Richard Chartier
Une semaine-vélo, ça n'est sûrement pas trop dans une année-moteurs.
La Féria du vélo, c'est en quelque sorte la célébration de l'intelligence des citoyens dans une ville qu'ils cherchent à conquérir, à reverdir, à rafraîchir. Les événements festifs au programme parlent plus fort qu'une manif en faveur de l'agrandissement de l'espace humain dans le carcan urbain.
Le menu santé mentale propose une semaine de huit jours: le 10e Tour des Enfants ce dimanche, la vélo-conférence mardi de l'homme qui a traversé l'Atlantique en pédalo, la 2e édition du Jour V jeudi où tout le monde est invité à mouliner jusqu'au bureau, à l'école ou au magasin, un 3e Tour la Nuit vendredi et, enfin, le 17e Tour de l'Île le dimanche 3 juin.
À l'approche de la Féria, tout va très bien, madame la marquise, sauf pour un détail: la STCUM interdira complètement l'accès du métro aux enfants dimanche ainsi qu'aux noctambules, jeudi. La société de transport public permettra aux participants du Tour de l'Île d'utiliser le métro, dimanche en huit, mais d'une manière très restrictive, très encadrée.
«C'est dégueulasse, particulièrement pour le Tour des Enfants, commente Suzanne Lareau, directrice générale de la corporation du Tour de l'Île de Montréal. Généralement, il n'y a pas plus de 500 enfants qui empruntent le métro ce matin-là. Sur 10000 participants c'est bien peu, et les parents qui les accompagnent ne sont pas en vélo, eux. Au surplus, nous avons des bénévoles à l'oeuvre dans les stations. La STCUM invoque des motifs de sécurité pour expliquer sa décision, nous on sait qu'elle est le résultat d'une bataille patronale-syndicale. Je ne connais pas tous les détails de l'histoire, mais les cyclistes seront la semaine prochaine les victimes d'un bras de fer.»
Odile Paradis, porte-parole de la société de transport, affirme au contraire que la STCUM et ses employés s'entendent parfaitement dans cette affaire qui en est une, dit-elle, de sécurité et rien d'autre. «Nos employés nous disent qu'il faut mettre des règles sans quoi ils pourraient menacer d'arrêter de travailler. Or nous sommes d'accord avec eux, ils ont raison. Il n'existe pas de demi-normes de sécurité. L'an dernier fut une année difficile. Les gens arrivent de plus en plus par groupes et ils refusent d'être séparés. Nous n'allons pas attendre qu'il arrive quelque chose.»
Au demeurant, fait valoir Mme Paradis, la limite de 16 vélos dans la première voiture d'une rame à partir des seules stations de tête de ligne devrait permettre d'absorber les quelque 5000 cyclistes qui utilisent le métro le jour du Tour de l'Île, d'autant plus que la cadence du service sera exceptionnellement doublée, passant de 10-12 minutes à 5-6 minutes.
Selon elle, l'interdiction complète des vélos à l'occasion du Tour des Enfants et du Tour la Nuit est en revanche parfaitement justifiée: «Si nous retenons les statistiques avancées par l'organisation du Tour de l'Île, ce ne sont pas 500 enfants mais bien 12 à 15% des 8000 à 10000 participants, soit environ 1200 enfants qui prennent le réseau d'assaut. La plupart sont accompagnés par des adultes jusqu'à la station seulement, après ils sont laissés à eux-mêmes. Quant au Tour la Nuit, il se termine une demi-heure avant l'interruption du service sur le réseau, alors c'est la cohue, les cyclistes s'engouffrent dans les stations et courent. Tout cela nous rend très vulnérables. Nous en avons discuté avec les gens du Tour, nous leur avons demandé de faire des aménagements, mais ils ne nous ont pas entendus.»
La chicane est donc bien pognée entre Vélo-Québec et la STCUM.
«Tout cela nous ramène bien des années en arrière, déplore Suzanne Lareau. Cela remet en question la combinaison vélo-métro et vélo-train qui est une alternative à l'automobile comme moyen de transport urbain. La STCUM et nous sommes des alliés naturels. Il n'est jamais rien arrivé en 16 ans et cette peur d'avoir peur nous déprime, pour ne pas dire qu'elle nous révolte. On se rend compte que, malgré tout le chemin parcouru, les acquis sont fragiles et cela est inquiétant. C'est quoi la suite?»
Suzanne Lareau fait valoir qu'ailleurs, les autorités ont une attitude bien différente. «À New York, le Bike New York, début mai, attire 25000 cyclistes. Le métro et les trains, qui leur sont normalement interdits, leur ouvrent les portes sans restriction. Montréal a reçu il y a deux ans du magazine Bicycling le titre de première ville cyclable en Amérique. On est en droit d'avoir des doutes là-dessus!»
La semaine risque d'être longue pour la plus grosse organisation cycliste au monde. Il n'y a pas vraiment de plan B en remplacement du métro pour les enfants, dimanche, et les noctambules, jeudi, à part l'automobile. Quant aux participants du Tour de l'Île, ils devront faire contre mauvaise fortune bon coeur et s'organiser pour ne pas trop souffrir des restrictions imposées par la STCUM. Une solution intéressante pour chacun pourrait être de respecter l'heure de départ qui lui est attribuée par le Tour de l'Île, cela pourrait contribuer à répartir la pression exercée sur le réseau souterrain.
Mais il n'y a pas de miracle à attendre même si Mme Paradis affirme que, pour le grand Tour de l'Île, les conditions imposées permettront à tous ceux qui le désirent d'aller et de revenir en métro. Selon Mme Lareau, au contraire, le nombre d'usagers qui pourront participer au Tour de l'Île sera largement inférieur aux 5000 habituels.
Voilà donc où en est la «vélorution». Comme on dit en salle d'accouchement, la Féria du vélo se présente «comme un siège».
Un Tour la Nuit a attiré l'an dernier trois fois plus de pédaleux qu'à l'époque pourtant pas si lointaine où la manif partait du parc Lafontaine pour se diriger, à la vitesse de 3 km/h, vers le carré Dominion.
«Nous revendiquions une place pour les cyclistes sur la route, se rappelle Suzanne Lareau. Nous entrions librement dans le métro avec des échelles, des planches à repasser, des objets encombrants. Mais on nous refusait l'accès avec un vélo, même pliant!»
L'organisme fédéré, jadis un tantinet clandestin dans les moyens et vaguement subversif dans les intentions, a préféré organiser des fêtes plutôt que des manifestations. Et on peut dire qu'il a sauté la clôture. Maintenant, Vélo-Québec, c'est une machine: il y a la Féria du vélo, bien sûr, mais également des voyages organisés un peu partout au Québec, en Amérique, en Europe, des consultations pour des événements cyclistes à travers la province, des expertises auprès des autorités, des échanges avec les gourous du deux-roues à travers le monde. Des magazines aussi et des livres, autant dire une maison d'édition, des services auprès des membres. Sans parler de cette Route Verte qui commence à se ramifier à travers le Québec.
Quand on entre à la Maison des Cyclistes, en face du parc Lafontaine, ça sent bon le café et les étagères regorgent de cartes véloroutières. L'évasion a son establishment et ici, on voudrait bien respirer encore par les narines malgré les proportions gigantesques qu'a prises l'édifice...
Un quart de siècle après les «journées internationales de la bicyclette», tout a changé, plus rien n'est pareil.
Mais il y a des matins où on se dit que tout est à refaire.
Pour en savoir davantage sur la Féria du vélo, naviguez du côté de www.velo.qc.ca ou téléphonez au 514-521-8356.
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