Richard Chartier
Même le Tour de France fait du plat et se met en jambes avant d'attaquer les côtes et les cols. Alors pour éviter de me casser les pattes sur les flancs du mont Royal, je remonte la rue Girouard, vers Vézina, en me disant que le détour n'est vraiment pas si mal après tout.
Pour rallier Saint-Laurent, la ville, il faut quand même s'organiser et survivre car il n'y a rien de cyclo-amical aux abords de l'intersection des autoroutes Décarie et Métropolitaine. Encore moins de piéton. L'hostilité du tissu urbain est ici tributaire de cette indivisible tare que constitue le parc ferroviaire de Côte-Saint-Luc. Ça vous arrive souvent, vous, de pédaler quelque part entre les autoroutes 520, 13, 20 et 15? Un méchant quadrilatère dont notre belle nouvelle ville n'a pas à s'enorgueillir. Ceci n'était pas un message payé par la SAAQ ni le ministère des Transports qui vous souhaitent quand même longue vie!
Par-delà les bretelles de béton et les trucks fous, le boulevard Décarie jusqu'à Côte-Vertu, quelle douceur de roulement! Une affaire de contraste sans doute...
Grenet, boulevard Gouin, le pont Lachapelle.
Laval.
À défaut d'être belle partout, cette randonnée permet de se rendre du point A à Laval-sur-le-Lac où là, ça commence à être buvable. L'idée, il est temps que je vous le dise, c'est d'atteindre Oka et de revenir par l'ouest de l'île.
Acceptez que je commette ici un bref éditorial, car il y a des coups de pied qui se perdent et celui-là, il faut que je le redonne. Juste après l'école secondaire St-Maxime et le parc du même nom, au détour de l'usine de filtration, il y a sur un kilomètre le plus impensable des aménagements cyclables qui soient. Direction ouest: une demi-voie désignée et à contresens partagée avec le boulevard Lévesque. Direction est: un trottoir magané et transformé en mini-montagnes russes par les entrées privées. Évidemment, tous ceux qui roulent vers l'est, soucieux de ne pas attraper le mal de mer, le font sur la demi-voie qui va vers l'ouest. Ce qui fait que quand ça rencontre, ceux qui pédalent vers l'ouest doivent s'écarter et rouler dans la travée réservée aux autos! Parfois, c'est le contraire qui arrive, parfois tout le monde insiste pour rester dans son corridor, finalement il doit bien y avoir là une collision frontale de temps en temps. C'est-tu assez débile? Je me sens d'autant plus à l'aise de crier au meurtre que je l'avais déjà fait, quelque part au cours du siècle dernier, dans Oxygène toujours, sans résultat jamais. Alors je m'adresse aujourd'hui personnellement au maire de Laval: «Gilles, enverrais-tu jouer tes petits-enfants là-dedans?»
Boulevard Samson - j'aurais pu prendre le chemin du Bord-de-l'eau, à peine plus beau -, les odoriférants champs de choux que je traversais à vélo il y a vingt ans, à une heure du matin en revenant de La Presse ont fait place à du développement, quel drôle de mot. Mon doux! faudrait pas qu'un ouragan frappe ces châteaux de cartes...
Patience, on approche du beau.
Enfin Laval-sur-le-Lac. Au-delà de l'arche, rue des Peupliers, la piste cyclable longe de belles demeures et la voie ferrée. L'entrée du club de golf Laval-sur-le-Lac est à la fois classique et esthétique... Rien à voir avec le très sélect club de golf Islesmere qui n'a pas investi dans l'élégance extérieure lorsqu'il s'est refait un pavillon. Est-ce une question de richesse ou de culture? Je n'en sais rien, je frôle ce monde sans y toucher.
Ma foi, je roule et je rêvasse, c'est une belle journée pour. Comme dans le bon vieux temps, quand on partait en checkant la distance parcourue, pas la vitesse. À preuve, je parviens au barrage du Grand Moulin à la moyenne horaire de 19,1 km, presque 30 km au compteur. On se fatigue pas, rien ne presse!
