3 septembre 2000
Cet après-midi-là, nous nous étions enfoncés par-delà le flanc nord du mont Sainte-Anne et depuis un moment, j'avais perdu de vue mon ami Pierre, emporté loin devant par son enthousiasme.
Je crapahutais distraitement sur le vélo de montagne, qu'on m'avait prêté, les yeux occupés à lire les accidents du sentier, heureux de n'être pas au bureau, quand subitement Pierre s'est ramené en trombe, surgissant des profondeurs de la forêt, le visage pâle, le verbe bref. «Je viens d'arriver face à face avec un ours. Vite, on vire de bord !»
Sur le coup, je ne me suis pas rendu compte que j'étais devenu l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours. C'est quand même quelque chose et vous avez bien raison d'être un peu jaloux. Dommage qu'on ne nous ait pas chronométrés, ce jour-là, Pierre Duchesne et moi avons sûrement battu un record de vitesse en ralliant Saint-Ferréol-les-Neiges.
C'était la belle époque où j'initiais mon copain le bassiste aux joies du plein air. C'était le fun, car il trouvait difficiles des choses que je trouvais faciles, taraaaam ! - aujourd'hui c'est une autre affaire, mais bon...
Pierre racontait son histoire d'ours avec une certaine frayeur et le gars du parc l'a un peu désarçonné en lui lançant : « Moi, ça fait des années que je me promène dans ces sentiers et j'ai jamais vu un ours. T'es vraiment chanceux !»
Le lendemain, mon Pierre était tout content que je lui présente un autre Pierre, Harvey celui-là, à qui nous avons révélé notre projet de nous lancer dans les chemins forestiers et les sentiers de la traversée de Charlevoix. Harvey, qui n'aime que les divertissements difficiles, a avoué à Duchesne : «Je rêve de faire une course dans ce genre de terrain, de Chicoutimi à Beauport.»
Drette là, sous nos yeux, le raid Pierre Harvey était en train de naître dans la tête de Pierre Harvey. Pierre Duchesne, qui depuis a participé au raid Pierre Harvey, se souvient de ce moment historique comme si c'était hier.
Cette année-là, j'ai aussi initié Pierre - vous devinerez aisément lequel - au ski de fond. Parce qu'il est un excessif de nature, ou peut-être devrait-on dire un passionné, mon bon ami s'est lancé dans ces sports avec une énergie peu commune et il a pris du galon au point qu'aujourd'hui, dans la cuisine de la maison, à Longueuil, les médailles qu'il a remportées en compétition sont aussi nombreuses que les Félix que lui a décernés le monde du spectacle. Homme de pistes s'il en est...
Bien sûr, vous connaissez Pierre Duchesne, un Bleuet originaire de Métabetchouan. Non ? Allons donc, vous l'entendez tous les jours à la radio et son nom est écrit quelque part dans votre maison. Quand vous entendez les plus récents Richard Séguin, Claire Pelletier, Kevin Parent, Richard Desjardins, Laurence Jalbert, pour ne nommer que ceux-là, c'est Pierre qui a fait les arrangements musicaux, les enregistrements, les mixages et le café. Et la basse, qui a été sa première spécialité.
«Je n'ai fait aucun sport, aucun exercice avant la trentaine, rien, raconte-t-il. J'ai commencé à en faire à l'époque où je travaillais avec Roch Voisine. Il y avait du stress, c'était heavy, c'était de la mauvaise pression, dans le groupe de musiciens on nous faisait vivre le star system, on ne pouvait s'adresser directement à la vedette.
«Quand je me suis mis à faire du sport, ma vie professionnelle a pris son élan. Je ne pourrais plus m'en passer.»
Dans le monde du spectacle et de la chanson, Pierre Duchesne est considéré comme un animal un peu curieux qui se ressource au sport plutôt qu'à l'alcool et s'enivre d'air frais. «Dans le milieu artistique, la tendance, au mieux, c'est le YMCA, le gymnase. Le guitariste et réalisateur comme moi, Rick Haworth, est un cycliste, Paul Piché aussi fait du vélo, mais il ne s'est jamais rendu au studio autrement qu'en camionnette malgré ses promesses répétées, Richard Séguin est un marcheur infatigable.» Et sa compagne, Claire Pelletier, qui a finalement été inoculée et qui fait, elle aussi, du vélo et du ski, surtout du skating, ce qui est tout à fait - et c'est le moins qu'on puisse dire - sportif.
Pierre Duchesne exerce avec talent et compétence une spécialité qui ne court pas les rues. Il est un artiste très apprécié. Ses clients ont des exigences excessivement élevées. Pour eux, le moindre accroc est une raison suffisante d'aller voir ailleurs.
«En vélo ou en ski, je trouve parfois les bouts de mélodies qui me manquaient. Pendant un effort intense, le cerveau compense, il pense à autre chose et c'est comme ça, sous l'effet du deuxième souffle que peut me venir un bout de texte ou une phrase musicale.
«En ski surtout et en vélo aussi, je suis un peu solitaire.» C'est peut-être aussi à cause de cela que l'inspiration l'accompagne dans ses sorties...
Notre «artistathlète» tient cependant à souligner ceci : «Le sport, pour moi, ce n'est pas du défoulement. C'est une soupape, je veux bien, mais j'en fais parce que j'aime l'effort et ce qu'il y a autour, que ce soit la mécanique ou le fartage.»
Le sous-sol de la maison de Longueuil - où vivent Pierre Duchesne et Claire Pelletier en compagnie de leur fille Lysandre - se divise en deux : le studio d'une part et, à peine plus petit, l'atelier où trônent les vélos (montés en Dura-Ace, excusez-nous), les skis et tous les outils et accessoires qui vont avec.
Claire : «Pierre peut consacrer un après-midi complet au fartage de ses skis.»
«Une fois, lors d'une tournée en Abitibi avec Séguin, j'ai été attiré par une compétition de ski. Je m'y suis inscrit, je me suis bien amusé et j'ai même gagné une médaille d'argent dans ma catégorie. Le soir, j'étais en concert.
«L'hiver dernier, je suis même passé à ça d'encaisser un chèque après une course !» dit-il fièrement.
Il y a quelques semaines, j'ai accompagné Pierre lors d'une sortie matinale à vélo. Après avoir suivi les péripéties du Tour de France en direct sur Internet et avalé un bon espresso dont il a le secret, il m'a fait découvrir un de ses circuits qui le mène, grosso modo, à faire une boucle autour du mont Saint-Bruno à partir du parcours du Cerf, à Longueuil.
«Une quarantaine de kilomètres très roulants avec des coins jolis, comme la côte Trinité et certains rangs à Sainte-Julie, Saint-Basile-le-Grand. Et des horreurs, comme certaines connexions de pistes cyclables et le rectiligne et sans accotement boulevard de Mortagne, la seule voie de retour de Saint-Bruno à Longueuil. Je fais ça normalement en lh l2. Après ça, je peux travailler en studio de une heure de l'après-midi à minuit, une heure du matin, ou jusqu'à épuisement. Ça ne me dérange pas.»
Pierre Duchesne travaille fort, mais il ne fait que des choses qu'il aime. S'il est le musicien des musiciens et s'il est devenu au fil du temps un bon ami de Pierre Harvey, ce n'est pas le fruit du hasard ou de la chance.
Il expliquera tout par cette passion qui, jusqu'ici, lui a donné bien raison.
page mise en ligne le 4 septembre 2000 par SVP