Paul Roy, cycliste

7 août 1995

L'ombre de Luc!

Paul Roy

Granby
Je pense que c'était à Adamsville. Une femme, debout le long de la route, saluait les cyclistes. Quelle heure était-il ? Peut-être autour de 14 h. «Courage, criait la femme, le soleil est revenu !»

Je n'avais même pas remarqué. Depuis le matin, je roulais tête baissée sous la pluie. Mes lunettes étaient pleines de brume et de boue et je n'avais qu'une idée en tête : arriver !

Je crois me souvenir que mon odomètre indiquait autour de 100 kilomètres et il m'en restait une bonne vingtaine à faire.

Quelques minutes plus tard, Luc, un cycliste de Laval, me double. Avec son doigt, il pointe le sol : «Regarde, on fait de l'ombre pour la première fois depuis le départ.»

Dire que la journée avait été exécrable serait exagéré. Il y avait tout de même eu de fort beaux moments. Particulièrement le long du parcours alternatif d'environ 25 kilomètres, dans le bout de Philipsburg et Saint-Armand, une campagne que j'avais déjà fréquentée, et que je retrouvais belle, même sous la pluie.

La halte-dîner, à Saint-Ignace-de-Stanbridge, avait par contre été complètement ratée. Nous étions accueillis sur une ferme, idée géniale s'il en est, mais la pluie a tout gâché.

Nous étions des centaines, peut-être plus de 1000, à manger, souvent debout, sous la pluie, les pieds dans l'herbe mouillée ou la boue.

Les amateurs de surréalisme pouvaient au moins se délecter de l'image que nous offrions, plantés, nos bicycles à nos pieds et nos sacs de lunch identiques à la main.

Statistiquement, cette deuxième édition du Grand Tour cycliste ne pouvait pas ne pas connaître de tels avatars. D'abord parce que les huit jours de l'édition de l'an passé s'étaient déroulés dans des conditions exceptionnelles. Ensuite, parce qu'il a fait beau à peu près sans interruption depuis juin, si ce n'est pas mai. Samedi, première journée de ce périple de 700 kilomètres, la majorité des 2000 participants ont pu rouler sous les nuages, mais au sec, entre Saint-Lambert et Saint-Jean-sur-Richelieu. Seuls ceux partis plus tard ou n'ayant pas roulé assez vite ont écopé, en milieu d'après-midi.

Hier, entre Saint-Jean-sur-Richelieu et Granby, tout le monde est passé à la caisse. Dring !

Je pense que c'était à Brigham, un superbe village avec de belles vieilles maisons anglaises. Des représentants de la compagnie qui vend les breuvages All-Sport, pour les sportifs, avaient installé un petit kiosque dans le dépanneur local.

Les cyclistes n'avaient qu'à s'y présenter pour se faire servir un verre d'All-Sport à la saveur de leur choix. Seule condition : il fallait d'abord participer à un test maison.

On vous servait un petit verre d'All-Sport et un petit verre de Gatorade, un concurrent. Vous deviez boire les deux élixirs et dire lequel vous préfériez. Facile !

Sauf que j'ai nettement préféré le Gatorade : moins sucré, moins pétillant, plus désaltérant. Une préposée, crayon à la main, attendait mon verdict.

- Heu... Je préfère celui-là...
- Le Gatorade ?
- Heu... Je pense que c'est ça, oui.

J'ai quand même eu droit à mon verre de All-Sport, dont le vendeur m'a assuré qu'il fournissait 30 p. cent plus d'énergie que le concurrent.

Quand je suis revenu pour un deuxième verre, j'ai lâchement proposé un test de mon cru au représentant : «Je vous dis que je préfère votre produit et vous m'en servez un autre verre.»

Sa réponse suscita mon admiration et me fit me sentir bien petit : «Je vais vous en servir autant que vous en voulez et vous n'avez même pas besoin de me dire que vous aimez ça. Quelle saveur ?»

Pierre Hamel est le patron des éditions Tricycle, compagnie parente du Tour de l'île, qui organise le Grand Tour. Hier, en roulant dans l'humide campagne, il confiait que cette année, les gens sortent d'avantage de chez-eux pour encourager les cyclistes.

Certains vont plus loin que ça. Ainsi, hier matin, sur le chemin Saint-Armand, un quinquagénaire et son épouse avaient installé des tables aux abords de la route et servaient aux cyclistes un jus de pommes divin, fabriqué par un pomiculteur des environs.

Tout le monde a semblé beaucoup apprécier, certains s'attardant même pour faire la causette à ces si charmantes personnes. Un cycliste, manifestement ému, s'est approché de l'hôte : «Pourrais-je avoir votre autographe, monsieur Foglia ?»

Yvan, 29 ans, entrepreneur en construction à Saint-Jérôme, a démarré son Grand Tour un peu tard, samedi. Comble de malheur, ses deux compagnons, plus rapides que lui, l'ont largué. Le voilà donc seul, à une fourche, se demandant: «À gauche... ou à droite ?»

Il aperçoit un garagiste : «Ils ont pris quel chemin, les cyclistes ?»

Le garagiste ne semble pas comprendre : «Quels cyclistes ?»

Yvan, un gaillard, n'entend pas à rire : «Crisse ! On est 2000 !!!»

Il s'était trompé de route, il était le premier cycliste à passer par là depuis un bail.