Paul Roy, cycliste

9 août 1995

Au suivant !

Paul Roy

Magog
Dans la seule journée d'hier, à Magog, il a dû se masser plus de quadriceps et de trapèzes qu'au cours des 10 dernières années. Combien ? Dur à dire. Chose certaine, au Village du Grand Tour, 15 massothérapeutes ont pétri des corps de l'aube à la tombée de la nuit. Au suivant !

Pascale Legault, elle, s'est glissée sous les mains huileuses de Véronica à 10 h 30. Une heure - et 35 $ - plus tard, il fallait presque la retenir pour ne pas qu'elle parte au vent. «Je suis encore zombie, confiait-elle. Je me sens tous les muscles détendus, réchauffés.»

Pour Pascale, 30 ans, il ne s'agissait pas d'une question de vie ou de mort. Le Grand Tour, elle aurait pu le compléter, avec ou sans massage. Pour d'autres, plus vieux ou plus mous, les 300 premiers kilomètres ont fait réaliser que des vacances à vélo, ça se gagne ! Kilomètre par kilomètre, côte par côte.

«Beaucoup de maux de genoux et de bas de dos», nous a dit Isabelle Normandeau, coordonnatrice de la clinique ambulante de massothérapie, qui précède les cyclistes dans les villes où ils échouent. Et le plus dur reste à venir. Particulièrement les étapes d'aujourd'hui, entre Magog et Lennoxville, et de demain, entre Lennoxville et Drummondville : des bosses, et encore plus de kilomètres.

Par contre, les étapes de vendredi et de samedi, entre Drummondville et Saint-Hyacinthe, puis entre Saint-Hyacinthe et Longueuil, sont censées être des pets. Plat comme la Saskatchewan.

C'était jour de congé hier, au Grand Tour. Les 2 032 participants en ont profité pour se refaire des forces, faire réparer leur vélo - épidémie de trous et de crevasses dans la route, lundi, entre Granby et Magog - ou s'épivarder autour de Magog. Vers 10 h, nous avons surpris Ann Pouliot, 44 ans, cuissards, maillot, casque et tout, enjambant son Marinoni.

- Hep ! Vous allez loin comme ça ?
- Je ne sais pas, je vais rouler un bout.
- Et le repos, vous n'y croyez pas ?
- J'étais fatiguée hier (lundi), quand je me suis couchée, mais là, je me sens en forme pour rouler 100 kilomètres.

Si les masseuses étaient occupées, hier, les mécanos l'étaient tout autant. C'est Gervais Rioux, un ex-coureur aujourd'hui proprio d'une boutique de vélos à Montréal, qui fournit l'atelier de mécanique. Hier, il dirigeait une bonne demi-douzaine de mécanos affairés sous le soleil. Devant l'atelier, la queue s'allongeait d'heure en heure.

Pierre Bolduc avec une roue à dévoiler, Michel Verrier avec un dérailleur à ajuster, Rolland Blancher avec «un câble de vitesses en train de péter». Louise Langlois, elle, voulait faire ajouter un plateau à son six vitesses. Plusieurs attendaient depuis deux heures, devisant sur tout et sur rien.

Jean-Pierre Ally racontait : «Le gars m'a dit qu'il a descendu une côte à 105 à l'heure, hier, en tandem ! Sa femme, qui était en arrière, a dit qu'elle n'a rien vu.»

Envoyé en renfort de Montréal, Patrick Continelli, un employé de Gervais Rioux, était assis sur une chaise et montait une roue, passant les rayons dans les trous. Avec un bonnet, on l'aurait pris pour une tricoteuse.

- C'est dur ?
- Dur de bien la monter, oui. Mais je ferais ça toute la journée, j'ai un petit faible pour les roues.

Son patron avait de bonnes nouvelles pour Patrick : il allait monter des roues... toute la journée !

Au dire des organisatrices, un seul cycliste aurait abandonné pour de bon. Fracture de la clavicule. Mais plusieurs abandons temporaires : 10 samedi, 29 dimanche, 17 lundi. Ennuis mécaniques, blessures, maladies et fatigue. Les femmes abandonnent plus que les hommes. Ainsi, les six cyclistes n'ayant complété qu'une ou aucune des trois étapes sont des femmes. Leurs noms ? Claire... Bof !

René, un prof d'éducation physique, est un cycliste d'un très fort niveau. Sa femme, Josée, a d'autres qualités. Depuis des années, ils roulaient côte à côte, pas vite, pas vite. Leur solution : un tandem. Maintenant, René se défonce en avant pendant que Josée lui chante Le beau voyage de Charles Trenet : «Passant par Chicoutimi endormi, nous irons au Lac-Saint-Jean en nageant... Voilà, voilà, un beau voyage au Canada...».

Hier soir, méchoui au Village du Grand Tour. Depuis le matin, cochons et agneaux tournaient au grand air sur leurs broches, au dessus du feu. Sans se plaindre, eux !