14 mai 2000

C'est la tête qui devrait être obligatoire, pas le casque...

Richard Chartier

Entre l'hiver qu'on n'a pas eu et l'été qu'on n'est pas sûr d'avoir, il y a comme un battement, un printemps qui joue à l'automne.

Pourtant, par une chaude journée de la fin février, avec Michel et André, je dérallais sur les chemins légèrement champêtres de l'est de Laval. Ça ne s'était jamais vu depuis le début du siècle ! On anticipait un été précoce et sans fin, on voyait déjà pousser les cocotiers sur les bords de la rivière des Mille-Îles, nouvellement classée tropicale.

Puis, le beau temps s'est fait prier, le ciel a pris le temps d'arroser macadams et champs avant de rouvrir chichement ses rideaux.

Mine de rien, voilà qui nous amène à lever le voile sur le secret de l'invisibilité. Vous aimeriez devenir invisible ? Rien de plus facile : enfourchez une bicyclette et promenez-vous dans les rues de Montréal. Soyez sûr que personne, surtout pas un automobiliste, ne vous verra !

Le fait de devenir invisible ne rend cependant pas immortel. Il faut donc se faire une priorité de rester vivant lorsqu'on recommence à se trimbaler à vélo dans la ville. Chaque année, de nombreux hommes, femmes et enfants invisibles meurent sur la voie publique et un grand nombre de ces tragédies, sinon toutes, pourraient être évitées à la faveur d'une pratique assidue de la prudence.

Si les automobilistes regardaient où ils vont et si les cyclistes pédalaient préventivement, le secret de l'invisibilité resterait entier. Ce serait le paradis sur nos routes dans nos rues et venelles.

D'accord, Montréal a été élue la plus cyclable des villes d'Amérique du Nord par les observateurs et associations les plus crédibles. Montréal est à n'en pas douter plus charmante à pédaler que Detroit, Atlanta, Los Angeles ou Chicago. Mais on y trouve encore sde horreurs d'aménagement - on en reparlera une autre fois - et des comportements tarés - parlons-en tout de suite.

Un «porte-cycliste»
L'autre jour, enroulant un bon braquet sur l'erre d'aller - Saint-Urbain direction centre-ville, ça déménage ! - j'ai été doublé par un jeune cycliste puis, l'instant d'après, par une marée de voitures. Craignant sans doute les véhicules en mouvement, le gars n'a pas hésité à serrer les voitures stationnées en file sur notre droite. Mon estomac s'est noué car, sous mes yeux, tous les éléments d'une tragédie étaient subitement réunis.

Et ce qu'il fallait redouter est arrivé : une portière s'est ouverte quelques mètres devant le gars qui allait, dans la seconde suivante, en frapper le tranchant de plein fouet. Comment a-t-il réussi à s'esquiver ? Je n'en sais rien - la jeunesse, sans doute - toujours est-il qu'il a frôlé la portière grande ouverte. L'automobiliste en est resté baba. Le cycliste a hurlé quelque chose et lui a adressé un doigt d'honneur, sans s'arrêter.

Bien sûr, l'automobiliste a eu tort d'ouvrir sa portière sans d'abord jeter un coup d'oeil vers l'arrière. Mais le cycliste aussi a commis une erreur et aurait eu, s'il s'était fendu la peau et les os, de sacrés reproches à se faire à lui-même. Ce genre d'accident est fréquent. Quelqu'un va-t-il nous dire qu'il est inévitable trois fois sur quatre ? Voyons donc ! Dans une situation comme celle-ci, la quasi-collîsion n'aura pas lieu si le cycliste sait que les voitures immobilisées sont généralement plus dangereuses que celles qui sont en mouvement. Mais ce n'est pas une évidence.

Personnellement, j'essaie de garder une distance d'un mètre et demi entre moi et la file des voitures en stationnement. Je prends de la place dans la voie où circulent les véhicules ? Je pense que cela est plus sûr - à condition de rouler solidement -, car les automobilistes me remarquent, je deviens en quelque sorte un autre véhicule et ils doivent faire attention à moi. Loin de moi cependant l'idée de vous envoyer jouer dans le trafic. Il ne faut pas s'y frotter à moins de savoir ce qu'on fait, right ?

