"amateur" ou |
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Mai 2000
par Yvan Martineau
ymartineau@videotron.ca
Je n'ai aucun pouvoir de clairvoyance, mais quelque chose clochait chez ce collègue de travail de TQS habituellement enjoué. J'en avais un vif pressentiment. Il soutenait le contraire. Son visage toujours rieur était cette fois rembruni par des yeux hagards. Le chat est finalement sorti du sac : «Yvan, un soir, je suis revenu un peu tard à la maison. Je suis monté dans ma chambre et tout a basculé. Jamais je n'aurais cru que ça m'arriverait. Pas à moi... non. Il y avait là un Italien, authentique, frêle, léger, racé... dans ma chambre à coucher, avec ma femme !»
Mon collègue de travail ne s'est pas séparé. Et l'italien persiste à s'immiscer dans sa chambre avec sa femme. Alain endure ce ménage à trois plutôt que de perdre sa bien-aimée. Et il connaît bien l'Italien en question, c'est un dénommé Marinoni.
J'en ai discuté avec sa conjointe. Elle n'a rien démenti. Marie Tremblay, 34 ans, ne craint pas pour sa réputation. «Ne riez pas, c'est tout à fait vrai, mon vélo dort dans notre chambre à coucher, tout juste aux abords du lit conjugal !
- Vous habitez en appartement et manquez d'espace de rangement ?
- Pas du tout. Nous avons une belle maison.
- Et un garage, un cabanon, ça sert à quoi, alors ?
- Pas question d'y laisser ma bicyclette ! Jamais de la vie ! S'il fallait que mon chum ou mon fils l'accroche et l'égratigne par mégarde. Ou qu'ils décident de l'emprunter... Dans ma chambre, il ne peut rien lui arriver. Ce vélo, c'est mon bijou. Il a été conçu sur mesure. Chez nous, j'étais la cadette de quatre enfants, j'ai toujours eu les vieilleries des autres, vous voyez... Ce vélo, c'est mon grand amour.»
En voulez-vous une meilleure ? L'hiver dernier, Marie range sa bicyclette le 20 décembre. Impatiente, elle la ressort à la mi-janvier à la faveur d'une météo et de conditions invitantes. À la mi-mars, nouvelle fugue, mais cette fois-ci, elle est surprise par des chutes de neige. Pas question de cadenasser son bijou (de le laisser sans surveillance !) pour revenir le chercher avec la fourgonnette. Elle est loin de la maison et n'a d'autre choix que de poursuivre sa route. Frigorifiée, elle trime dur.
Marie s'accroche en rêvant à un bon bain chaud. Parvenue à destination, son vélo est tellement crasseux et souillé qu'elle décide de lui donner un bain et de se contenter, elle, d'une douche ! «Je me suis sacrifiée pour lui. Je ne voulais pas que la boue soit trop difficile à nettoyer et qu'il perde son lustre. Je l'ai déposé dans la baignoire et frotté avec amour, je l'ai tout huilé. Il ne manquait que le parfum !» Pas d'essences parfumées, peut-être... mais elle a pris le temps d'achever son oeuvre d'astiquage avec un séchoir à cheveux !
Marie le jure : si elle empoche un jour un gros lot à la loterie, elle ne changera pas son Italien. «Il n'existe rien de mieux.» Marie aime bien partir en randonnée avec quelques amis. Encore là, pas question que sa bécane se retrouve accrochée à un support sur un véhicule. «Ce sont les transports qui abîment une bicyclette, affectent le dérailleur et les autres pièces. La mienne a sa "robe de chambre" : deux vieux sacs de couchage que je relie et boucle par une fermeture éclair. De cette façon, j'ai l'esprit tranquille.» Prend-elle soin de son mari aussi bien que ça ? Elle répond du tac au tac : «Non ! Ni de moi, d'ailleurs...»
Cette belle histoire d'amour a débuté il y a cinq ans lorsque sa grande amie, Marie-Claude Rivard, l'a initiée au Tour de l'Île. Marie Tremblay a alors vu Montréal sous un oeil nouveau. Elle a adoré. Son voisin roulait régulièrement et elle s'est jointe à lui pour le Tour du lac Memphrémagog. La piqûre ! «Le vélo, c'est la liberté. Quand je roule seule, c'est pour la forme. Je me donne à fond, jusqu'à l'épuisement même. Quand je suis en groupe, alors là c'est pour la camaraderie, les paysages. Je n'aime pas me retrouver en peloton.»
Autre incitatif, autre motivation, Marie aime bien les gâteries et le vélo lui permet de rétablir un certain ordre après s'être rassasiée. «Je ne suis pas granola. J'adore siroter un bon vin après une longue randonnée. Il m'arrive aussi de pédaler à plein régime de Lachenaie à Oka dans le seul but d'aller savourer une bière froide en regardant les vacanciers qui s'amusent sur la plage. Je ne pensais jamais aimer un sport autant que ça. C'est indescriptible. J'ai toujours pensé que le sport, c'était pour les autres. À l'école, j'étais grassouillette, peu sportive et j'étais toujours la dernière choisie lorsqu'on formait les équipes. Aujourd'hui, mon sport me vaut du bonheur, de la confiance.»
Marie Tremblay s'attache régulièrement à son guidon pour aller rendre visite à la parenté à Trois-Rivières. Et c'est souvent sur deux roues qu'elle se rend aux matchs de football de son adolescent, à Rosemère, à Laval, à Sainte-Thérèse. Kevin ne voit pas l'intérêt de pédaler avec sa mère. «Ce n'est pas grave. Plus je fais du sport, plus il en pratique aussi de son côté et moins il gaspille son temps à ne rien faire. Il est fier de moi, il raconte mes prouesses... le bon exemple fait son bonhomme de chemin quand même !
- Et le chum, lui ?
- Il est bien fier aussi... disons qu'il supporte bien le ménage à trois. Même si c'est toujours allongée du côté de mon vélo, plutôt que vers mon chum, que je m'endors !»
page mise en ligne le 16 juillet 2000 par