Une barre tendre, tiens!
Le barrage traverse une petite île qui offre un accès à ceux qui pêchent à gué dans les rapides. On y est à la décharge du lac des Deux-Montagnes vers la rivière des Mille-Îles. Au milieu de l'oeuvre, un petit escalier donne accès à l'îlot et je pose la question: «Avez-vous vu, les gaz et les filles, qui a fait ses besoins au pied des marches?»
Puis c'est Deux-Montagnes et la piste La Vagabonde populairement connue sous le vocable de «piste d'Oka», qui correspond à l'axe No 1 de la Route Verte. Jusqu'au village d'Oka, en passant par le parc provincial du même nom, 21 km de verdure - par grands bouts on est dans un corridor encapuchonné sous les feuillages, et de derrières de maisons avec piscines.
Pour dire vrai, d'une année à l'autre, j'oublie la beauté de cet axe et n'en retiens que les flashes quétaines. N'y allez pas la fin de semaine, tout ce qu'un cycliste ne veut pas avoir dans son chemin y est. Mais en semaine, c'est ultra-agréable et roulant. Par temps chaud, on y trouve de l'ombrage. In: les mamans cyclistes tirant des remorques-bébés. Out: le Beach Club de Pointe-Calumet, 473-1000. Dangereux: se laisser hypnotiser par les adolescentes qui se font griller le torse en pédalant.
Le parc d'Oka, bon pour la baignade, le pique-nique. Je passe tout droit et file vers le village, me prends un Coke (si vous voulez le savoir, un entraîneur de l'équipe nationale m'avait un jour expliqué que c'est le liquide qu'il met dans les bouteilles de Gatorade de ses coureurs) au dépanneur et m'embarque sur le traversier en partance pour Hudson. La traversée du lac des Deux-Montagnes et l'air du large, c'est assez merveilleux!
Une retouche de crème solaire. Je boude mes sandwiches aux oeufs qui sont en train de faisander dans une des pochettes de mon jersey. Une intuition comme ça: ne pas manger et rouler! Il y a 52 km au compteur et il commence à y avoir un rythme dans mes jambes...
Pendant la traversée, une cycliste demande au sous-amiral: «Est-ce qu'il y a une plage pour se baigner l'autre bord?» Réponse: «Non, madame, il n'y a pas de plage l'autre bord. C'est toute privé.»
Hudson. The domaines, the ranches, the bagnoles à 80000$. Et cachés dans les buissons, sûrement, the hélicoptères pour aller au bureau, quand c'est vraiment nécessaire. Une beauté campagnarde à l'anglaise, qui laisse la nature s'exprimer.
On voit aussi que les travailleurs qui besognent ici ont le respect de la culture locale. À l'approche de Vaudreuil-Dorion, un carton jaune et unilingue annonce le chantier d'Expertech: «Overhead work». Par les trous d'homme, comme qu'on dit, il semble en effet y avoir du travail par-dessus la tête...
Avec un zéphyr dans le dos, traverser l'Île-Perrot à 35 km/h en bordure de la 20, ça ne veut pas dire grand'chose, à part le fait que je me sens de moins en moins touriste et qu'encore une fois, je ne fais pas le tour de l'île, je m'en enfuis.
Le pont Galipeau, c'est déjà Ste-Anne-de-Bellevue et le chemin Lakeshore. Ça roule, 25-30 km/h, excusez-moi de ne plus regarder le paysage, il y a comme un deuxième souffle qui me pousse.
Je rentre en regardant la vitesse au cyclomètre. Baie-d'Urfé, Beaconsfield, Pointe-Claire, Dorval, Lachine, Saint-Pierre, Montreal-West, Westmount sans oublier Montréal qui s'apprête à toutes les faire fondre sur sa langue française: 103 km à finalement presque 24 km/h de moyenne.
La prochaine fois, c'est promis, je ne regarde pas le paysage. Je roule!
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