18 juin 2000
C'est un vieux rêve, ridicule peut-être, mais voilà : je voulais un jour rouler de Montréal à St-Jean-sur-Richelieu. A vélo il va sans dire.
Pourquoi pas de Montréal à Saint-Jérême, ou à Joliette ou à Rigaud ? Parce que, dans ma tête, il y avait une sorte d'infranchissable barrière entre la ville de nos grands maires et ce lieu historique. Une barrière que je voulais vaincre, Dieu sait pourquoi, et dont le sommet est le boulevard Taschereau, symbole de la laideur fabriquée et autodébile qui tend à prendre tout l'espace qu'on lui donne. Pas étonnant que la Rive Sud soit encore en pleine expansion...
L'avènement d'un réseau cyclable à la grandeur du Québec, La Route verte, devait forcément produire le chaînon manquant. Car un tel réseau ne peut être imaginé sans un plan valable de sortie de Montréal.
«Montréal est une île», se plait-on à dire et se plaint-on. Les scénarios d'exit sont à l'avenant des ponts et des structures qui tolèrent le deux-roues. Soit, mais pour la gent pédalière, l'insularité de Montréal n'est plus un facteur d'isolément. Le pont Jacques-Cartier n'est pas sans vertige, mais il est accessible aux cyclistes depuis un bon moment. Il y a l'estacade du pont Champlain. Il y a la navette fluviale depuis le Vieux-Port. Aussi le métro vers Longueuil. Enfin le lien des îles passant par le circuit Gilles-Villeneuve. Il n'y a pas si longtemps, ces bretelles n'étaient qu'une fantaisie de la ceinture périphérique. À l'ouest et à l'est, les échappements sont encore minces, c'est vrai. Vers le nord, ça traverse assez bien, mais on aboutit dans un purgatoire. Car si Montréal est une ville où les chauffards, pardon, les chauffeurs d'autobus essaient d'écraser les cyclistes, Laval est celle où ils y parviennent.
Qu'importe, mardi, à la faveur d'un jour de congé et sommé d'agir par la sortie récente de la première édition du guide de la Route verte du Québec, je me suis dit «c'est aujourd'hui le jour». Et j'ai tout droit, avenue Pierre-Dupuy, en direction du pont de la Concorde.
Que je n'ai pas eu le loisir d'atteindre, stoppé par un écriteau : Grand Prix de F.1 = pas de vélos. Je croyais que les essais ne commençaient que le vendredi !
Comme il était passé neuf heures du mat', je me suis rabattu sans mauvaise humeur sur le métro. Quelques minutes plus tard, j'émergeais donc de la station Longueuil.
Plus d'une fois dans le passé, il m'est arrivé de tenter l'odyssée de la Rive-Sud vers Chambly ou St-Jean, sans jamais y arriver. Immanquablement, et en suivant du mieux que je pouvais les cartes des rues et des axes de cette jungle banlieusarde, je franchissais tant bien que mai le col de la 134 et son peak automobile, mais au-delà je me perdais dans des indications erronées et dans des aménagements cyclables qui n'étaient, ultimement, rien d'autres que des pistes décoratives. Il faut se poser la question : toutes ces cartes sont-elles fabriquées au Pakistan ?
Cela dit, je m'empresse de ne pas inclure dans cette cartomancie approximative les excellents documents Vélo mag des Éditions Tricycle. Le guide de La Route verte du Québec dont je me suis armé pour cette promenade met sa planche Montréal à la toute dernière page, pour la simple et honnête raison que le balisage, officiel - bien qu'existant dans la ville - n'a pas droit de cité tant que les liens vers les zones périphériques n'auront pas été aménagés. Cet état de fait va changer dès l'an prochain et les éditions à venir du guide en tiendront évidemment compte.
J'ai pris le guide pour me guider, justement, sur La Route verte lorsque je l'atteindrais. J'avais mon plan d'accès, qu'un ami cycliste m'avait suggéré : la route 104, à partir de Laprairie, moins longue que les chemins passant par Greenfield Park, St-Hubert et autres LeMoyne, étroite mais plus verte, plus champêtre, plus jolie. Gare toutefois aux camionneurs qui parfois profitent sadiquement de l'absence d'accotement pour intimider le cycliste.
Une droite sur le boulevard du Séminaire, une gauche aux écluses en aval du pont Drouin et me voici enfin sur la piste du canal de Chambly qui constitue à partir de désormais une légitime section de La Route verte 1. Du métro Longueuil à cet endroit, mon cyclomètre me dit qu'il y a 42 kilomètres. Je m'étais promis de ne jamais m'y rendre autrement qu'en vélo, bravo mais bon, ça ne valait pas toute la laideur.
Ce n'est pas sans un certain bonheur que je roule enfin sur La Route verte, ici sur une belle garnotte, là sur l'asphalte, tantôt campagne, tantôt banlieue où les voisins s'empoisonnent mutuellement avec les tondeuses à gazon et les terrassements paysagers rocaca, surtout dans l'île Sainte-Thérèse. C'est pourtant là que j'ai de mes yeux vu une cane et ses huit canardeaux traverser une rue pour changer d'étang. J'ai aussi croisé un bon nombre de personnes âgées, certaines avec des mollets sculpturaux. Cette seule constatation suffit à justifier la piste du canal de Chambly. Achalandage correct en semaine, ça doit être l'enfer la fin de semaine, j'aime autant vous avertir.
Tout au bout, c'est Chambly et ses rapides. Vous comprendrez que, pour y avoir bu ma tasse en avril, je longe le cours d'eau en rasant la chaîne de trottoir. Vivement la route 112 ouest, direction Montréal !
Comment vous décrire cette route avec toute la méchanceté qui sied ? Un boulevard Taschereau décharné, encore inorganisé et vert par endroits, mais plein de potentiel. Voici Carignan, «ville verte» dit la pancarte. C'est tout à fait vrai : quand on y arrive, par le sud, il y a un gros mini-putt bicolore. Difficile d'être plus vert que ça.
St-Hubert, Longueuil, le pont Jacques-Cartier. Tellement écoeuré que j'ai oublié de vérifier le cyclomètre mais, grosso modo, de Saint-Jean au Saint-Laurent par la piste du canal de Chambly et par la 112, il y a une dizaine de kilomètres de plus que par la 104.
La morale de cette poussiéreuse randonnée n'a rien à voir avec les distances : pour découvrir la piste du canal de Chambly et son tronçon de la Route verte, allez-y donc avec votre char, c'est tellement plus simple !
On peut le dire : sans le réseau routier, les cyclistes ne pourraient sortir de Montréal qu'à la nage. Ou en bateau. L'automobile étant au vélo ce que la motoneige est au ski de fond - c'est elle qui tracé la voie ! - vivons heureux avec ce paradoxe.
Ô chars de feu dans notre île bien-aimée, vous pouvez rugir cette fin de semaine, celle-ci on vous la laisse ! Nos remerciements, on vous les chuchote, pour être sûr que vous ne les entendiez pas...
page mise en ligne le 18 juin 2000 par SVP