient entourés d'un imposant cérémonial.

«Tut !Tut ! on sort à gauche et on entre à droite.» Bien sûr, ou avais-je la tête !

Puis une dame de Saint-Hyacinthe dont s'était hier le 53e anniversaire.

Elle avait un vélo presque identique au mien, les touches de bleu en moins.

- Vous avez un beau vélo, lui dis-je. Il y manque juste un peu de bleu.

- Peut-être est-il plus vieux que le vôtre ?

Vers midi, au village du Grand Tour, des bénévoles disposaient des brosses à dent et autres effets sur les tablettes du «Magasin général» trois ou quatre tentes étaient déjà montées.

Marianne Jobert, 11 ans et demi, et une trentaine d'autres jeunes, transportaient, à l'aide de brouettes, les tentes fraîchement débarquées des camions. Tarif : un dollar la tente.

- Qu'est-ce que tu penses de ça, tous ces vieux cyclistes ?

- Ben... c'est beaucoup de sport, c'est forçant. Y-en a même qui sont arrivés avant les camions !