L'important, c'est de penser avant d'agir, de ne prendre aucun risque, de faire une manoeuvre seulement si on la juge sûre à cent pour cent. Le reste, comme ce que je vous décrivais plus tôt, c'est de la roulette russse.

Un sport télé de 30 secondes montrant une simulation d'un «porte-cycliste» et les comportements qui auraient permis de l'éviter aurait plus d'impact qu'un slogan creux, du genre «50 kilos sur un vélo, c'est pas gros contre une auto», vous vous rappelez ?

Toutes les pubs ne sont pas sans effets. Celle qui était dévoilée vendredi - «La nuit, tous les cyclistes sont gris», incite les noctambules à se faire voir. Je roule souvent de nuit et c'est effrayant tout ce qu'on ne voit pas...

Mais il faut plus qu'une formule publicitaire pour obtenir des résultats. Personne ne veut passer sous les roues d'un camion, mais tout le monde ne sait pas comment agir ou réagir lorsqu'il est confronté au danger. Des exemples concrets, des explications s.v.p. ! Nos taxes parlent déjà aux conducteurs ivres dans un langage direct que même un ministre des Transports peut comprendre.

Prenons n'importe lequel des cyclistes dont la photo apparaît dans cette page, ou plutôt non, réunissons-les et demandons-leur ce qui ne va pas dans le monde du deux-roues. Ce ne seront pas des technocrates interprètes de statistiques absconses qui vont transmettre un contrat à une agence spécialisée dans la vente de savon et de chars. Ça va coûter le prix d'une couple de pizzas, de quelques bouteilles de jus et probablement rien en transport puisqu'ils vont vouloir s'amener en vélo et on va avoir toutes les réponses.

Je me permets de moraliser sur la sécurité à vélo parce que je constate, comme bien d'autres, que l'anarchie toute latine qui distingue le Québec des autres sociétés motorisées s'aggrave et se teinte de plus en plus de comportements agressifs. Il urge d'éduquer.

En attendant des jours plus doux, rappelons-nous qu'en cas de doute, toujours, la courtoisie sauvera des vies. Passez donc cher ami, j'ai moins envie que vous ! Mauditement plus efficace qu'un casque. Allô M. Chevrette et les lobbyistes de Louis Garneau ! C'est la tête qui devrait être obligatoire, pas le casque... Cette protection, après tout, ne peut être efficace que si elle repose sur une tête.

Le bonheur en milles
M'étant rapproché du centre-ville à la faveur d'un déménagement, j'ai décidé d'y faire tous mes déplacements estivaux à bicyclette. Mais pas question de laisser mon beau cheval de course attaché à un parcomètre pendant que je vaque à mes affaires. Le vieux Mauve, qui avait figé dans un coin de la cave, a donc repris du service (oui, c'est bien cette brave monture qui a porté le cul de Foglia pendant vingt ans).

Une bonne mise au point et le revoilà tout pimpant, le Mauve. Le mécano m'a bricolé une honnête réparation, il m'a fait épargner des sous, alors j'ai déciçlé d'installer un cyclomètre sur le vieux cyclotouriste, le plus cheap, juste pour connaître les, distances parcourues (quand on se met à rouler pour la peine, on devient un peu comptable). Le mécano a gentiment préparé le bidule, en y entrant la circonférence des roues, et tout.

C'est tout ému que je suis rentré chez moi sur le Mauve. Ce jour-là, juste avant Pâques, après quelques semaines d'inactivité, c'était normal que je sois un peu lent, mais là, les chiffres qui apparaissaient à l'écran étaient incroyablement bas. Quand je pensais rouler autour de 20-25 kilomètres-heure, l'écran affichait 12 ou 16, c'était décourageant.

Jusqu'à ce que je découvre qu'il avait été réglé en milles, pas en kilomètres. Mais j'ai résolu de le laisser ainsi. Désormais, les sorties cyclosportives enseront mesurées en kilomètres, les urbaines en milles.

Ça donnera la mesure du plaisir que j'éprouve de rouler en ville. rchartie@lapresse.ca


page mise en ligne le 14 mai 2000 par SVP